Quoi de mieux pour fêter le début des vacances de Deuxième Page qu’une playlist menstrueuse concoctée par Jack Parker herself ? RIEN, bien évidemment. La jeune autrice s’invite en effet sur nos pages digitales pour quelques chansons qui ont comme thématique les menstrues. Et ici, on aime bien te parler de menstrues, tout le temps. Jack nous a choisi un passage de son livre Le Grand Mystère des règles, paru chez Flammarion en mai 2017, pour accompagner sa sélection musicale. C’est un livre de l’été indispensable. Bonne écoute et bonne lecture !
Pourquoi il est important de parler des règles
Il faut savoir faire la différence entre parler des règles et parler de ses règles. L’abolition du tabou ne doit pas nécessairement passer par le sacrifice de la pudeur et de l’intimité – lorsqu’on insiste pour que le sujet soit abordé plus souvent et plus librement, cela ne signifie pas qu’on attend des personnes menstruées qu’elles nous donnent tous les détails de leurs règles chaque mois, au jour le jour, avec un bilan sur la couleur, la consistance et l’odeur de leur sang menstruel.
Si partager ces détails vous dérange, il est bien évident que votre pudeur mérite d’être respectée. De la même façon, si pour d’autres personnes la libération doit passer par la parole et le partage de détails intimes, il faut apprendre à se retenir de grimacer et de s’offenser. On ne se permettra jamais de critiquer les personnes qui préfèrent garder ça pour elles, en échange on demande juste à ne plus être jugés et boudés lorsqu’on parle des règles.
Comment faire, alors, pour inclure les règles dans les conversations banales du quotidien et cesser de les traiter comme un secret d’État qui ne doit surtout pas tomber dans les mauvaises oreilles ? La réponse est simple : en parler, et puis c’est tout. Ne plus se cacher, ne plus utiliser de métaphores, ne plus chuchoter ou grimacer de honte quand il s’agit de signaler qu’on a ses règles, c’est déjà une première étape. Apprendre à dire simplement « j’ai mes règles » n’est pas chose aisée pour tout le monde – moi-même, j’ai mis quelques années avant d’arrêter de dire « je suis indisposée » (ce qui évoque des images bien plus violentes qu’un simple « j’ai mes règles » finalement, mais ça me paraissait moins austère, moins gênant, plus facile à faire passer auprès des copains).
Avant même de commencer à m’engager dans ce qu’on appelle l’activisme menstruel, avant même de savoir qu’une telle chose existait, j’ai commencé à en parler un peu autour de moi. À profiter des conversations en terrasse ou tard le soir entre copines pour échanger quelques histoires. Ça commence simplement, lorsqu’une personne annonce avoir ses règles ou être en retard, et petit à petit les langues se délient. On parle douleurs, contraception, protections hygiéniques, transit… On s’échange des petits détails au fur et à mesure et il faut toujours un berger dans la meute, qui prend la peine d’emmener la conversation encore plus loin, de la guider hors des sentiers battus pour rentrer dans le vif du sujet, s’assurer que le silence ne s’installe pas. Il faut poser des questions, pousser les gens à développer leurs réponses – sans brusquer personne, bien évidemment. Dans un cercle intime, c’est plus facile. Toutes les conversations prennent la forme de confidences, on se retrouve dans le même état d’esprit que pendant les soirées pyjama de notre enfance et notre adolescence, quand tout se partage et tout émerveille, stupéfie, horrifie. Il faut savoir profiter de ces moments-là pour se libérer sur tout un tas de sujets, quand on se sent suffisamment en confiance pour poser des questions, se confier, avouer ce qu’on ne dit pas le reste du temps. Et parler de règles en petit comité, c’est s’assurer d’avoir le temps et l’espace de parole nécessaire pour bien profiter de l’instant. C’est une première étape, avant de se lancer dans une propagande plus globale et d’imposer le sujet à la table du dîner de Noël (personnellement je n’ai jamais eu l’occasion de tester, mais j’en rêve secrètement).
Ce sont ces conversations qui permettent d’en apprendre le plus, parce qu’on aura beau étudier le sujet en long, en large et en travers, tout ne reste que théorique. Même en lisant des témoignages, la distance entre la personne qui témoigne et celle qui lit reste trop énorme pour qu’on puisse complètement s’investir dans son expérience. Mais quand on est quelques-uns autour d’une table, on peut en apprendre beaucoup et, surtout, on peut poser ses questions en direct sans risquer d’être frustré par le manque d’informations.
Par exemple, je connaissais depuis longtemps l’existence des éponges menstruelles et j’avais lu plein de témoignages sur le sujet, mais j’ai été ravie de tomber sur une amie qui les avait déjà testées pour lui poser dix milliards de questions qui m’ont, enfin, motivée à peut-être essayer un jour (à l’heure où j’écris ces lignes ce n’est pas encore fait, mais je ne perds pas espoir). J’ai vu beaucoup d’autres amies vivre la même expérience avec d’autres histoires, et ce réseau d’échange a toujours été précieux à nos yeux et nous permet de tout mettre en commun de manière à avoir un maximum d’informations à portée de main pour ne pas partir complètement à l’aveuglette.
N’hésitez pas non plus à raconter vos anecdotes, et à demander aux autres d’en faire de même. Quelle est votre pire histoire de fuite ? Combien de sous-vêtements avez-vous tué avec vos règles ? Quel genre de culottes portez-vous pendant vos règles ? Est-ce que quelqu’un s’est déjà retrouvé avec votre sang menstruel sur son corps ? À quel genre de système D avez-vous dû avoir recours un jour de panne de protections hygiéniques ?
À partir de quelques histoires et des bonnes questions, on peut en parler pendant des heures sans jamais cesser d’apprendre, de rire et de s’étonner. Plus on en parle, plus ça normalise le sujet, plus ça le rend trivial et quotidien – tout ce qu’il devrait être, dans un monde idéal (bientôt, on l’espère). Toutes les fonctions corporelles font de bons sujets de confessions, et on peut toujours trouver le moyen d’en rire, de se surpasser dans l’absurde et de transcender ce qui a pu être un moment humiliant mais qui devient, grâce à ces conversations, une super histoire pour faire marrer les potes et dédramatiser le tout.
Pour les personnes qui ne sont pas directement concernées par les règles, ou celles qui le voient encore comme quelque chose à cacher, il est important aussi d’apprendre à surpasser ses a priori et à retenir ses réactions épidermiques lorsque le sujet est abordé. Ne prenez pas des airs dégoûtés, ne raillez pas les personnes qui en parlent, ne vous bouchez pas les oreilles en menaçant de quitter la pièce si on ne change pas de sujet rapidement – demandez-vous plutôt pourquoi ça vous dérange autant.
Qu’est-ce qui, dans les règles, vous pousse à prendre autant de recul, à grimacer face aux images qui vous viennent en tête ? Qu’est-ce qui vous donne l’assurance de demander aux personnes qui en parlent de se taire, et comment justifiez-vous ce pouvoir que vous vous donnez ?
Ça ne fait pas de vous une mauvaise personne, mais simplement la victime d’une éducation et d’un environnement social qui vous apprend depuis toujours à réagir comme ça, souvent inconsciemment. Ce n’est pas comme si on vous avait répété toute votre enfance que les règles étaient sales et dégoûtantes et honteuses (sauf dans certains milieux religieux, peut-être, avec des arguments justifiés par des textes sacrés et des traditions ancestrales), mais c’est néanmoins ce que vous avez intégré, malgré vous.
Or, nous avons la chance en tant qu’êtres humains de pouvoir nous remettre constamment en question, d’évoluer, de dépasser ses convictions. Ce serait quand même dommage de ne pas mettre ce grand pouvoir à profit régulièrement – surtout sur un sujet comme les règles qui concerne directement, je le rappelle, la moitié de la population mondiale et qui est globalement inévitable. Ah, et qui permet aussi de donner la vie, accessoirement. Être violemment repoussé par une fonction corporelle sans laquelle on n’existerait pas, ça semble un poil contradictoire, quand on y réfléchit deux minutes.
Rien ne sert cependant de reporter la honte sur le camp adverse – le but n’est pas de rejeter toute personne n’ayant pas encore fait le chemin nécessaire pour accepter les règles comme quelque chose de normal et naturel et de non-tabou, ni de les blâmer. Si c’est votre cas, on ne vous demandera pas de vous flageller en répétant mille fois « je suis une mauvaise personne », tout en vous tartinant le visage de sang menstruel en guise de pénitence (c’est tentant, je sais, mais restons courtois).
En ce qui me concerne, ce que je refuse de faire aujourd’hui, c’est de me taire ou de chuchoter lorsque j’aborde le sujet. Si ça gêne, ce n’est pas à moi de me remettre en question, et je suis toujours ravie de pouvoir débattre sur le sujet pour démêler tout ce foutoir et essayer d’y voir plus clair et de faire comprendre à mon interlocuteur pourquoi j’estime que c’est important pour moi d’en parler librement et publiquement.
J’ai encore quelques personnes dans mon entourage qui persistent à grimacer quand je parle de règles ou de vagin, mais c’est presque devenu un jeu : je fais exprès d’en faire des caisses sur le sujet, et elles prennent un air outré et scandalisé, et on en rigole. Et je suis persuadée qu’au fond, ça ne les dégoûte plus autant qu’avant et qu’ils trouvent ça de plus en plus normal. En tout cas, ce qui est sûr, c’est qu’ils n’essayent plus de me faire taire – surtout face au nombre grandissant de personnes qui prennent plaisir à se joindre à la conversation pour partager leur point de vue et leurs expériences personnelles.
Plutôt que de tout rejeter en bloc, mieux vaut voir ces conversations comme une opportunité : celle de pouvoir poser toutes les questions qu’on veut sans risquer de déranger ou d’avoir l’air indiscret. Le sujet est là, posé, il n’attend que votre intervention. Et bien souvent, les gens sont ravis de pouvoir y répondre et d’avoir enfin des oreilles intéressées en dehors de leur cercle très intime (souvent constitué uniquement de personnes elles-mêmes menstruées).
Le Grand Mystère des règles, Jack Parker, Flammarion, 2017.
Tracklist:
- Pearl Jam – Even Flow
- Blondie – The Tide is High
- Royal Blood – Blood Hands
- Garbage – Bleed Like Me
- Michael Jackson – Blood on the Dancefloor
- Ella Fitzgerald – I’ve Got The World on a String
- Slayer – Raining Blood
- Guns ‘n Roses – Civil War
- Nirvana – In Bloom
- Metallica – My Friend of Misery
- Silverchair – Pure Massacre
- Judas Priest – Painkiller
Image de une : © Madel Floyd