Aya se promène dans les rues de Paris, entre rêve et réalité. Avec ses airs de fin de siècle, Paris est une ville comme elle se l’imaginait petite, faite de volutes de fumées et des songeries de Baudelaire.
Autrefois, Paris n’était pour moi qu’un rêve. Une ville qui n’existe qu’à moitié et qui ne peut jamais être réellement visitée. À présent, je connais ses immeubles haussmanniens et ses rues mal léchées. J’ai siroté du thé dans ses cafés et arpenté ses parcs, de nuit, en quête d’escapades hors de la capitale. Pourtant, Paris m’est toujours étrangère. Ce n’est pas un lieu que l’on apprivoise ou auquel l’on s’habitue, l’effusion de nouveautés y est permanente. Malgré tout, je me surprends parfois à rêver cette ville comme je la voyais avant de la connaître. Le Paris des vieux livres, des cartes postales en noir et blanc. Je l’imaginais hors du temps. Ville-musée à l’ambiance mélancolique. Inodore, insonore, prise dans un éternel froid sans pluie.
Je retiens mon souffle pour arpenter mentalement ses ruelles surannées, reconstituées au fil des maux du Spleen de Paris. Pour accentuer ses airs mélancoliques, j’applique un filtre gris, tirant sa (non) couleur de l’asthénie d’un Baudelaire. Ces tons de gris ne peuvent pas coller à un lieu réel, à une vie. Tant mieux ! Voguant toujours dans le passé, j’ajoute une couche de romantisme, pour parfaire le cliché. Puisque je préfère les poétesses aux muses, je plonge la cité imaginaire dans la douce tristesse des vers de Marceline Desbordes-Valmore :
J’ai rencontré l’Amour, il a brisé ma lyre,
Jaloux d’un peu de bruit, il a brûlé mes vers.
Pour peaufiner cette rêverie, il me faut encore lui donner une voix, des sons, restaurer la lyre fracassée. Le XIXe siècle ne m’inspire pas pour la bande-son. Il est vrai qu’un décor macabre et baroque à la perfection ne peut pas échapper au kitsch burtonien. Je fais appel à mes années d’ado gothique (tu sais tout maintenant) et aux idoles de Tim. Un album s’impose à moi : Pornography, The Cure.
J’ai toujours été plus Robert Smith que Morrissey. L’alanguissement électrique de « Siamese Twins », les paroles cryptiques des morceaux, l’album entier créent une ambiance de fin de siècle, décadente. Smith invoque des fumeries louches hantées par l’esprit de Dorian Gray ou des parnassiens, sur fond d’années 1980. Ce Paris parallèle est presque complet, enfin ! Une touche fantastique. Des Esseintes lègue au Sacré-Cœur son orgue à parfums. Celui-ci répand ses nouvelles créations depuis la butte Montmartre, senteurs imaginaires, potions magiques et envoûtantes.
Œuvres et lieux cité-e-s :
- Le Spleen de Paris, Baudelaire, 1869
- « La Nuit d’hiver », Élégies, Marceline Desbordes-Valmore, 1830
- « Siamese Twins », Pornography, The Cure, 1982
- Le Portrait de Dorian Gray, Oscar Wilde, 1890
- À rebours, Joris-Karl Huysmans, 1884
- Basilique Sacré-Cœur, quartier de Montmartre, 75018 Paris