Malgré mes quelques années d’études en cinéma à écumer les bancs des universités françaises, il n’a jamais été question lors de mon cursus d’étudier l’œuvre de la réalisatrice française Alice Guy. Ni de projeter un seul de ses films, n’en serait-ce qu’un court extrait, ou encore de mentionner le nom de celle qui est pourtant considérée comme étant l’une des premières réalisatrices. Aujourd’hui, j’élève ma voix pour la reconnaisse de l’héritage d’Alice Guy, cinéaste et pionnière du cinéma.
Il aura fallu que j’attende quelques années, à endurer plusieurs cours où l’on nous contait encore et encore la même histoire des fameux débuts du cinéma, pour que le nom d’Alice Guy soit enfin mentionné en ma présence.
Cela remonte à quelques mois en arrière. Brièvement, en classe, l’une de mes professeures aborde le sujet, mais ne s’attarde pas. Il ne s’agit pas là de l’objet du cours, Alice Guy n’a pas grande importance. Lorsqu’elle nous interroge, elle réalise, à sa grande surprise, que nous ne sommes que deux étudiantes à avoir entendu parler de cette réalisatrice. Elle a face à elle de futur-e-s chercheurs-ses, avec un certain bagage cinématographique et intéressé-e-s un tant soit peu par l’histoire du septième art. Et pourtant, nous sommes deux. L’exaspération de ma professeure est telle que ma compassion à son égard s’en trouve alors exacerbée.
Un titre remis en question
Depuis plusieurs années, le même discours nous est asséné encore et encore au sujet de l’histoire du cinéma. On nous raconte avec grandiloquence cette première projection qui eut lieu au célèbre Café de la Paix en 1895, on analyse en long et en large les films des frères Lumière pour passer à ceux de Georges Méliès et autres confrères. Les femmes sont inexistantes. Attifées de leurs robes bouffantes, on ne les aperçoit qu’à la sortie des usines, brièvement, mais elles ne sont pas là, derrière la caméra, à la place du marionnettiste de l’image.
Pourtant, lors de cette fameuse projection, le cinéma a alors un impact sur la jeune Alice Guy, assise dans l’audience. Secrétaire de Léon Gaumont, elle est autorisée par ce dernier à utiliser ce précieux objet de l’époque, la caméra, lors de ses jours de congé. En 1896, elle réalise ainsi son premier film, La Fée aux choux. Le début d’une carrière ignorée de mes compatriotes universitaires, et pourtant capitale.
En 2010, la Cinémathèque française a organisé une conférence, animée par Maurice Gianati : « Alice Guy a-t-elle existé ? », fallait-il alors lire douloureusement sur le programme.
Difficile de penser qu’une telle accroche puisse être utilisée pour débattre sur l’œuvre d’un George Méliès, par exemple. Peut-on ne serait-ce que remettre en cause le travail de ce pionnier du cinéma fantastique ? Le questionner ? Bien sûr que non. Malheureusement, il semble en être autrement lorsqu’il s’agit de l’héritage cinématographique d’une femme et le débat auquel j’assiste est donc simple : toute la datation des films de la cinéaste est remise en cause et par là même sa postérité. Peut-elle ainsi prétendre au titre de première femme réalisatrice, cette chère Alice Guy ? Certes, dater une œuvre n’est pas chose aisée – surtout lorsqu’on sait que la cinéaste confondait souvent les dates –, mais à quelques années près, est-ce là une raison suffisante pour évincer cette femme des programmes universitaires ?
Pour la reconnaissance d’Alice Guy
Qu’avons-nous à perdre à ne pas étudier les films d’Alice Guy ? Tout. Pour qui aime le cinéma, découvrir l’ironie teintée de féminisme de ses films n’est pas une option. Alors que la production cinématographique est – déjà – essentiellement masculine en 1896, on oublie le travail de cette pionnière du cinéma en 2014. On oblige souvent les étudiant-e-s-chercheurs-ses à remettre l’histoire du cinéma dans sa véritable perspective. Alors, j’émets aujourd’hui le souhait que l’on enseigne à des étudiant-e-s, et plus particulièrement à ces jeunes femmes qui, comme moi, passent leur temps sur les bancs des universités françaises à étudier ce cher Cinéma, que les femmes y possèdent leur place depuis ses balbutiements. Ne fausse-t-on pas toute notre conception même du septième art en oubliant volontairement ses créatrices ?
J’aimerais que mes professeur-e-s me fassent découvrir le regard qu’avait Alice Guy sur la société de son époque. J’aimerais que l’on m’enseigne qu’Alice Guy était l’une des pionnières du cinéma d’horreur en son temps, celle qui forma Louis Feuillade. Le grand Alfred Hitchcock a lui-même déclaré avoir été influencé par les films de la réalisatrice. Si la place des femmes dans l’industrie cinématographique est encore un problème évident aujourd’hui, il est d’autant plus important de ne pas jeter aux oubliettes l’héritage artistique de cette cinéaste des premiers jours. Alice Guy, retiens donc ce nom et fais-en une de tes références.
Bien évidemment, certain-e-s n’entendront jamais parler d’Alice Guy. Tout comme certain-e-s ne s’intéresseront jamais aux premiers films de l’histoire du cinéma. Mais lorsque l’œuvre de cette réalisatrice n’est même pas enseignée (et ne serait-ce qu’abordée) dans un circuit hautement spécifique à des étudiant-e-s qui cherchent à se spécialiser en cinéma, on se demande jusqu’où va l’omission volontaire de nos mères cinéastes.
La reconnaissance de l’héritage artistique d’Alice Guy, réalisatrice du XIXe siècle, première femme productrice de tous les temps, est aujourd’hui devenue primordiale.