Rencontre avec la doctoresse américaine Vineet Arora qui, à l’heure où Donald Trump entre à la Maison-Blanche, a tenu à nous rappeler l’importance de l’accès aux soins pour tou-te-s, aux États-Unis comme ailleurs, mais également la légitimité et l’importance du féminisme à une époque où l’on aurait tendance à s’endormir sur nos lauriers.
Face au manque de femmes à des postes importants dans le milieu de la médecine américaine, à la différence des salaires, et à la présence de préjugés et stéréotypes prégnants, la doctoresse Vineet Arora a décidé de faire de son quotidien une lutte permanente. Chaque jour, elle donne de la voix − et de la plume − pour que les femmes puissent davantage s’imposer dans le secteur de la médecine, et spécifiquement en débloquant leur accès à des emplois clés. Ses conseils, en réponse à des situations longuement observées et étudiées, peuvent tout à fait s’appliquer au-delà des frontières géographiques.
Professeure associée de médecine, directrice du Clinical Learning Environment Innovation et vice-doyenne de la Scholarship & Discovery à l’université de Chicago, elle défend inlassablement sa vision du progrès, ce qui n’est pas chose aisée dans sa branche essentiellement académique. Grâce à des études et à son expérience personnelle, elle a pu observer les obstacles rencontrés par les femmes dans la médecine et s’emploie désormais à proposer des solutions. Elle en a fait sa ligne de conduite.
Au cœur des hôpitaux universitaires, Vineet Arora œuvre à améliorer l’environnement d’apprentissage et l’instruction des résident-e-s, ainsi que la prise en charge des patient-e-s, en privilégiant, entre autres, le temps passé avec ces derniers-ères et en limitant celui des gardes. Depuis dix ans, elle dirige le programme Training Early Achievers for Careers in Health (TEACH Research) de son université, une démarche destinée à inspirer − mais aussi à former − les étudiant-e-s les plus méritant-e-s des écoles publiques de Chicago, dans le but de leur donner la possibilité d’entreprendre des carrières dans la recherche médicale.
Son travail acharné, autant reconnu par ses pairs (elle a notamment obtenu les honneurs de la Society of Hospital Medicine) que par la presse (The New York Times et NPR, pour ne citer qu’eux), vise à faire bouger des lignes qui semblent parfois figées. Elle use aussi de son temps et de sa voix pour tweeter et sensibiliser le public à l’éducation médicale et à la prise en charge des patient-e-s. Une action indispensable à ses yeux, puisque la communication est un premier pas vers la compréhension ainsi qu’une ouverture à la discussion.
Devant l’imminence de l’investiture de Donald Trump, la doctoresse a tenu à nous rappeler l’importance du domaine de la santé, de la perpétuation de la bataille pour les droits des femmes et, plus que jamais, sa détermination féministe.
Le féminisme, c’est quoi pour vous ?
Pour moi, cela consiste à promouvoir l’égalité des sexes et les politiques favorables aux droits des femmes.
Quelle a été votre rencontre avec le féminisme ?
Je sais que cela paraît un peu étrange, mais ma véritable rencontre avec le féminisme s’est faite au cours de l’élection américaine de 2016 − et son contrecoup. Je suis une féministe bien informée, mais je n’avais jamais vécu la réalisation si concrète d’un mouvement féministe majeur jusque-là. Le langage de Trump, objectifiant les femmes, et le fait d’être témoin de la façon dont Clinton, première candidate à la Maison-Blanche, était traitée à certains moments m’ont fait comprendre que le féminisme avait une nouvelle dimension pour moi.
Je ne pense pas être la seule, comme l’illustrent les Women’s Marches qui se mettent en place à travers tous les États-Unis durant cette semaine d’investiture (et le reste du monde, ndlr). Tout cela nous rappelle la nécessité de protéger le droit des femmes à choisir ce qu’il y a de mieux pour leurs propres corps, et de défendre et encourager une meilleure santé pour elles. Deux choses que nous ne pouvons plus désormais considérer comme acquises.
Quelles sont vos actions au quotidien pour lutter contre les inégalités ?
Il y a deux choses que je mets en œuvre chaque jour pour lutter en ce sens. La première est de susciter une prise de conscience, ce que je fais principalement via les réseaux sociaux − surtout Twitter − et en bloguant. La seconde est un marrainage attentif et réfléchi de groupes ou d’individu-e-s qui luttent contre l’inégalité.
Ce soutien peut être financier (comme le fait de faire un don au Planning familial). Mais il s’agit plus généralement d’accompagner une personne qui se bat activement contre l’injustice et en souffre, que ce soit une-e patient-e, un-e étudiant-e, un-e collègue ou un-e ami-e. Je constate que marrainer quelqu’un-e aide non seulement à combattre les inégalités, mais crée aussi un effet multiplicateur, puisque cette personne aidera certainement un-e autre à soutenir une cause.
Quel est le livre que vous prendriez avec vous sur une île déserte ?
J’adore la science-fiction, mais je n’ai pas beaucoup de temps pour céder à ma passion. Alors je dirais que j’emporterais probablement la saga du Trône de fer. Le bouquin que j’ai actuellement sur ma table de chevet est une biographie de Sonia Sotomayor, la première femme latina à être juge de la Cour suprême des États-Unis − et il se trouve qu’elle a aussi le même prénom que ma fille.
Être une femme au XXIe siècle, c’est comment ?
Pour être honnête, c’est un peu perturbant. Notre société a parcouru beaucoup de chemin, mais nous luttons toujours avec des normes genrées profondément incrustées dans l’opinion et des préjugés difficiles à briser. Parfois, j’ai le sentiment d’être comme ces actrices hollywoodiennes qui disent se sentir un peu gênées de lutter pour l’égalité des salaires, alors qu’elles ont déjà tant. Certes, les femmes ont beaucoup progressé, mais c’est justement le moment idéal pour continuer à prôner l’égalité entre tou-te-s. L’élection de Trump a montré que dire simplement « les femmes ont beaucoup progressé » n’était pas suffisant. La complaisance mène à la normalisation des partis pris, et les vieilles habitudes ont la vie dure.
Et puis, il faut que l’on arrête de se battre les unes contre les autres. Les femmes peuvent quelquefois être leurs pires ennemies. Faisons fi des luttes internes − qu’il s’agisse de « guerres de mamans », d’affrontements « femmes au foyer vs femmes actives », ou de mises en compétition au travail. Il est l’heure pour les femmes de s’unir afin de créer un impact collectif, de s’entraider et de s’élever les unes les autres, de ne plus se voir en tant que concurrentes.
J’ai la chance de faire partie d’une ONG, Women of Impact. Ce groupe est constitué de femmes qui ont des rôles décisionnaires et qui représentent tous les secteurs de la santé. L’organisation vise à transformer le système de soins en recensant les professionnelles et en mettant davantage de femmes à des postes clés. Je suis persuadée que, grâce à un impact collectif, les femmes peuvent vraiment faire aboutir l’égalité, que ce soit dans les cœurs ou les têtes de chacun-e.