Les beaux jours viennent caresser les journées d’une main délicate, l’occasion de se replonger dans les sonnets de John Keats, poète anglais du XIXe siècle. Comme Percy Bysshe Shelley, l’homme s’illustra largement dans cet exercice, ses textes évoquant des paysages bucoliques, des moments de calme teintés par les couleurs d’un beau soir d’été. On retrouve ici l’héroïsme poétique tant aimé des romantiques anglais-es de l’époque, indissociable de la nature, maîtresse du tout, mais surtout du génie.

 

Un temps comme ça, mon amour, il nous échappe entre les doigts. Les rayons comme des illusions se glissent entre nous, duo chantant sur un arc-en-ciel infini. Il y a le grain si délicat des vieux films, le paysage mouvant au rythme d’une pellicule, et le bruit si singulier d’un temps ancien. Il semble que la voix de Rod Serling ronronne doucement, contant le récit de nos vies. Prisonnières des mots d’une personne, dans cette zone en trompe-l’œil où fleurissent les pivoines, soumises à la volonté de l’histoire qui s’écrit au fil de la pensée. Le soleil encore s’emploie à sa tâche, il réchauffe le sol, et nos pieds nus dessus. Tout autour est brouillé, et pourtant, nous submerge, cette brise qui souffle doucement sur l’épiderme découvert, et les arbres qui chantent depuis le commencement de chaque chose. Il est beau le souvenir de cette affection partagée, quand le silence se fait chant du cygne de nos existences égarées. C’est par un beau soir d’été que le mirage s’efface, quand enfin il faut ouvrir les yeux. Que le béton emprisonne les réminiscences de jours heureux, de chaleurs partagées et d’odeurs ouatées. Carmen McRae s’invite dans une danse solitaire. Sa voix surtout. Et les volutes de son écho épousent le mouvement lent d’un corps presque irréel. Là, dans cette pièce vouée à la solitude. Les rayons qui touchent une main, puis une épaule sont les mêmes qu’alors. Quand le temps s’échappait et qu’il nous regardait contemplant notre futur passé. C’est la pellicule qui brûle, qui tourne dans le vide, résonne comme cet été maudit où l’on se taisait, enlacé-e-s, là.

Annabelle Gasquez

O! how I love, on a fair summer’s eve,
When streams of light pour down the golden west,
And on the balmy zephyrs tranquil rest
The silver clouds, far – far away to leave
All meaner thoughts, and take a sweet reprieve
From little cares; to find, with easy quest,
A fragrant wild, with Nature’s beauty dressed,
And there into the delight my soul deceive.
There warm my breast with patriotic lore,
Musing on Milton’s fate – on Sydney’s bier –
Till their stern forms before my mind arise:
Perhaps on wing of Poesy upsoar,
Full often dropping a delicious tear,
When some melodious sorrow spells mine eyes.

Oh, comme j’aime par un beau soir d’été,
Quand la lumière à l’ouest déverse ses flots d’or
Et que sur les zéphyrs embaumant calmes dorment
Les nuages d’argent, loin – loin laisser
Toutes les pensées plus mesquines, et m’offrir la douceur de surseoir
À des soucis mineurs ; trouver, sans difficile quête,
Un lieu d’odeurs sauvages que de sa beauté la Nature a paré,
Et là dans les délices bercer d’illusions mon âme.
Là m’échauffer le cœur de la tradition léguée par la patrie,
Rêvant au destin de Milton – au convoi mortuaire de Sydney –
Jusqu’à voir devant mon esprit se dresser leurs austères silhouettes :
Peut-être sur l’aile de la Poésie prendre essor
Laissant souvent une larme délicieuse perler
Lorsqu’un chagrin mélodieux m’ensorcelle les yeux.

 

Seul dans la splendeur, John Keats, édition bilingue,
textes traduits par Robert Davreu, éditions Points, 2009

 

Tracklist :

  1. Blossom Dearie — Tea for Two
  2. Carmen McRae — Dedicated to You 
  3. Ray Charles et Betty Carter — Ev’ry Time We Say Goodbye
  4. Carmen McRae — Summertime
  5. Nina Simone — Do I Move You?
  6. Betty Carter — ‘Round Midnight
  7. Peggy Lee — Why Don’t You Do Right?
  8. Etta James — I’d Rather Go Blind 
  9. Sarah Vaughan — Lullaby of Birdland
  10. Patsy Cline — Crazy
  11. Marilyn Monroe — I Wanna Be Loved By You
  12. Ella Fitzgerald — Bewitched, Bothered, And Bewildered

 


Pour celle et ceux qui préfèrent Spotify, c’est par là.

 


Image de une : Branche de pivoines blanches et sécateur, Manet, détail.