L’Inde est un pays au folklore coloré et enchanteur mais aux traditions souvent arides. La vie des femmes n’y est notamment pas de tout repos. La réalisatrice Leena Yadav trace le portrait de l’Inde rurale dans son troisième film, La Saison des femmes, et oppose aux paysages de carte postale une autre réalité, trop souvent ignorée. L’opportunité pour quatre figures féminines de changer leur destin et de nous prendre à témoin. 

 

Après deux films à Bollywood, la réalisatrice Leena Yadav a décidé de s’attaquer au cinéma indépendant, avec la volonté de constater l’état de la société indienne et la condition des femmes qui y naissent et y vivent. Pour ces mêmes raisons, il est malheureusement peu probable que le film passe la censure et soit diffusé en Inde.

La Saison des femmes se veut le portrait fidèle du quotidien des villages reculés, où l’éducation des filles est un tabou. Le maintien des structures patriarcales et maritales est une « nécessité » impérieuse, voire tyrannique, qui fait du poids des traditions une enclume oppressante. Malgré ce constat, les quatre jeunes femmes du film sont mues par une force qui les pousse à continuer à rire, à s’entraider et à chercher les manières de se révolter pacifiquement, joyeusement et exemplairement. Pour exister malgré tout, dans leur entièreté.

La Saison des femmes, réalisé par Leena Yadav, 2016 © Pyramide Distribution

La Saison des femmes, réalisé par Leena Yadav, 2016. © Pyramide Distribution

 

Quatre femmes pour un même combat

Rani, Lajjo, Bijli et Janaki habitent la province aride du Gujarat, dans l’ouest de l’Inde. Elles tentent, chacune à leur façon, de faire face aux aléas de la vie dans une société où les femmes sont soumises à l’obéissance, à la violence des hommes.

Rani marie Gulab, son fils immature et violent, à Janaki, une jeune fille de 15 ans d’un village voisin. Cette dernière ayant un amoureux secret, elle décide de se couper les cheveux dans l’espoir que son mariage forcé avec Gulab soit annulé. Un geste tellement simple, qui prend pourtant une dimension politique, celle d’une rébellion. Toutefois, l’union est maintenue, et la mariée aux cheveux courts apporte la honte sur la maison de Rani, exacerbant le comportement violent de son fils.

La Saison des femmes, réalisé par Leena Yadav, 2016 © Pyramide Distribution

La Saison des femmes, réalisé par Leena Yadav, 2016. © Pyramide Distribution

Lajjo, de son côté, est mariée à un homme ivre qui la frappe et l’accuse d’être stérile. Elle et Rani retrouvent régulièrement leur amie Bijli en marge du village. Celle-ci est une exubérante et attachante danseuse, également prostituée, star d’un club fréquenté par les hommes. L’envers du décor nous est présenté, sans fard. Mais l’arrivée de la télévision dans le village va remettre en question la durabilité de son succès…

 

La tâche ardue de comprendre la violence

L’Inde fait partie de ces pays auxquels nous aimons emprunter la culture, sans trop faire cas du sens (le sari coloré, l’univers Bollywood, la philosophie de Gandhi, le Kamasutra…). La Saison des femmes, lui, s’attache autant à son charme qu’à sa violence intrinsèque. Cette violence se retrouve dans les comportements d’oppressions sociale et patriarcale qui ont lieu dans les castes et les genres.

Les affaires de viols collectifs sont régulièrement mentionnés dans les journaux internationaux. La violence faite aux femmes en Inde n’est pas ignorée, elle est depuis longtemps observée, analysée, et il est important de parler de celles qui tentent d’y résister. C’est sans compter les meurtres de dot, les attaques à l’acide, les crimes d’honneur, les fœticides et autres infanticides des filles. En Inde, deux millions de femmes sont assassinées chaque année.

 

Un élan de solidarité pour guérir les êtres

Dans son film, Leena Yadav tente de donner la voix aux femmes et de montrer leur solidarité, en rempart à la violence et à ses meurtrissures. L’amitié entre Rani et Lajjo culmine dans une scène où la première panse le buste tuméfié de son amie. Avec ce geste de soin, elles démontrent leur bienveillance, leur compassion. Elles s’apportent un soutien mutuel dans un instant d’intimité.

La Saison des femmes, réalisé par Leena Yadav, 2016 © Pyramide Distribution

La Saison des femmes, réalisé par Leena Yadav, 2016. © Pyramide Distribution

Bijli, de son côté, a décidé d’être joyeuse envers et contre tou-te-s. Elle embarque ses amies dans son pick-up et parviendra, malgré leur désespérance, à redynamiser le petit groupe, dans une pétarade de néons colorés et de musique outrancière. Elle est la bouffée d’air frais un jour de grandes chaleurs, la lueur d’espoir quand tout s’assombrit.

Néanmoins, le film est loin du manichéisme. Il compte des personnages masculins qui œuvrent à leur façon pour l’émancipation féminine et deviennent de véritables alliés : Kishan et sa coopérative artisanale permettent aux femmes du village de tirer un revenu de leur travail ; l’amoureux mystique de Lajjo lui permet de découvrir une autre manière – harmonieuse – de faire l’amour ; le fiancé secret de Janaki la rendra heureuse…

 

Changer de regard

À la manière de l’écrivaine engagée Arundhati Roy (d’abord fierté nationale à la publication de son roman Le Dieu des Petits Riens, puis danger politique après son engagement critique vis-à-vis du régime politique), Leena Yadav s’attaque aux maux de son pays avec amour et solidarité pour celles et ceux qui en subissent les troubles.

En résulte un film plein de couleurs et d’audace, de chaleur et d’empathie, de moments d’esthétique pure et de drame, dont l’on sait qu’ils puisent dans des faits trop réels pour ne pas marquer durablement. Jamais misérabiliste, il invite à se battre avec les meilleures armes inventées par l’espèce humaine : l’élan vers l’autre, la résilience et la joie.