En mode teddy bear dans ma tanière, tasse de thé et spéculoos, je passe le temps en compagnie des poètes du passé. Paul Verlaine est celui qui, en ce moment, me fait la conversation. Je me devais de lui rendre la pareille en accordant ses vers au chant du présent.

 

C’est un poème qui vous dira sûrement quelque chose. Je l’ai appris en primaire et depuis je le connais encore par coeur. Pour moi, il correspond aux souvenirs de ma jeunesse et des marelles inscrites à la craie sur le bitume de ma cour de récréé. Étrangement, il n’évoque pas en moi l’amour mais la nostalgie. La sensation du temps qui fuit entre mes mains et des lendemains insouciants à jamais perdus… « De la musique avant toute chose / Et pour cela préfère l’Impair / Plus vague et plus soluble dans l’air / Sans rien en lui qui pèse ou qui pose » comme disait Verlaine.

 


Mon rêve familier

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime,
Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend.

Car elle me comprend, et mon coeur transparent
Pour elle seule, hélas! cesse d’être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.

Est-elle brune, blonde ou rousse? Je l’ignore.
Son nom? Je me souviens qu’il est doux et sonore,
Comme ceux des aimés que la vie exila.

Son regard est pareil au regard des statues,
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L’inflexion des voix chères qui se sont tues.

Paul Verlaine, Poèmes saturniens

 


Image de Une : Portrait of Yseult Fayet, par Odilon Redon, 1908