A priori, tout le monde connaît l’histoire de cette princesse ingénue qui s’éprend d’un capitaine anglais et discute de ses histoires de cœur avec Grand-Mère Feuillage. En revanche, la véritable femme qui a inspiré le personnage du dessin animé de Walt Disney reste un mystère. Qu’en est-il de Pocahontas, l’héroïne de chair ?

 

Biographie à trous

Si en 1995, Roy Disney entendait présenter une œuvre « responsable, précise et respectueuse » de la légende de Pocahontas, l’histoire paraît pourtant démontrer le contraire. Malheureusement, la plupart des événements que semble avoir vécus la jeune femme n’ont pu être sourcés. En effet, les écrits du capitaine John Smith – sujets à polémique – constituent la majeure partie des informations que l’on détient à son sujet. Ainsi plane un éternel fond de mystère autour de son existence. Voici ce dont l’on est sûr : sa vie n’a absolument rien eu d’un conte pour enfants.

Pocahontas appartient à la tribu amérindienne des Powhatans, installée dans la région de Tidewater, en Virginie. Elle est l’une des filles du grand chef Powhatan, qui règne sur la plupart des clans à proximité. Née autour de l’année 1596 sous le nom de Matoaka, elle est surnommée Pocahontas – ce qui signifie « petite espiègle » en algonquin – par les membres de sa tribu.

Pocahontas (vers 1596-1617) habillée d'une robe, tenant un calumet, vers 1612. © Hulton Archive

Pocahontas (vers 1596-1617) habillée d’une robe, tenant un calumet, vers 1612. © Hulton Archive

À cette époque, l’Angleterre – alors sous le règne de Jacques Ier – entend fonder ses premières colonies outre-Atlantique. Ainsi, le 19 décembre 1606, trois bateaux quittent le royaume pour poursuivre la conquête du Nouveau Monde. Après plusieurs mois d’un voyage éreintant, les Anglais débarquent non sans arrogance en Virginie, où ils fondent la ville de Jamestown. Un certain John Smith est à la tête de l’expédition.

Sa première rencontre avec Pocahontas – si elle n’a pas été inventée – suscite encore de nombreuses interrogations. Dans son journal publié par la suite, The Generall Historie of Virginia, le capitaine explique qu’à son arrivée en Amérique, il développe des relations cordiales avec les membres des Premières Nations. Pourtant, tensions et rivalités demeurent entre ces derniers et les autres colons, si bien qu’un jour, John Smith est capturé par des membres de la tribu Powhatan et allongé sur une grande pierre plate pour être sacrifié. Soudain, au cœur de cette violence surgit une enfant de 11 ans, qui se précipite sur lui pour le protéger d’une mort certaine.

Pocahontas sauvant la vie de John Smith, vers 1607. © Hulton Archive/Getty Images

Pocahontas sauvant la vie de John Smith, vers 1607. © Hulton Archive/Getty Images

La véracité de cette scène que l’on pourrait qualifier de romanesque, indissociable de la légende de Pocahontas, a été mise en doute à diverses reprises. Certain-e-s parlent d’une cérémonie d’exécution et de salut traditionnel, lors de laquelle la jeune femme aurait simplement accompli un acte rituel inhérent à celle-ci, quand d’autres remettent en cause l’ensemble des propos de John Smith. Dans tous les cas, en l’absence de témoignages amérindiens, il convient de rappeler la grande part de subjectivité des anecdotes racontées par les colons.

Dans un article publié sur le site The Pocahontas Archive, le professeur Edward J. Gallagher cite l’ouvrage Chronicles of the North-American Savages et indique que « le ton de l’auteur (l’éditeur Isaac Galland ?) concernant l’histoire est assez étrange », jusqu’à la démythification lors d’un passage indiquant qu’il « est évident pour chaque lecteur-rice avec du bon sens » que Smith « s’enchante du fantastique » et a profité du fait qu’il écrivait sans la possibilité que quiconque puisse le contredire ou vérifier ses dires. Bien que rien de négatif ne soit écrit concernant Pocahontas, l’auteur se demande « à l’exception d’une personne croyant aux dons de langues inconnues, qui peut reconnaître la véracité d’une histoire dans laquelle Smith a raconté son ‘sermon astronomique’ et le rôle que ce dernier a joué dans la libération de Pocahontas. »

 

L’histoire d’une « princesse » captive

Alors que le dessin animé de Disney leur prête à tort une romance, Pocahontas et John Smith deviennent en fait de simples ami-e-s. Malheureusement, en 1609, ce dernier, sérieusement blessé par une explosion de poudre, est contraint de rentrer en Angleterre. Des années durant, Pocahontas croira à la mort du capitaine, jusqu’à ce qu’elle le recroise en 1616, au cours d’un voyage en Europe.

Après le départ de Smith, la « cohabitation » entre deux peuples que tout oppose se complique, et les relations s’enveniment. En 1613, Pocahontas est enlevée sur les ordres de Samuel Argall, le nouveau capitaine anglais. De cette façon, l’officier naval pense contraindre Powhatan à libérer plusieurs prisonniers anglais ainsi qu’à lui restituer de nombreuses armes. Mais celui-ci – plus chef de guerre que père aimant – ne livrant qu’une partie de ses « dus », sa fille demeure captive dans la ville de Henricus pendant près d’un an. C’est durant cette période qu’on lui enseigne l’anglais et le christianisme.

En juillet 1613, elle fait la connaissance de John Rolfe, un planteur de tabac. Très épris d’elle mais extrêmement pieux, ce dernier souffre à l’idée d’épouser une païenne. En la faisant se convertir au christianisme, il pense sauver son âme et peut par la même occasion la demander en mariage : c’est ainsi que Pocahontas est rebaptisée Rebecca par les colons. Si John Rolfe aime la jeune femme, les véritables sentiments de Pocahontas à son égard demeurent néanmoins mystérieux. Leur union semble avant tout avoir apaisé les tensions entre leurs deux peuples et rend possible la libération de la jeune femme. En d’autres termes, durant cette période, Pocahontas est privée de son identité, puis, tel un butin de guerre, est reléguée d’une prison à une autre. « Entre deux maux, il faut choisir le moindre », justifierait l’adage.

Le mariage de John Rolfe (1585-1622) et de Pocahontas, en 1614. D'après une peinture de Henry Brueckner, vers 1855.

Le mariage de John Rolfe (1585-1622) et de Pocahontas, en 1614. D’après une peinture de Henry Brueckner, vers 1855. 

 

Libérée, délivrée ?

En 1615, Pocahontas donne naissance à son unique enfant, Thomas. Un an plus tard, elle entreprend avec sa famille un grand voyage à Londres, au cours duquel la jeune femme est présentée au roi Jacques Ier et à la reine Anne de Danemark. L’objectif du couple est de promouvoir l’intérêt des colonies et de faire savoir au « monde civilisé » que les indigènes du Nouveau Monde ne sont plus une menace pour lui. En 1617, le couple décide de rentrer en Virginie, mais peu avant leur départ, Pocahontas est terrassée par une maladie alors inconnue, dont les symptômes font maintenant penser à une pneumonie ou à la tuberculose. Elle est enterrée le 21 mars de la même année dans le cimetière de l’église Saint George à Gravesend, en Angleterre. Elle n’a alors que 22 ans.

Pocahontas, également appelée Rebecca, vêtue d'une robe européenne, vers 1617, par Simon van de Passe.

Pocahontas, également appelée Rebecca, vêtue d’une robe européenne, vers 1617, par Simon van de Passe.

Peu à peu, le peuple Powhatan est dispersé et privé de ses terres. Les membres des Premières Nations survivants sont alors parqués dans des réserves, au nom d’une cupidité et d’un ethnocentrisme sans limites. Si l’expansion coloniale a donné la possibilité au peuple anglais de conquérir un nouveau territoire, elle ne peut en aucun cas justifier le génocide qu’il a perpétré. Dans Le Nouveau Monde (2006)Terrence Malick met d’ailleurs en scène avec beaucoup de poésie et d’intensité l’extermination progressive des Amérindien-ne-s. Même si le film revisite la légende de Pocahontas et pose un regard subjectif et probablement sublimé sur les tribus amérindiennes, il retrace la découverte de cette terre d’exception, l’échec d’une cohabitation que l’on aurait souhaité pacifique – à l’image de celle entre Pocahontas et John Smith –, la convoitise, le barbarisme, jusqu’à la destruction massive de la civilisation amérindienne.

Le Nouveau Monde, réalisé par Terrence Malick, Metropolitan FilmExport © 2005

Le Nouveau Monde, réalisé par Terrence Malick. © Metropolitan FilmExport, 2005

« Quand je l’ai rencontrée, les gens la considéraient finie. Brisée. Perdue. Elle remarquait à peine les gens autour d’elle. »* 

Pocahontas reste une énigme et le restera sans doute à jamais. Dans la représentation populaire comme dans la réalité historique, elle joua un rôle essentiel dans les relations entre Amérindien-ne-s et Européen-ne-s. Loin de la jeune femme a priori libre et amoureuse présentée par le dessin animé Walt Disney, Pocahontas était, rappelons-le, une enfant innocente d’à peine 11 ans lors de sa rencontre avec John Smith, et fut instrumentalisée dès son plus jeune âge à des fins politiques. Durant toute sa vie, elle fut privée de la plupart de ses libertés et contrainte d’agir comme un simple faire-valoir. Si on lui a souvent prêté un caractère impulsif et romantique, ses véritables sentiments demeurent un mystère. Près de 400 ans plus tard, son courage, quant à lui, conserve pourtant son empreinte dans l’histoire et… les contes pour enfants.

 


Image de une : Pocahontas (1596-1617) en 1614, habillée d’une tenue traditionnelle lors de son mariage avec John Rolfe. Peinture de Jean Leon Gerome Ferris.


*John Rolfe (Christian Bale) en voix off dans le film de Terrence Malick.