Princesses, paysannes, servantes ? N’en déplaise à la doxa, les filles au Moyen Âge étaient semble-t-il bien plus que cela. Il faut dire que les textes anciens furent écrits par des hommes. Alors forcément, dans les livres d’histoire, les femmes n’y ont pas un rôle prépondérant. Pourtant, certaines d’entre elles ont, paraît-il, su tirer leur épingle du jeu. Une « réalité historique » qui suscite le débat, que nous conte avec tendresse et poésie le réalisateur Hubert Viel (Artémis, cœur d’artichaut, 2013).
Il était une fois, dans une jolie citée pavillonnaire de la province française, six enfants qui voulaient jouer à remonter le temps. Occupés à leur jeu vidéo médiéval, les trois garçons tentaient désespérément de secourir une princesse en détresse des griffes d’un vilain roi. Les trois filles quant à elles s’ennuyaient ferme dans la grande maison aux murs blancs. « Il fait si beau dehors ! Pourquoi n’allez-vous pas jouer dans le jardin », demanda le grand-père de l’une d’elles. « On attend que les garçons finissent leur partie, soupira sa petite-fille. D’ailleurs je me demande pourquoi c’est toujours le chevalier qui sauve la princesse… ? »
Est-ce vrai qu’au Moyen Âge, les filles étaient si fragiles et sans défense qu’elles devaient toujours appeler à l’aide ? En tout cas, c’est ainsi que les présentent la plupart des jeux vidéo et des films d’aujourd’hui. Dans Le Roi Arthur (Antoine Fuqua, 2004), le vaillant souverain doit secourir la belle Guenièvre, torturée pour hérésie. Quant à Lady Marianne, elle répète ses « Au secours ! », chaque fois que Robin des Bois est incarné au cinéma. Mais la plus caricaturale des dames de cours reste sans nul doute Frénégonde de Pouille, la promise du comte Godefroy de Montmirail dit « le Hardi ». Avec des noms si « coqueberts », Les Visiteurs (Jean-Marie Poiré, 1993) prennent vraiment les femmes pour des « ribaudes ».
La vérité est pourtant toute autre. Car à cette époque, la gent féminine avait autant de droits que les hommes. Les femmes du petit peuple et les bourgeoises jouissaient d’une assez grande liberté. Majeures à douze ans, les jeunes filles – semble-t-il selon Hubert Viel – étaient libres de gérer leurs biens, de se marier avec qui elles voulaient, de voter même ! Bien des métiers comme doctoresse et enseignante leur étaient accessibles.
La femme médiévale émancipée, vraiment ?
Des faits historiques plus ou moins véridiques que le producteur du film Valéry du Peloux a lui-même eu du mal à croire : « La première fois que j’ai lu le scénario d’Hubert, je lui ai dit que le Moyen Âge ne pouvait pas ressembler à cela. J’ai donc envoyé le document à un grand médiéviste de la Sorbonne qui m’a répondu : “Le réalisateur joue un peu avec les faits certes, mais globalement c’est salutaire. Ce film sera bénéfique pour appuyer une véracité historique dont certain-e-s doutent encore“ », raconte-t-il sur la scène du Festival international du Film indépendant de Bordeaux en 2015.
Effectivement, comme l’explique l’historienne et spécialiste de la période médiévale Sophie Cassagnes-Brouquet, la vie des femmes au Moyen Âge comporte de multiples facettes : « Il y avait bien des femmes de lettres telles qu’Aliénor d’Aquitaine, Hildegarde de Bingen ou Christine de Pisan. Déjà très émancipées, certaines écrivent des ouvrages savants, d’autres étudient les langues et la poésie. D’une certaine manière, toutes contribuent au rayonnement de la culture française. Mais ce sont des exceptions. » Dans son ouvrage La vie des femmes au Moyen Âge paru aux éditions Ouest-France (2009), elle l’énonce clairement : « la femme n’était pas l’égal de l’homme ». Et pour cause, si elles sont parfois plus instruites que les jeunes garçons bien trop occupés à se former à la guerre, la vocation des jeunes filles « est orientée vers un unique but : la mariage et la maternité ».
Jeanne d’Arc, elle avait trop de swag !
Incarné par le grand Michael Lonsdale (un Merlin l’enchanteur des temps modernes), le grand-père va donc remettre les pendules à l’heure. Du fond de son tiroir, il sort un vieux grimoire et commence à conter aux trois demoiselles une certaine tendance de l’histoire des filles au Moyen Âge.
Nous voilà plongé-e-s des milliers d’années en arrière. Quand les troubadours et bons gaultiers chantaient encore la sérénade aux amants courtois. Des hommes et des femmes filmé-e-s en noir et blanc, interprétés par de jeunes acteurs et actrices convaincant-e-s et d’un enthousiasme communicatif :
Par rapport à mes lectures sur un Moyen-Age joyeux et libertaire, avoir des enfants acteurs faisait sens. Ils sont sur le fil, entre l’acteur professionnel (où tu te jettes dans un rôle) et « jouer à » comme on joue aux cowboys, explique le réalisateur dans le dossier de presse.
Incarner de grandes figures historiques, les enfants s’en donnent à cœur joie. Les dialogues sont même adaptés à leur langage djeuns comme s’en amuse Hubert Viel : « Le moteur est à la drôlerie. On est forcément dans l’anachronisme quand les filles disent « ce mec est trop fun », mais il fallait des registres différents, sinon on tombait dans l’anachronisme permanent comme dans Kaamelott – que j’aime bien d’ailleurs. »
Les garçons se déguisent tantôt en Jésus, Clovis, Charles VII ou Jacques Coeur. Tandis que les filles enfilent les habits d’héroïnes plus ou moins illustres. Parmi les plus connues, la combattante Jeanne d’Arc et la sage Marie d’Anjou devenue reine de France de 1422 à 1461. Mais connaissez-vous la légende d’Euphrosine ou les travaux de l’abbesse allemande Hildegarde de Bingen ? Le film, librement adapté de La Femme au temps des Cathédrales, ouvrage de la médiéviste Régine Pernoud et réhabilitatrice de l’époque féodale, nous apprend que la première illustre un fait a priori ennuyeux qu’est le Concile d’Éphèse lors duquel Marie est (enfin) consacrée mère de Dieu. Quant à la deuxième, elle est l’autrice d’écrits scientifiques et précieux conseils de santé pour la plupart confirmés par la science d’aujourd’hui. Rien que ça !
Sur une musique tantôt classique tantôt électronique, les sketches s’enchaînent et les spectatrices et spectateurs en apprennent toujours un peu plus sur l’histoire fascinante et méconnue des filles au Moyen Âge. Un peu lassant par son côté successif et scolaire, le film convainc pourtant grâce à une fraîcheur toute juvénile et la volonté ferme de redonner ses lettres de noblesse à la condition féminine d’hier à aujourd’hui (parfois au mépris du travail de certaines chercheuses, qui n’ont pas attendu Monsieur Viel pour s’intéresser à cette période) :
Simone de Beauvoir niait le féminisme médiéval de même que les innombrables civilisations matriarcales préhistoriques qui vénéraient la déesse-mère, en partant du principe que toutes les civilisations furent misogynes de tout temps, raconte Hubert Viel. Il est étrange que les féministes ne s’approprient pas plus ces périodes.
Le temps est peut-être venu d’y remédier, mais avec parcimonie.