Rencontre avec l’artiste Penda Diouf à l’occasion de son passage au festival Massilia Afropéa. Une femme de théâtre, créatrice et autrice engagée, qui n’a pas fini de faire entendre sa voix.
Penda Diouf a la force tranquille. Directrice d’une bibliothèque à Saint-Denis mais également autrice, elle est à l’origine du festival Jeunes textes en liberté, qu’elle organise chaque année aux côtés du metteur en scène Anthony Thibault. Cet événement est important puisqu’à l’instar de Massilia Afropéa, il permet aux intervenant-e-s d’aborder des sujets oubliés ailleurs, et en l’occurrence, ici, un domaine que l’on sait cloisonné : le théâtre.
Le projet est animé par une question centrale, de laquelle on ne peut se dérober : celle de la diversité sur les planches et derrière la plume. Que ce soit « sur les plateaux de théâtre, par exemple, avec des comédien-ne-s et des metteurs ou metteuses en scène racisé-e-s », nous confie l’artiste, « mais aussi en matière de narration, en interrogeant la pensée post-coloniale, la réalité des banlieues et la présence des personnages minorisés », Jeunes textes en liberté a pour mission de changer la donne. Et il est finalement assez logique de voir que cette démarche est portée par une femme comme Penda Diouf, curieuse et aventurière, toujours avide de nouvelles découvertes et de défis inédits.
À seulement 19 ans, alors qu’elle n’a jamais assisté à une pièce de sa vie, elle écrit sa première œuvre théâtrale, intrépide, et obtient même deux bourses grâce à son travail (en 2007 et 2008). En 2010, le bureau des lecteurs de la Comédie-Française sélectionne son texte. Depuis, elle ne ralentit pas et a contribué à d’autres pièces de théâtre. Mais elle ne sera pas présente à Massilia Afropéa, à Marseille, pour discuter du monde de l’art dramatique. Avec l’aide de la peintre Nadia Valentine, elle a en effet imaginé la conférence dessinée « Est-ce que “noir” est un gros mot ? », ouverte aux enfants de plus de 5 ans, qui se déroulera le 30 octobre 2016. Une parfaite occasion pour les plus petits de poser toutes leurs questions, sans tabou.
Au fond, quoi de plus cohérent qu’un tel sujet pour celle qui déclare, téméraire : « Je veux me sentir libre en chaque circonstance et surtout, ne pas avoir peur. »
Le féminisme, c’est quoi pour toi ?
C’est faire en sorte de veiller à ce que nos droits soient garantis, respectés, que l’égalité soit réelle, et surtout que les femmes décident pour elles-mêmes de leur vie, de leur corps et de tout ce qui les concerne de près ou de loin.
Quelle a été ta rencontre avec le féminisme ?
J’ai d’assez mauvais souvenirs de mariages, dans la famille, où les hommes sont tranquillement installés dans une pièce à discuter, pendant que les femmes font la cuisine. Ce sont des schémas que l’on retrouve partout malheureusement. Pour y échapper, je me cachais derrière mon appareil photo. Cela me permettait de naviguer entre les deux salles, les deux atmosphères, sans que personne ne trouve à y redire.
En littérature, c’est le roman La nuit est tombée sur Dakar d’Aminata Zaaria, décédée il y a un an, qui a confirmé mon envie d’écrire. Elle m’a montré qu’une femme noire pouvait avoir une parole très libre, une plume affûtée et un regard aiguisé sur le monde. À l’époque, son roman a beaucoup marqué la jeune femme que j’étais. Elle m’a ouvert des perspectives.
Quelles sont tes actions au quotidien pour lutter contre les inégalités ?
J’essaie de travailler sur ces questions à travers les rencontres ou animations que je mets en œuvre dans le cadre de mon travail de bibliothécaire : j’invite des réalisatrices de films, j’organise des expositions sur la thématique filles/garçons ou des ateliers de sensibilisation aux médias afin de garder un esprit critique face à ce qui y est véhiculé…
En tant qu’autrice, je n’écris que des rôles féminins, la plupart du temps racisés. Cela permet de rétablir l’équilibre. C’est important de pouvoir se retrouver dans les narrations. Si tu ne te vois nulle part, ni au ciné, ni à la télé, ni dans les livres ou au théâtre, c’est comme si tu n’existais pas.
Quel est le livre indispensable que tu prendrais avec toi sur une île déserte ?
Je pense à une BD de Liv Strömquist que je lis actuellement, Les Sentiments du prince Charles, qui s’interroge sur le sentiment amoureux, le couple hétérosexuel et le patriarcat. J’aurais aimé la lire dix ans plus tôt, ça m’aurait évité bien des déboires… Mais plus sérieusement, ce serait Beloved de Toni Morrison.
Être une femme au XXIe siècle, c’est comment ?
À des degrés divers, quel que soit l’endroit du monde, ça reste dur. J’espère que la conjonction entre les actions individuelles et celles portées par les institutions permettront de changer le regard sur les femmes, de déconstruire les préjugés et de faire en sorte que les femmes accèdent aux mêmes opportunités que les hommes. À bas la domination masculine !
Image de une : Penda Diouf. © Anglade Amédée