Dans son Éloge de la névrose en 10 syndromes, parue aux éditions Delcourt en 2015, la bédéiste Leslie Plée dessine et décortique ses angoisses avec humour et légèreté. À tou-te-s les ennemi-e-s de l’endive, n’ayez crainte : vous n’êtes plus seul-e-s.
Avant de devenir l’autrice de bande dessinée que l’on connaît aujourd’hui, Leslie Plée commence par douter de son talent. Diplômée de l’école Estienne en 2003, elle préfère abandonner l’illustration, persuadée qu’elle ne pourra jamais réussir dans ce domaine. Gardant un certain attachement pour les livres, elle se tourne alors vers le métier de libraire. Entre les murs de la boutique, elle renoue avec son amour du dessin et prend goût à la bande dessinée, allant jusqu’à ouvrir son blog dans lequel elle expose ses travaux. Elle trouve en ce dernier un exutoire puisqu’elle y raconte avec toujours beaucoup d’autodérision les épreuves de son quotidien. Des épreuves, oui, car Leslie Plée est régulièrement en proie à de terribles crises d’angoisse. Cette souffrance, elle l’évoque très justement sur son Tumblr, mais aussi dans L’Effet kiss pas cool : Journal d’une angoissée de la vie, parue en 2011 aux éditions Jean-Claude Gawsewitch. Dans cette bande dessinée très personnelle, elle croque avec ironie ses supposées faiblesses. Des bancs de la faculté aux soirées entre amis, claustrophobie, hypocondrie ou encore phobie sociale – pour ne citer que quelques unes de ses peurs – la guettent, lui provoquant toutes sortes de symptômes. Mais c’est toujours avec tendresse que la jeune femme amène ses lectrices et lecteurs à réfléchir sur des thématiques profondes autour de la difficulté d’être.
Dans son dernier ouvrage, Éloge de la névrose en 10 syndromes, Leslie Plée fait preuve de la même habileté dans l’art du journal intime visuel. Cette fois, elle s’attaque à une nouvelle tâche sensible et ambitieuse : l’acceptation de soi. Une invitation pour celles et ceux qui la lisent à s’aimer de manière inconditionnelle, malgré leurs névroses. À travers son expérience, elle tente de dédramatiser l’anxiété, un trouble psychique souvent perçu comme un handicap.
La caricature pour lutter contre la peur
Leslie Plée commence par évoquer sa difficulté à rentrer dans le monde des adultes, ce que l’on appelle l’adulescence. Elle se sent donc obligée de mimer le comportement des adultes pour se donner l’illusion d’en faire partie. À l’âge où l’on attend des jeunes adultes qu’ils deviennent des personnes responsables, qu’ils trouvent un emploi stable, un logement, se mettent en couple et aient des enfants, l’autrice rejette cette vision normative de l’existence et « s’extasie devant le verre à moutarde Nemo ». Elle nous dépeint un adulte caricatural qui « paie ses impôts », « écoute de la musique classique », « va au marché et achète des endives » et, pire, « aime sincèrement les endives ».
Cet-te adulte-là, en tout cas, Leslie Plée n’en veut pas. Son angoisse vis-à-vis de cette définition de la maturité masque sa « volonté malsaine d’être une personne normale, en dépit d’une personnalité fantasque », un acharnement typique de celle ou celui qui est atteint-e de ce qu’elle appelle le « syndrome de la personne normale ». La bédéiste culpabilise en prenant sa sensibilité pour une faiblesse, bien qu’elle recèle aussi d’une grande force et des capacités surprenantes inhérentes à cette émotivité : créativité, intuition, empathie, authenticité…
Non, les menstruations ne sont pas bleues…
À travers un autre syndrome, celui de « l’imposteur procrastinateur », l’autrice questionne son sentiment d’illégitimité au travail. Certain-e-s, par peur de l’échec, rencontrent de grandes difficultés à se plonger dans leurs activités. Elles et ils préfèrent alors se laisser distraire par des choses simples et remettre à plus tard leurs obligations. Ce manque de confiance en soi se traduit également par l’évitement du regard des autres.
La société n’est pas complètement étrangère à ce phénomène. Nombreux sont les sujets de la vie quotidienne qui sont de véritables interdits dans la vie publique. En témoignent, par exemple, les publicités pour protections périodiques, dans lesquelles le liquide versé sur les serviettes hygiéniques, représentant donc le sang menstruel, est bleu turquoise. Leslie Plée appelle cela « le syndrome des règles bleues […], un dispositif sociétal visant à rendre honteux le corps de la femme pour l’entraver ». Couvrez ce sang que je ne saurais voir ! Encore aujourd’hui, les règles sont perçues comme sales, elles versent le sang de la honte. Mais les menstruations ne sont pas seules à figurer sur la liste des tabous liés à la condition féminine. La masturbation n’arrive pas très loin derrière.
Leslie Plée s’interroge à ce propos : pourquoi tant de gens refusent de croire qu’une femme peut être excitée par autre chose qu’un « pénis romantique écoutant du jazz » ? Si cette image lui est propre – toutes les femmes n’aiment pas le jazz –, elle exprime bien les préjugés ancrés dans les mentalités, qui enferment les êtres dans des stéréotypes au lieu de les aider à s’affirmer, et dénonce subtilement l’idée reçue selon laquelle le plaisir féminin serait uniquement cérébral, et stimulé par des fantasmes romantiques et sexistes.
Dans le même ordre d’idées, il est préférable pour une femme qu’elle fasse attention au choix de ses tenues afin de ne pas être considérée comme trop aguicheuse. Pour éviter les « Eh mademoiselle ! » trop insistants, on lui suggère d’avoir l’air agressive avec les inconnus qu’elle croise. Certaines femmes refusent même de sortir sans être accompagnées à partir d’une certaine heure… En tous les cas, il faut qu’elles évitent de provoquer le désir des hommes. Oui, nous en sommes encore là. La bédéiste nous rappelle, si besoin est, qu’en plus de nos angoisses, des carcans nous enferment et que nous devons nous en libérer.
Sous une apparence légère, la bande dessinée de Leslie Plée réussit à nous faire déculpabiliser sur bien des aspects. Si l’on déplore que parmi les 10 syndromes décrits, certains – comme celui de Stockholm – ne soient pas assez aboutis, l’ensemble de la lecture demeure drôle et agréable. « Tous ces syndromes font de nous des humains. Des humains un peu pleutres et réservés, mais des humains sensibles et uniques », précise Leslie Plée. Elle montre que de nombreuses personnes, comme elle, vivent des situations considérées comme anormales, et qu’il leur est néanmoins possible d’avancer dans la vie et la société en toute légitimité. Un rappel que la tolérance, l’humilité, la sincérité et, surtout, l’union font la force.
Delcourt
26/08/2015
120
Leslie Plée
17,95 €
Du syndrome de l'adultisme (quand on veut faire des trucs qui font adulte alors même que quand on lit une carte des vins c'est comme du Kafka en japonais), au syndrome du super-héros (quand on veut être trop parfait), en passant par le syndrome de Bernard Montiel, Leslie revisite les syndromes les plus connus pour nous parler avec tendresse, justesse et humour de nos petites névroses au quotidien.