Patrick Servius, chorégraphe dans la compagnie Le Rêve de la soie, nous fait le plaisir de présenter le spectacle Habiter la frontière, imaginé par la talentueuse danseuse Patricia Guannel, appartenant à la même troupe. Chaque geste a été inspiré par le titre de l’œuvre éponyme de l’écrivaine camerounaise Léonora Miano et par l’univers pictural de Mark Rothko. Corps, lumières, textures et mouvements se mélangent et s’enchaînent, exhortant corps et psyché à se soumettre à tant de beauté. La playlist a été concoctée par le chorégraphe avant sa participation à une résidence de recherche au Brésil, à Manaus. Le texte qui suit est un extrait de son témoignage après cette expérience.
L’altérité… Patricia Guannel et moi nous sommes imposé un double mouvement pour explorer ce champ intime et complexe. Questionner sa propre différence dans une quête solitaire pour Patricia (Habiter la frontière), et en allant à la rencontre de l’autre pour être renvoyé à soi, de mon côté (Trois Rives). Sur la scène du solo, l’espace est peuplé d’invisibles des histoires conjointes pour les chorégraphes que nous sommes. Au fil de la pièce, le public s’engouffre partout où son imaginaire est convié à projeter aussi ses propres invisibles… Habiter la frontière ! Ces visions me ramènent à une expérience personnelle.
À mon arrivée à Manaus, en Amazonie, j’avais déjà derrière moi plusieurs ateliers chorégraphiques, que j’avais menés à Marseille autour de l’idée de création d’un projet intitulé Rhizomes/Trois Rives. Ainsi, j’allais pouvoir comparer les différentes réponses aux enjeux d’un travail d’exploration de nos identités. Je voulais emmener les danseurs et danseuses à se raconter… Au travers d’un travail sur les sensations, leur proposer d’écrire des textes à partir d’idées, d’émotions qu’ils et elles ressentaient. Proposer une mise en scène de cette parole pour la faire circuler, voyager entre les corps. Mon objectif étant d’entendre les imaginaires… Révéler quelques paroles intimes de ce côté du monde. Observer comment chacun-e se dévoile, leur propension à se raconter. Il me semblait percevoir, dans la qualité d’écoute des un-e-s et des autres, comme une volonté de se reconnaître, plus qu’une nécessité de se singulariser… Oui, car chez moi, en France, l’individu-e cherche naturellement à se démarquer pour exister… Du moins, c’est ce qu’il me semblait !
Voilà qui était très troublant pour moi… Alors que je me voulais explorateur de leur culture, j’étais renvoyé encore plus profondément à la mienne ! Je m’étais fixé un programme de travail avec des exercices adéquats pour chaque thème : le rapport à son propre corps, l’écoute de l’autre, faire corps dans des mouvements de groupe, etc. Je me souviens avoir demandé aux danseurs et danseuses de porter des vêtements plus quotidiens pour travailler, au lieu des éternels collants et joggings. Et de m’être ensuite trouvé désemparé devant les tenues que je jugeais trop « tropicalisées » ! Oui, bien sûr, ici, ce n’est pas là-bas… C’est en me confrontant à ces chocs culturels que, petit à petit, l’œuvre à venir devait s’imposer à mon imaginaire.
Patrick Servius
Tracklist :
- Nashaz – Andalus
- Damien Rice – Cheers Darlin’
- Anouar Brahem – The Lover of Beirut
- Dhafer Youssef – La Prière de l’absent
- Dhafer Youssef – Soupir éternel
- Rasha – Hadada
- Julia Sarr – Daraludul Yow
- Richard Bona – Dina Lam
- Kuku (feat. Natalie Ahadji) – Yeye (Mother)
- Mayra Andrade et Jehro – Frágil
Image de une : Habiter la frontière © Patrick Servius