En 2012 sortait la seconde adaptation au cinéma de Millénium : Les Hommes qui n’aimaient pas les femmes, roman de l’auteur suédois Stieg Larsson. Réalisée par David Fincher, elle nous plonge dans les tréfonds de la noirceur humaine, sa célèbre justicière punk lui donnant le courage d’aller plus loin que les apparences.
L’histoire de Millénium : Les Hommes qui n’aimaient pas les femmes est on ne peut plus actuelle : un journaliste d’investigation, Mikael Blomkvist (Daniel Craig), est mis à terre par un puissant homme d’affaires, dont il a dévoilé les liens avec la mafia. Acculé professionnellement, il accepte la proposition du riche industriel Henrik Vanger (Christopher Plummer) qui est d’enquêter sur le meurtre de sa nièce Harriet, survenu quarante ans plus tôt.
Le journaliste parvient à relier cette affaire à une série de féminicides et crimes antisémites non résolus, mais il se heurte à ses propres limites. On lui suggère alors de faire appel à une jeune hackeuse atypique et surdouée, Lisbeth Salander (Rooney Mara). Leur rencontre est fusionnelle, mais cette histoire ne les laissera pas indemnes, puisque le duo va se confronter aux pires instincts de l’être humain…
Se démarquer de l’adaptation suédo-danoise
Ce qui frappe dans cette adaptation, c’est sa concision. On connaît David Fincher pour son efficacité coup-de-poing. Ici, on le sent plus effacé pour laisser la place au déroulement de l’enquête et à la fureur salvatrice de son héroïne.
Là où la version suédo-danoise (avec Noomi Rapace et Michael Nyqvist) avait tendance à donner l’avantage au personnage de Mikael, l’américaine renverse largement la balance en faveur de la justicière punk et avisée. Elle parvient même à faire apprécier Daniel Craig (pour tou-te-s les déçu-e-s de James Bond) dans le rôle de l’éternel malmené.
La sobriété glaciale mais appréciée du film en fait une œuvre à part dans la filmographie de son réalisateur. Celles et ceux qui sont captivé-e-s par les enquêtes impliquant à la fois des meurtres, des affaires de viol et du journalisme d’investigation face aux dérives du grand capital seront comblé-e-s par le souci d’exactitude de ce Millénium audacieux.
Stieg Larsson était lui-même journaliste, et David Fincher transmet brillamment ce goût pour la documentation. Millénium est un film qui se lit. Assister au déroulement de l’enquête, c’est comme tourner les pages d’un livre retraçant avec minutie les épisodes d’une fouille au cœur de la noirceur humaine.
L’icône punk Lisbeth Salander
Mais il s’agit avant tout de l’histoire d’une justicière. Lisbeth Salander fait partie d’une frange de la population qui évolue dans la marge. Pupille de l’État, elle est dépendante de son tuteur et effacée des fichiers publics. Elle n’existe donc pas officiellement pour le quidam qui viendrait s’enquérir de son identité.
Elle travaille pour une société privée de renseignement, au sein de laquelle ses talents de hackeuse sont fortement appréciés. Toutefois, son attitude et son apparence physique ne font guère l’unanimité. Punk, asociale, bisexuelle, sans ménagement pour les conventions, Lisbeth Salander dérange l’ordre établi et doit son insertion délicate dans la société à la confiance de son tuteur… jusqu’à l’assignation d’un nouveau tuteur, dont elle aura à se défendre.
Et s’il fallait s’exclure pour changer le monde…
Le roman de Stieg Larsson fait un état des lieux consternant de la société suédoise et dresse un portrait noir des hommes qui la composent. Ceux qui n’y abusent pas de leur pouvoir font exception. Et parmi les hommes que l’auteur vise, il y a des monstres. Lorsque Mikael propose à Lisbeth de l’aider à résoudre cette énigme, une seule phrase suffit à résumer la situation : « Je veux que tu m’aides à attraper un tueur de femmes. »
De fait, Lisbeth incarne l’espoir de réussir à changer ce monde corrompu. Elle, la justicière dont notre société aurait bien besoin. Une jeune femme qui sort des radars, se situe en dehors des convenances acquises et maîtrise avec virtuosité les nouvelles technologies. Dans un contexte où ces dernières ont de plus en plus de prise sur nos vies, le personnage de Lisbeth Salander s’extirpe des ténèbres de notre impuissance.
Elle a le courage d’être elle-même et de ne rien céder aux autres concernant le cours de sa vie. Elle représente ainsi un modèle d’affranchissement des normes sociétales.
Cette force d’émancipation est d’autant mieux portée par l’actrice Rooney Mara (qui avait déjà tourné avec David Fincher dans The Social Network), qu’on ne l’attendait pas a priori dans un tel rôle. Elle donne en effet vie à une Lisbeth qui a l’air de sortir du réel. Elle se fait plus proche de ce à quoi nous ressemblons au plus profond de nous-mêmes : pas seulement un être de fiction, mais un être de corps, d’intelligence, de choix et de sensibilité.