Partir, c’est toujours brutal, douloureux, souvent inévitable. En ce dimanche grisâtre, la Seine déborde. Partout, le déchirement se fait : dans nos vies, nos boulots, nos histoires imaginées. Tout autour, la foule gronde, bien décidée à ne pas oublier, tandis que le fleuve déverse son flot de souvenirs. Immuable, il sera le témoin de ceux à venir, alors que chacun-e se laisse porter par son rythme. Sur un poème d’Emily Brontë et quelques airs d’Alela Diane, on accepte la remembrance d’un-e autre, qu’il faut laisser s’en aller.
Pour celles et ceux qui préfèrent Spotify, c’est par ici.
Voilà qu’un matin, je suis partie. Sans un mot. Le silence régnait ici-bas, tout semblait crier mon départ dans cette pièce bientôt vide de toi. Il aurait fallu que je prenne le temps de m’arrêter. De regarder dans le miroir et de voir dans mon regard une tristesse qui m’était encore inconnue, voisine de celle qui m’a toujours habitée. Je pars parce qu’il le faut. Et j’emporte avec moi un souvenir rêvé de toi.
J’ai si longtemps eu peur que tu m’abandonnes que j’en ai oublié d’exister. Des années passées à se raccrocher à de petits détails, à sentir encore le parfum de l’herbe mouillée du jardin, quand rien ne pouvait troubler mon repos. Pas même les drames qui se jouaient dans cette bâtisse aux murs moites, alors que la pluie cessait de tomber. C’est à force de se mentir que l’on se crée des vies. Mais tu le sais aussi bien que moi, les mirages, ça ne dure pas. Te quitter toi, c’était quitter un bout de moi. Je t’ai longtemps pris la main, l’ai serrée fort le soir, entre mes draps. Tu auras beau hurler à la déchirure, à mes regrets à venir, à la mélancolie qui éternellement me hantera d’avoir osé tourné le dos à celle que j’étais autrefois, je ne reviendrai pas.
La voix d’une mère prévient souvent des ruptures amoureuses. Mais elle ne t’annonce pas qu’il faudra abandonner un jour une part de toi, l’enfant qui jamais ne veut assassiner l’ignorance. Pourtant, aujourd’hui, je te tue. Pour compter sur celle que je deviens, il me faut faire ton deuil, double bienveillant. Et alors, seulement, les mots que je dépose sur le papier prennent du sens. Comment la solitude pourrait-elle envahir mon cœur quand il y demeure l’ombre de tes songes ? Que vaut l’Enfance face à toi, Imagination ? « Ô ma vraie amie, je ne suis point seule, Tant qu’avec de tels accents tu me parles ! »
Annabelle Gasquez
To Imagination
When weary with the long day’s care,
And earthly change from pain to pain,
And lost, and ready to despair,
Thy kind voice calls me back again:
Oh, my true friend! I am not lone,
While then canst speak with such a tone!
So hopeless is the world without;
The world within I doubly prize;
Thy world, where guile, and hate, and doubt,
And cold suspicion never rise;
Where thou, and I, and Liberty,
Have undisputed sovereignty.
What matters it, that all around
Danger, and guilt, and darkness lie,
If but within our bosom’s bound
We hold a bright, untroubled sky,
Warm with ten thousand mingled rays
Of suns that know no winter days?
Reason, indeed, may oft complain
For Nature’s sad reality,
And tell the suffering heart how vain
Its cherished dreams must always be;
And Truth may rudely trample down
The flowers of Fancy, newly-blown:
But thou art ever there, to bring
The hovering vision back, and breathe
New glories o’er the blighted spring,
And call a lovelier Life from Death.
And whisper, with a voice divine,
Of real worlds, as bright as thine.
I trust not to thy phantom bliss,
Yet, still, in evening’s quiet hour,
With never-failing thankfulness,
I welcome thee, Benignant Power;
Sure solacer of human cares,
And sweeter hope, when hope despairs!
Emily Brontë, Cahiers de poèmes, Points, p. 102.
Traduction disponible ici.
Tracklist :
- Alela Diane — Can You Blame the Sky?
- Sibylle Baier — Colour Green
- Shirley Collins — Scarborough Fair
- Marissa Nadler — Drive
- Judy Dyble — Come All Ye Fair and Tender Ladies (Home Tape Recording 1964)
- Nina Simone — Ne me quitte pas
- The Owl Service — Winter (A Dirge)
- Nick Cave & The Bad Seeds — What a Wonderful World
- Johnny Cash — God’s Gonna Cut You Down
- Linda Perhacs — Parallelograms
- Perfume Genius — Lookout, Lookout
- Tom Waits — Two Sisters
Image de une : illustration de la page de titre du recueil de poèmes Goblin Market and Other Poems, de Christina Rossetti. © Dante Gabriel Rossetti