Pour faire asseoir ses droits et revendiquer sa place dans une société encore un peu trop patriarcale, la députée Marie Le Vern n’hésite pas à troquer ses talons hauts pour sa ceinture noire de judo (si ce n’est pas l’inverse). Sa voix, c’est avec force qu’elle la porte à l’hémicycle et dans toutes les sphères de la vie politique.
Marie Le Vern n’en est qu’au début de sa carrière, et pourtant, sa voix porte déjà haut et fort ses convictions militantes. Aujourd’hui députée et conseillère départementale de Seine-Maritime, son parcours commence en 2011, à l’âge de 28 ans, lorsqu’elle est élue conseillère générale du canton de Blangy-sur-Bresle. Les nouveaux postes s’enchaînent rapidement : en 2014, elle est nommée vice-présidente en charge des transports puis réélue conseillère départementale du nouveau canton d’Eu/Blangy en 2015.
La comédie tragique que nous offrent parfois certain-e-s de nos politiques serait divertissante si elle n’était pas complètement affligeante. Alors, lorsqu’une députée siégeant à l’Assemblée nationale – la plus jeune du groupe socialiste – fait entendre un avis critique, condamnant le sexisme institutionnel, nos espoirs refont surface et s’animent en nos cœurs. Non seulement Madame la Députée parle ouvertement de féminisme – ce qui est loin d’être courant en nos contrées françaises –, mais en plus elle s’engage dans l’écologie par sa carte de membre de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.
Récemment, Marie Le Vern s’est exprimée dans une tribune dénonçant le sexisme en politique :
Ainsi, quand une femme politique connaît un revers, elle est d’abord incompétente, quand elle est en colère, elle est d’abord hystérique, quand elle connaît le succès, elle est d’abord « la protégée » d’untel (quand on ne sous-entend pas autre chose), quand elle gravit les échelons elle « prend la place » de ou profite de la « théorie de la parité ». Sans parler des commentaires sur la tenue ou le physique. C’est grossier, c’est bête, c’est dépassé, c’est bien connu et bien analysé par les sciences sociales (qui ne sont pas les tenantes de la « culture de l’excuse », mais bien du progrès), et c’est pourtant le triste constat que je fais en 2016.
À 33 ans, cette juriste diplômée en droit public est très vite passée des paroles aux actes en étant à l’origine de l’article 14 de la loi Sûreté dans les transports, relatif à la lutte contre les harcèlements sexistes. Rejeté au stade de la commission des lois au Sénat, il sera réintroduit quelques semaines plus tard grâce à une forte mobilisation civile, plus particulièrement des associations féministes. Alors, comme on dit : on ne lâche rien. Rencontre politique et engagée.
Le féminisme, c’est quoi pour vous ?
C’est une communauté qui défend les droits des femmes. Une communauté qui tend à devenir l’universalité. En cela, le féminisme n’est pas excluant, ne s’oppose pas à d’autres revendications. C’est une tribu, un collectif de femmes et d’hommes qui veut mettre un terme au sexisme et au patriarcat. Au-delà des constats, cette communauté agit. C’est un mouvement pour réformer et faire progresser la société.
C’est vouloir que les femmes aient les mêmes droits que les hommes, la même éducation et les mêmes opportunités. Le féminisme pour moi c’est tout simplement un instinct. L’égalité des genres, c’est naturel. Autant que la lutte contre le racisme et pour l’égalité de tou-te-s sans distinction ethnique ou de religion.
Quelle fut votre rencontre avec le féminisme ?
J’ai grandi sans me préoccuper de la place des femmes dans la société car, dans mon environnement familial, je me sentais libre d’être moi-même. Tout était possible pour la petite fille que j’étais. Le féminisme s’est imposé à moi par petites touches, par la confrontation au sexisme ordinaire.
Je suis ceinture noire de judo et je porte des talons. Pourquoi le préciser ? Parce que pour certain-e-s, il y a une forme d’étrangeté à cela. C’est en réalisant ce phénomène que j’ai compris la nécessité de le combattre. Le moment où j’ai été confrontée à ce machisme et aux préjugés, c’est lors de mon engagement en politique. J’ai été candidate très jeune et j’ai pris l’infantilisation et la condescendance en plein visage. Cela a sûrement contribué à éveiller la fibre féministe que j’avais en moi.
Quelles sont vos actions au quotidien pour lutter contre les inégalités ?
Il y a encore trop peu de femmes à l’Assemblée nationale : environ 150, soit 27 %. Je suis l’une d’entre elles, alors la première de mes actions quotidiennes c’est que le genre ne soit plus mis en avant, mais que l’on considère l’être humain dans sa diversité. Plus il y aura de femmes à cette fonction, plus facile sera le chemin pour les suivantes. Le Parlement, représentation nationale, par essence, doit donner l’exemple. Cela passe évidemment par la représentation de la moitié de sa population.
J’ai bien conscience que les inégalités les plus dures ne sont pas vécues dans les couloirs de l’Assemblée – même si le monde politique reste particulièrement machiste. Ce sont celles que vivent les femmes au quotidien et qui passent le plus souvent sous le radar. Dès que j’en ai la possibilité, dans le cadre d’un texte de loi par exemple, je mène le combat contre ces inégalités. Récemment, j’ai eu l’occasion de le faire au sujet des atteintes sexistes dans les transports qui touchent au quotidien 5 millions de femmes. Je suis fière que cette mobilisation ait pu aboutir positivement.
Mon quotidien c’est donc traquer les sources d’inégalité, les dénoncer, en contrarier la logique. C’est aussi ne pas accepter certains comportements dans la vie et les interactions sociales : faire en sorte que les femmes aient le même accès à la parole que les hommes – c’est quelque que chose de très concret lorsque l’on participe comme moi à de très nombreuses commissions et réunions –, être vigilante dans l’espace public, lieu de harcèlements pour beaucoup de femmes. Ce sont des actes que chacun-e peut faire à son niveau. C’est tout simplement exercer sa citoyenneté.
Quel est le livre indispensable que vous prendriez avec vous sur une île déserte ?
Ce serait L’île mystérieuse, le roman de Jules Verne. J’ai le souvenir dans la bibliothèque de mon père de ce livre magnifiquement relié et de ma crainte de l’abîmer… C’est une invitation à se réconcilier avec l’humanité. L’être humain coupé du monde s’animalise.
C’est aussi la base de mon engagement, parce qu’en s’investissant en politique, dans un syndicat, dans une association, pour une cause, on fait pleinement partie de la société, on participe à l’amélioration du quotidien. Ce roman aussi pour des questions pratiques, puisque l’auteur y explique si mes souvenirs sont bons, comment allumer un feu sans allumette, créer un abri… Ce qui peut être utile sur une île déserte pour assurer mon intégrité physique. Pour assurer mon intégrité mentale, il me faudrait par contre plus d’un livre…
Être une femme au XXIe siècle, c’est comment ?
Je pense avant tout qu’on ne devrait plus se poser la question en ces termes. Je remarque que vivre sa féminité est très différent selon le pays où l’on se trouve. Les combats ne sont pas les mêmes, on se bat pour le droit à l’avortement dans certains, pour le droit de conduire, pour l’égalité des salaires, le droit de vote dans d’autres. Mais pour autant, je pense qu’il y a une forme d’universalité à ces luttes. N’oublions pas qu’après tout, celles qui nous ont précédées ont dû se battre pour les mêmes droits.
Être une femme au XXIe siècle, c’est finalement être capable d’enrager, d’agir et d’espérer. Enrager de voir tout ce qu’il reste à accomplir. De constater que les propos tenus par Simone de Beauvoir il y a 40 ans sur le sexisme sont toujours d’actualité. C’est espérer en observant les prises de parole et de conscience, en voyant que le chantier avance et que les mentalités se réforment. C’est agir pour faire reculer partout l’ignorance et l’obscurantisme.
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Un grand merci à toutes les femmes interviewées qui ont accepté très rapidement de répondre à nos questions ! Et comme il faut bien s’auto-féliciter de temps en temps – surtout quand on fait un travail titanesque en peu de temps et sur le rare que nous avons de libre : merci à Louise Pluyaud et Sophie Laurenceau pour leur aide précieuse, leur relecture et édition toujours précise et perfectionniste.