Nina attend dans un café, et son esprit se lance dans de longs calculs mathématiques et sentimentaux. Elle pense au présent et à l’avenir, et au chemin que sa manière de croire a parcouru depuis son enfance.

 

Personne ne nous demande de croire. Je pense qu’enfants, nous sommes déjà suffisamment avides de croire. Croire les explications des grand-e-s, des adultes qui nous disent quoi faire ou ne pas faire. Mais cela, pour nous, c’est d’abord une excuse pour mieux retourner jouer. Et alors, nous nous divertissons de leurs explications en ne croyant que ce qu’il y a dans nos jeux, qui n’appartiennent qu’à nous. Nous croyons qu’ils sont sans limites. Comme s’il pouvait y avoir une limite à l’imaginaire…

J’attends au café Le Paradis, rue Saint-Martin, juste à côté de l’église Saint-Merri. C’est une petite église gothique construite sous François 1er, avec un imposant portail garni de moulures et de sculptures. Un petit diable tire la langue et orne la pointe de son ogive.

Alors qu’il élève sa gothique érection vers le ciel, l’édifice est en son intérieur décoré de peintures baroques plus tardives, tout en chute et en déstructuration, une allure bancale propre au style du XVIIIe siècle. J’aime cette église comme on aime une lune.

Dehors, le soleil nargue le passage des touristes qui se pressent dans la rue des Lombards ou vers Beaubourg. Moi, je repense à la notion de limite en mathématiques : l’approche de la valeur limite d’une fonction aux bornes de son ensemble de définition, par quantités infinitésimales.

C’est comme un horizon dans un champ de nombres, dans lequel on tente de se faire le ou la plus petit-e possible pour se rendre à la lisière de ce qu’on aime.

Je repense à ce que j’aime, en réécoutant David Bowie, « Station to Station », et Marilyn Manson. Le diable du métal rend hommage au roi Ziggy dans son album Mechanical Animals. Mais c’est la réécoute de l’album Holy Wood qui me donne envie de me replonger dans la discographie de celui qui rêvait de la vie sur Mars.

Je n’ai jamais été partisane du « c’était mieux avant ». Mais maintenant que nous avons un nouveau président de la République, il faudra repenser la manière de poser notre regard sur tout ça. Le sort souvent misérable que l’on réserve à la culture, et comment la défendre.

J’absorbe mon temps libre cet après-midi comme le soleil absorbe mes pensées confuses. Confuses et déliées. Mes mathématiques ici n’ont pas de limite, et je n’ai pas de limite à moi-même en ce jour de grande tristesse, mêlée d’inquiétude et d’une grande joie.

Je vous le dis : je pleure en pensant que j’existe, et j’aimerais tant que quelque chose arrive, qui change à nouveau le cours dément de nos vies au pacifisme soumis.

Entre l’utopie mathématique des un-e-s et la folie financière de certain-e-s, j’approuve mon propre sentiment de défiance. Et mon cœur se déchire dans ce paisible après-midi autour d’un café, comme un athéisme dans la lumière.

 

Œuvres et lieux cité-e-s :

  • « Station to Station », Station to Station, David Bowie, 1976
  • Mechanical Animals, Marilyn Manson, 1998
  • Holy Wood (In the Shadow of the Valley of Death), Marilyn Manson, 2000
  • Café Le Paradis, 76 rue Saint-Martin, 75004 Paris
  • Église Saint-Merri, 76 rue de la Verrerie, 75004 Paris