Géraldine épiait depuis la fenêtre d’en face.

18h : Gaston tourne à gauche, et marche une quarantaine de pas.

18h03 : après avoir monté les trois étages et ouvert la porte avec la clef, Gaston pose son sac de commissions à côté de la table basse de son 15 m².

18h03 (et 42 secondes) : Gaston pose son manteau sur le canapé convertible.

18h14 : après s’être lavé les mains, Gaston sort un saladier, un astucieux bras mécanique et les ingrédients nécessaires à la préparation du repas de ce soir.

18h15 : Gaston casse la coquille d’un, deux, trois, quatre, cinq, six œufs sur le bord du saladier, puis il incorpore 150 grammes de sucre. Il bat le mélange à l’aide de son astucieux bras mécanique et ajoute 20 centilitres de lait, tout en battant à tambour battant le mélange. Il ajoute une demi-cuiller à café de cannelle, puis bat encore le mousseux mélange.

Géraldine épiait toujours depuis la fenêtre d’en face. « Étrange. »

18h25 : Gaston déballe les biscottes du plastique qui les entoure puis, une à une, il les trempe délicatement dans le mélange homogène. Une face après l’autre. Après avoir effectué la manœuvre six fois, Gaston allume la gazinière, puis il dispose une poêle sur un des feux, Gaston ajoute une noix de beurre.

18h27 : le beurre fond.

18h28 : Gaston pose une à une les tranches de biscottes détrempées. Elles frémissent doucement comme un chant de cigales. Avec une spatule, Gaston retourne les biscottes, attend environ deux minutes, puis dans une assiette, Gaston dépose trois biscottes, puis dans une autre assiette, il dépose trois autres biscottes. Il saupoudre de cannelle chaque ensemble.

18h34 : Gaston met son manteau, puis prend ses clefs sur la table basse de son 15 m².

18h35 : Gaston descend les trois étages, puis franchit la porte d’entrée. Il traverse la route et se retrouve sur le trottoir d’en face.

Géraldine épiait toujours derrière la fenêtre : « Étrange. » Elle vit Gaston s’asseoir devant chez elle, sur le trottoir.

18h36 : la variation de lumière créée par le mouvement du rideau dans la main de Géraldine fait se retourner Gaston qui, tranquillement, grignote la spongieuse assemblée qui se prélasse dans son assiette.

18h36 (et 17 secondes) : Géraldine sort. Elle s’approche de Gaston. « Gaston ? demande-t-elle, qu’est-ce que vous faites à 18h36 assis si seul sur un trottoir humide ? » Gaston répond, sans comprendre, à la question : « Je suis comme mon pain, perdu dans une ville où tous les bus sont en grève, je suis comme mon pain, perdu si loin dans une petite rue grande comme un monde, je suis comme mon pain, perdu dans une ville qui brille de mille feux. »


Image de une : © DR