En octobre dernier, le collectif théâtral TDM abordait pour la 3e fois le thème de la violence politique avec L’Opium du pouvoir, à La Loge, à Paris. La pièce donne voix à un homme seul, qui rumine dans son appartement des faits historiques perturbants liés à l’oppression soviétique. S’articulant autour des discours de figures militantes telles que Władysław Gomułka, Ryszard Siwiec, ou l’anarchiste américain August Spies, elle explore le lien intime entre idéaux, pouvoir et résistance, souvent radicaux et antagonistes.
La compagnie TDM ose le « seul en scène » pour son dernier spectacle, L’Opium du pouvoir, lequel traite, entre autres, des abus du régime soviétique durant la Guerre froide. Son but est de mettre en évidence certaines actions militantes lancées par des individu-e-s isolé-e-s. Mais l’action d’un-e seul-e peut-elle bouleverser l’ordre des choses et faire rompre l’oppression ?
La pièce est à la charge d’un seul comédien (Matěj Hofmann), accompagné d’un violoniste (Pierre-Marie Braye-Weppe), venant lui répondre, tapi dans l’ombre. La scénographie rudimentaire simule une chambre sous les combles.
On devine par l’ambiance que c’est le petit matin. Le public entre dans une pièce nimbée de fumée et d’obscurité. En fond sonore, un disque usé laisse entendre une chanson joyeuse et insouciante aux airs latins. Le comédien, personnage anonyme, est adossé à son bureau et fume une cigarette. On le comprend à ses traits usés et prononcés : si le spectacle sera court, pour lui, la nuit a été longue.
La terre aride des idéaux
Peu à peu, la musique laisse la place à la parole et cette phrase iconique de Fidel Castro : « Sans le pouvoir, les idéaux ne peuvent être réalisés. Avec le pouvoir, ils survivent rarement. » C’est le propos de la pièce entière : l’aveu d’une défaite de l’idéal politique au profit des intérêts des politicien-ne-s.
L’homme solitaire, sur la scène, s’en sert pour questionner le sens de l’abnégation, du sacrifice de soi. Il prend en exemple des figures dissidentes de la Guerre froide qui furent réduites au silence. D’emblée, leur radicalité s’impose comme un problème : doit-on aller jusqu’à sacrifier sa vie ou celle des autres pour faire passer un message ?
L’obsession politique comme quête de sens
Du point de vue de la forme, le rythme de la pièce est sans cesse renouvelé par la pertinence des questions que le personnage se pose, et son obsession à se les poser. On fait face à ses interrogations et à sa révolte, à son refus de la fatalité et à sa quête d’absolu.
Sa rage évoque celle provoquée par le procès d’Adolf Eichmann, qui s’est défendu d’être l’auteur de crimes nazis, invoquant n’avoir été qu’un simple employé administratif répondant à des ordres (lire à ce propos Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem, 1963).
Le premier événement questionné par le personnage est l’immolation par le feu en 1968 du comptable polonais Ryszard Siwiec dans un stade à Varsovie, pour contester l’invasion et l’occupation de la Tchécoslovaquie par les forces du Pacte de Varsovie. En déterrant les discours que le comptable enregistra seul dans sa chambre, notre protagoniste donne à la figure méconnue de Siwiec un caractère mythique. Le narrateur est en quête de faits, mais aussi d’une réponse politique théorique. Seul dans sa chambre, il peste de ne pouvoir agir. Mais il est tout autant englué dans sa recherche de sens, à la manière d’un-e universitaire sous une fontaine de documents.
La possibilité d’une explication cachée, d’un sens secret, entraîne le personnage à la marge d’une mystique du complot. Et celle-ci n’est pas sans rappeler la mise en doute systématique des « discours officiels » de la classe politique, qui est la base des théories du complot, lesquelles pullulent sur Internet.
S’engager pour inspirer
À travers les exemples que la pièce explore (la censure soviétique, les attentats à la bombe de l’anarchiste August Spies à Chicago…), elle aborde le militantisme radical non pas comme étant susceptible de provoquer une réponse politique immédiate, mais bien comme une invitation à rester en éveil. Les faits historiques invoqués, connus ou non du grand public, peuvent à tout moment servir d’antécédents pour un questionnement éthique, notamment en ce qui concerne la perpétration d’actes violents se voulant exemplaires.
Le spectacle, concis et enivré, nous rappelle le caractère élémentaire de la geste politique : marquer les esprits pour entraîner un changement. Dès lors, il provoque le besoin d’éclaircir certains faits et de marquer un temps d’analyse, tel un laboratoire de pensée. On fouille à travers les archives, et c’est avant tout la volonté de s’informer, d’aller soi-même à la recherche du sens, qui est le véritable sujet de la pièce.
Se pose alors la question de la limite de l’information que l’on trouve, la limite de la capacité de s’informer de manière pertinente : c’est-à-dire la question des sources de l’information, et des moyens de son partage. Le théâtre se transforme ainsi en un outil, en un moyen vers une fin universelle et propre à chacun-e, par-delà son propre sort et son inévitable questionnement de soi.
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