Femmes guerrières, Walkyries immortelles, derrière les mots de la poétesse Karin Boye, dont le destin tragique évoque les plus tristes émois, s’esquissent les souvenirs fantasmés de celles qui furent les combattantes des grandes envolées mythologiques. Nous offrons une alternative à l’héroïne qui, dans les vers de l’auteure suédoise, gît encore sur le sol, sans même un regard de son compagnon de bataille. Une playlist de la semaine belliqueuse et enragée. 

 

Pour ceux qui préfèrent Spotify, c’est par là.

 

Tes pieds nus sentent encore la douce caresse de l’herbe lors de cet après-midi d’été où rien ne comptait alors que la couleur de tes épaules farouchement déshabillées.

Nous avions combattu jusqu’à ce que nos os de marbre et de craie ne puissent plus supporter notre poids. L’adversaire sans visage nous avait épuisées comme le plus long et le plus satisfaisant des coïts. Tes épaules, toujours elles, étaient habillées du rubis liquide de nos ennemis. Il n’y avait rien d’autre que toi et moi dans cette boue lymphatique, presque séminale.

Autour, la présence des cadavres, empilés anarchiquement, redéfinissait la nature bucolique, acceptant maintenant le renversement de l’ordre des choses. Nous étions deux, guerrières de l’ombre, tendrement unies alors que le monde autour semblait enfin arrêter de tourner.

Sous mon armure cette plaie immense, comme un énième trou humide dans mon corps. Et je te regardais sourire, victorieuse. Tu ne comprenais pas.

Ma mort était écrite.

Ton sourire est aujourd’hui figé.

 


La Walkyrie

J’ai rêvé de glaive, cette nuit.
J’ai rêvé de guerre, cette nuit.
J’ai rêvé que je combattais à tes côtés
forte et armée, cette nuit.

Des éclairs terribles jaillissaient de ta main,
et les dragons s’écroulaient à tes pieds.
Nos rangs se resserraient et chantaient
dans la menace muette des ténèbres.

J’ai rêvé de sang, cette nuit.
J’ai rêvé de mort, cette nuit.
J’ai rêvé que je tombais à tes côtés
atteinte d’un coup mortel, cette nuit.

Tu ne me voyais pas tomber.
Ta bouche était grave.
D’une main ferme tu tenais le bouclier
en suivant tout droit ton chemin.

J’ai rêvé de feu, cette nuit.
J’ai rêvé de roses, cette nuit.
J’ai rêvé que ma mort était belle et douce.
Voilà ce que j’ai rêvé, cette nuit.

 

 Poème de Karin boye, traduit en français par Caroline Chevallier, 1997.

 


Image de Une : Les Adieux de Wotan, par Konrad Dielitz, 1892.