Lors de la Quinzaine des réalisateurs à Cannes cette année, Philippe Garrel a décroché le prix SACD avec son nouveau long-métrage L’Amant d’un jour. S’il a pour habitude de toujours dépeindre le sentiment amoureux dans ce qu’il a de plus incertain, il l’enveloppe cette fois-ci d’une quiétude inédite. Loin d’être un long fleuve tranquille néanmoins, l’amour s’accepte tel qu’il est, à vif !
Plans fixes, décors minimalistes et cadence contemplative… On ne se lasse pas de voir se réinventer le cinéma de Philippe Garrel. Sa patte impressionniste lui confère une grande justesse dans la transmission des émotions. Cela rend alors possible l’identification des spectateurs-rices à travers des films intimistes, souvent autobiographiques. Des passions, des promesses, des ruptures… Autant de rouages sentimentaux qui constituent chez lui des sources d’inspiration inépuisables.
L’Amant d’un jour prend la forme d’une nouvelle, où l’intrigue se dévoile en toute simplicité. Celle-ci est menée par un trio énigmatique : Gilles, un professeur de philosophie (joué par Éric Caravaca), sa jeune compagne étudiante Ariane (Louise Chevillotte), et la fille de Gilles, Jeanne (Esther Garrel), ces dernières ayant le même âge. Contre toute attente, le trio fonctionne, il se construit même une certaine harmonie entre nos protagonistes. La déroute sentimentale peut commencer, à l’image d’une valse qui n’en finit plus.
L’amour dans sa dimension charnelle
Qu’il s’agisse d’Ariane, l’amante fougueuse, ou de Jeanne, l’amoureuse transie de son fiancé, elles se définissent toutes deux d’emblée par la passion. D’un côté raisonnent des cris de jouissance, de l’autre, les pleurs déchirants d’une fiancée abandonnée. Il s’agit de deux émotions antagonistes, qui font pourtant partie intégrante du même sentiment. On en oublierait presque l’écran, tant les cris des actrices sont poignants.
L’amour est ici une expérience corporelle, qui impacte directement l’apparence des personnages. Il n’y a qu’à voir la sensualité d’Ariane transparaître de son visage, ou le corps « maigre comme un coucou » de Jeanne, sur le point de s’écrouler sous le poids la tristesse. À travers ces deux pôles contraires, Garrel montre l’amour dans ce qu’il a de plus sensible. Loin des questionnements existentiels, la passion se défait de toute intellectualisation. Elle se ressent, dans le plaisir comme dans la douleur.
L’amitié, un guide à travers les méandres sentimentaux
Au lieu de créer un clivage entre les deux jeunes femmes, leurs différences tissent la toile de leur amitié. Au fur et à mesure qu’elles apprennent à se connaître, elles deviennent complices, et finissent même, inconsciemment, par évincer la figure masculine. Cette entente a autant d’importance que leurs romances respectives dans l’intrigue, elle permet même une évolution du cheminement amoureux. À titre d’exemple, c’est à la suite des conseils d’Ariane que Jeanne reprend goût à la vie après sa séparation.
Parallèlement, Ariane explore son propre rapport aux hommes en aidant son amie. Car on devine que derrière son assurance, il lui reste encore des choses à creuser. En fait, l’amitié permet une prise de recul sur l’amour de manière générale. Les échanges d’Ariane et Jeanne sont particulièrement riches à ce sujet, notamment en ce qui concerne leur besoin de filiation. En discutant, elles prennent de la distance face à leurs émotions et les appréhendent de manière plus sereine. Jeanne en arrive d’ailleurs à la conclusion suivante : « Le couple, c’est comme un grand manteau, quand on le quitte, on affronte le grand froid. » Si le grand froid ne lui a pas fait de cadeau, y faire face lui permet peu à peu de reprendre goût à la vie, à l’image d’un bourgeon après l’hiver.
Les quatre saisons du cycle sentimental
L’Amant d’un jour présente l’amour comme un processus progressif. D’abord naît la passion, puis l’attachement filial, qui débouche sur une rupture douloureuse, pour aboutir à une renaissance. Ce schéma est parfaitement illustré avec la juxtaposition de deux romances : l’amour naissant d’Ariane et de Gilles, et la rupture de Jeanne avec son fiancé. L’une et l’autre se superposent à un tel point que la situation s’inverse. Au fur et à mesure que la fille se remet de sa peine de cœur, la relation du père bat de l’aile.
L’ensemble est présenté avec son lot de joies et de peines, mais rien n’est vécu dans l’emphase dramatique. La douleur est assumée comme une partie intégrante du mécanisme sentimental : « Tu t’en remettras, je t’assure, on s’en remet toujours ! » dit Ariane à Jeanne, qui pleure son fiancé. Cet aspect périodique de l’amour est renforcé par le minimalisme exacerbé du décor. Qu’il s’agisse des locaux de l’université, des rues ou de l’appartement, tout est quasiment dénué d’indicateurs spatiotemporels. L’amour prend alors la forme d’un mirage, allant et venant à l’infini.
Si l’amour est versatile, il n’en perd pas pour autant son statut de muse. Dans son dernier film, Garrel le poétise comme une irrépressible fuite vers l’avant, destiné à se répéter. Désacraliser la passion éternelle ne fait pas du réalisateur un cynique, bien au contraire ! Il nous encourage à nous abandonner, à nous confronter au « grand froid », comme ses personnages. On sort de la salle apaisée, comme après une thérapie. La catharsis a fait son effet…