Avec Le Grand Marin, l’aventurière Catherine Poulain m’a étonnée. Je n’imaginais pas qu’une femme veuille à ce point rivaliser physiquement avec les hommes, et demande à vivre les pires conditions des marins pêcheurs pour se sentir pleinement exister, d’égale à égal. Je ne doutais pas qu’elle en soit capable, en revanche. Bienvenue dans un monde sans limites !
J’embarque sur le Rebel avec l’héroïne du Grand Marin, Lili, poussée comme elle par un profond désir de découverte et une totale ignorance. Je ne sais pas ce qui m’attend dans ce premier roman d’une aventurière, mais il parle de marins et a reçu sept prix littéraires ! Je suis fascinée par les travailleurs et travailleuses manuel-le-s, la mer et ses ports, la littérature qui aide à comprendre les femmes et les hommes. De la pêche, je ne connais que les bateaux à quai et les criées… Catherine Poulain, elle, sait de quoi elle parle. Elle a pêché dix ans en Alaska. Je ne sais pas ce qui relève de son histoire ou de la fiction dans son récit, mais même si Lili est omniprésente, le véritable sujet est néanmoins les marins pêcheurs, sur mer comme sur terre.
Lili ne voulant plus mourir d’ennui dans son village français, elle part trouver une place de femme matelot en Alaska. Entre la pêche au hareng le long des côtes et celle à la morue noire au large, elle choisit la seconde puisque « cela va être dur et dangereux » et que « l’équipage sera composé de matelots endurcis ». La jeune femme veut devenir « un grand marin », comme Jude, le « lion » des mers, qui lui fait peur autant qu’il l’attire. Elle ne trouve pas sa place sur terre, lui y a renoncé depuis longtemps.
Après trois semaines à préparer le bateau, remettre les lignes en état et appâter les palangres, Lili prend enfin le large et découvre la dure loi des marins. Premier arrivé, premier servi ! Mais pas pour la première… On lui a volé sa couchette, donc elle dort sur le plancher sale de la timonerie. Premier jour de pêche, « aube grise […], flots bouillonnants […], ligne qui se déroule, bête folle, monstre marin hérissé de milliers de hameçons […], hurlement des choses et des hommes ». Lili n’y comprend rien, moi non plus. « Ça viendra… », selon Jude le palangrier expérimenté.
Je renonce au dictionnaire et me fais à l’idée d’apprendre sur le tas, mais pas à la dureté du métier. Appâter encore et encore avec du calamar gluant et puant, éviscérer les poissons vivants à peine sortis de l’eau, les voir se débattre lorsqu’on leur racle le ventre avec une cuillère, avoir « des yeux derrière la tête » pour ne pas se blesser ici ou là et « des jambes de marins » pour ne pas glisser sur le pont sale et visqueux. Quand Lili a faim, elle avale en douce la laitance de poisson, histoire de tenir jusqu’à l’heure indéterminée du repas. Elle dégoûte ses équipiers qui donnent la mort sans état d’âme et ne la digèrent que sous forme de jambon et de saucisses. Au point où elle en est, couverte de sang et de viscères de la tête aux pieds, je la comprends, mais je ne pourrais pas avaler un cœur encore palpitant. Elle le fera néanmoins bien plus tard, lors de la campagne de pêche au flétan.
Entre-temps, il y aura eu l’accident. Submergée par la colère face à « ces hommes imbéciles » qui se moquent d’elle et la malmènent, Lili la novice ne voit pas arriver le danger et se fait harponner par les piques vénéneuses d’un poisson. Elle cache la gravité de sa blessure, sa douleur, sa fièvre pour rester « avec les gars » de retour en ville, puis pour repartir pêcher. Elle ne veut pas qu’ils la prennent pour une femme faible, mais il lui faut bien finir par accepter de rentrer au port pour soigner son infection. Question de vie ou de mort. Sortie de l’hôpital, elle attend le retour du Rebel dans l’espoir de retourner au large avec lui. En bonne femme marin, elle s’occupe comme elle le peut, erre sur le port et en ville, fait les bars, dort dans un hangar… Et sa main à peine guérie, elle reprend la pêche.
Le skipper du Rebel a pris de ses nouvelles à son insu et est revenu chercher son « moineau ». Lili est bonne pour tenir des quarts, à présent. La voilà partie pour d’autres pêches et d’autres blessures, d’autres matelots amis, l’idée d’une vie à deux avec le grand marin amant, puis le large à nouveau chacun de son côté… Je saisis que la vie est si fortement ressentie dans ce corps à corps avec l’eau, le vent, les filets, les poissons, le sang, la pourriture, l’alcool, la douleur physique et psychique, que la solitude et la mort ne sont plus qu’un mal pour un bien, à la mesure de l’accomplissement d’une vie.
Image de une : Two Worlds, One Ocean. © 2015 – 2016 Kelogsloops
Éditions de l’Olivier
04/02/2016
384
Catherine Poulain
7,90 €
Une femme rêvait de partir. De prendre le large. Après un long voyage, elle arrive à Kodiak (Alaska). Tout de suite, elle sait : à bord d'un de ces bateaux qui s'en vont pêcher la morue noire, le crabe et le flétan, il y a une place pour elle. Dormir à même le sol, supporter l'humidité permanente et le sel qui ronge la peau, la fatigue, la peur, les blessures. C'est la découverte d'une existence âpre et rude, un apprentissage effrayant qui se doit de passer par le sang. Et puis, il y a les hommes. À terre, elle partage leur vie, en camarade. Traîne dans les bars. En attendant de rembarquer. C'est alors qu'elle rencontre le Grand Marin...