Dans La La Land, Mia et Seb se rencontrent, s’aiment et se déchirent. Damien Chazelle propose un long-métrage qui est, à la fois, une réflexion intéressante sur le rapport que nous pouvons entretenir avec l’art et une tentative vide de rendre hommage au genre de la comédie musicale.
Après le succès incontesté de son Whiplash, Damien Chazelle a séduit Hollywood avec un film en son honneur : La La Land, une comédie musicale mettant en scène Ryan Gosling et Emma Stone (on pourrait difficilement faire plus bankable). Projet de longue haleine, animé par la passion d’un orfèvre cinéphile, ce long-métrage offre une réflexion sur le travail de l’artiste, mais aussi sur les spectateurs-rices.
L’histoire de La La Land est familière, déjà vue, et même résolue dès les paroles de la première chanson. Elle montre les artistes – et leurs galères – de manière romancée et selon les codes des films à l’eau de rose. Mais celui-ci prend une posture un peu différente en présentant Mia et Seb comme spectatrice et spectateur avant tout. En effet, si elle et il espèrent réussir (respectivement dans le cinéma et la musique), il n’en reste pas moins qu’elle est serveuse et que lui joue dans un groupe pour gagner quatre sous, en attendant de pouvoir ouvrir son propre club de jazz.
Tou-te-s spectatrices et spectateurs
Selon Anna Leszkiewicz*, Mia et Seb ne font que regarder. Qu’il s’agisse de La Fureur de vivre au cinéma, des décors d’un tournage, ou encore d’un concert de jazz. Leur relation est entièrement basée là-dessus : Mia regarde Seb jouer cinq fois dans le film, et chaque fois est une opportunité pour les spectateurs-rices de comprendre un peu mieux l’évolution de Mia et de sa relation avec Seb. L’élément qui détermine la fin de leur couple est justement le fait que ce dernier ne rend pas la pareille quand il le devrait : il ne se présente pas à la pièce de théâtre de Mia.
En développant l’idée qu’être spectateur-rice est aussi important que d’être acteur-rice, La La Land pourrait proposer un propos intéressant et touchant sur la comédie musicale et le rapport du spectateur à l’art. Le conditionnel est important, car la persistance de Damien Chazelle à vouloir en faire un film hommage lui fait perdre tout poids et tout équilibre. Il franchit la frontière si fine entre magistrale réactualisation et imitation vaine.
L’héritage corrompu des comédies musicales
Le long-métrage démarre en effet sur un plan-séquence virevoltant qui rappelle Les Demoiselles de Rochefort, continue avec un numéro rendant hommage à Grease et, bien entendu, à Gene Kelly dans Chantons sous la pluie. Cet enchaînement de références amène des séquences qui ne font pas trop sens dans la narration. Ainsi, après un début haletant, le film tombe dans un rythme inégal.
Sur le plan technique, il n’y a rien à reprocher à La La Land : la réalisation est très propre, précise, et les acteurs et actrices sont très bien dans la limite des capacités offertes par leur rôle. Cependant, la surenchère de références étouffe le long-métrage et restreint son propos à Hollywood, alors qu’il pourrait avoir une portée bien plus large : il ne s’agit pas ici d’être un-e acteur-rice ou un-e spectateur-rice, mais bien d’être un-e acteur-rice ou un-e spectateur-rice dans la machine hollywoodienne.
La La Land connaît finalement la même destinée que The Artist de Michel Hazanavicius quelques années plutôt : les deux ont comme point commun d’être des hommages totaux à un cinéma classique disparu (et inévitablement fantasmé par les nouvelles générations de cinéastes). Il ne s’agit pas ici de dire que son succès n’est dû qu’au fait qu’il se pose en héritage direct de ce cinéma, mais la standing ovation de Hollywood, créature narcissique s’il en est, était finalement à prévoir.
Double standard, Hollywood écrit ton nom
Pour citer une nouvelle fois Anna Leszkiewicz, il est impossible de ne pas oublier que l’on regarde un film durant le visionnage de La La Land. Il est beaucoup trop référentiel pour cela ; sa détermination à montrer le rêve hollywoodien dans toute sa splendeur est en fin de compte ce qui l’étouffe. Mia est Emma Stone et Emma Stone est Mia : une jeune actrice correspondant aux canons de beauté hollywoodiens, qui connaît rapidement le succès. La raison de celui-ci n’est jamais connue : Mia est-elle une bonne actrice ? La question reste secondaire. Alors que le film s’attarde longuement sur les performances de Seb et sa détermination à faire du « vrai » jazz, le travail de Mia est souvent mis en ellipse.
À la fin, Mia rentre dans le café dans lequel elle travaillait. Elle commande son café et laisse un pourboire généreux. La scène est un parallèle avec l’ouverture du film, dans laquelle une actrice célèbre fait la même chose avec elle. Est-ce cela, le rêve hollywoodien ? Rentrer dans un café, être reconnue, et laisser 5 dollars à la serveuse ?
La séquence finale, qui réunit Mia et Seb une dernière fois, ne parvient pas assez à émouvoir pour faire oublier le goût amer que laisse cette conclusion convenue à la carrière de Mia. Une carrière à l’image de La La Land : une bonne œuvre, oui, audacieuse dans ses meilleurs moments, mais dont l’identité a été sacrifiée à la gloire de Hollywood, malheureusement.
* In defence of La La Land, par Anna Leszkiewicz, NewStatesman, 6 février 2017