C’est un week-end à rester chez soi. L’occasion de lire les sages écrits d’Angela Davis, d’écouter la voix profonde de Sarah Vaughan, de lever le voile sur la mascarade qui se joue devant nos yeux pour mieux la démasquer.
C’est cette nostalgie qui te prend au cœur. L’inachevé de ces journées qui se suivent. C’est la révolte et la colère qui grondent, qui ne peuvent se contenir et doucement s’essouffler. Car il semble que ton état naturel soit devenu celui de l’embrasement. Loin le temps où la douceur de l’existence se voyait ponctuée de sursauts indignés. Elle est aujourd’hui devenue la rage elle-même. Alors que les rayons du soleil caressent timidement la fenêtre, la voix dans la radio commence à articuler du sens.
Le spectacle triste et outrageant de la prochaine élection présidentielle ne fait que commencer et, déjà, l’overdose est là. C’est le bal des infâmes, le défilé des coupables, l’incessante litanie des rois de pacotille défendant une nation républicaine qui n’a de républicaine que le nom. C’est la lutte de ces femmes et de ces hommes depuis des décennies pour une société égalitaire et progressiste qui est balayée dès qu’ils ouvrent la bouche, dès qu’ils soufflent leur haleine fétide jusque dans l’intimité de ton habitation. Mais leur petit jeu de garçons capricieux ne nous fera pas oublier celles et ceux laissé-e-s sur le banc de touche. Qui, comme toujours, plus que jamais, font les frais de leur abjecte impudence. Il faut tout ce dont nous sommes capables pour que notre rage devienne visible, qu’elle soit une force à l’épreuve de leur maltraitance.
Quand tu sors dans ton quartier, tu espères presque trouver quelqu’un-e pour lire dans ton regard ton désarmement le plus total. Tu voudrais abandonner les combats que tu portes, les idéaux qui t’animent. Tu te rêves en Emma Goldman, chaussons rouges aux pieds, à ne plus pouvoir t’arrêter de danser, jusqu’au terrassement. Tu avances, tu croises des ombres animales et végétales, le temps dehors paraît clément à l’heure où l’époque nous trahit.
À chaque fois que tu arpentes les rues, tu sais la chance du refuge qu’incarne un chez-soi. Tu te le rappelles chaque jour. La parfaite cachette. La fuite de la réalité. Le lieu où tout s’arrête pour mieux recommencer. C’est ce sommaire appartement, cette pièce unique dans laquelle tu te sens enfin libéré-e. Là où certain-e-s n’y voient qu’un espace limité, tu trouves l’infiniment grand. Il y a sur la table, devant le lit, un bouquin d’Angela Davis. Ses mots se posent comme des pansements sur la plaie ouverte qu’est maintenant ton cœur. Sa sagesse et son intelligence apaisent la panique générale qui peut te saisir à la simple vue d’une page de journal. Et te donne le courage de participer à la « lutte permanente » qu’est la liberté. Parfois, il faut savoir se taire, écouter. Réfléchir. Malgré la pression constante qui t’appelle à réagir.
Quand arrive le dimanche, la morosité est encore là, bien logée sous ta chair. Et même ces quelques airs de Sarah Vaughan ne parviennent plus à te consoler. Mais la vie a un sens de l’humour que seul Netflix peut comprendre. Et au désarroi des oppressé-e-s, il répond avec une série bling-bling sur la couronne britannique. Quoi de mieux que d’observer des nanti-e-s s’agiter dans la boîte cathodique pour auréoler ces journées incompréhensibles d’une énième absurdité. Et alors que tu te perds dans les complexités d’un drame historique déjà joué, tu es conscient-e que certain-e-s n’ont pas le privilège de s’échapper et d’oublier.
Œuvres et lieux cité-e-s :
- Les Chaussons rouges, Michael Powell et Emeric Pressburger, 1948
- The Crown, créée par Peter Morgan, 2016
- Les Goulags de la démocratie : Réflexions et entretiens, Angela Davis, éditions Au Diable Vauvert, 2006
- La prison est-elle obsolète ?, Angela Davis, éditions Au Diable Vauvert, 2014
- Tenderly, Sarah Vaughan, 1984
- La maison