La bande dessinée Azolla de Karine Bernadou est une fable onirique sur le thème de la rupture et du deuil amoureux, qui emprunte à la forme mythologique et invite à l’émancipation féminine.
Colorée à l’aquarelle, Azolla ne se pare que de dégradés intenses de bleu et de rouge, de blanc et de noir. Sa beauté esthétique est évocatrice. Elle donne à son récit la force du mythe, souvent habité de sentiments contradictoires et d’humour, sous des formes à la fois naïves et cruelles.
Sans texte, l’histoire démarre pourtant comme un conte de fées, empreint d’un imaginaire moyenâgeux. Azolla est une jeune femme semblant mener une vie harmonieuse au sein d’une belle petite maison, au cœur de la forêt. Son mari, chasseur, est régulièrement absent. Azolla, elle, reste au foyer assurer l’intendance. En somme, tout a l’air d’aller pour le mieux dans le meilleur des mondes rétrogrades.
Toutefois, un beau jour, son compagnon fuit le nid conjugal et ne rentre pas de chasse. Azolla sombre alors dans une nuit d’angoisse mêlant rêverie et réalité. Elle se perd dans son monde intérieur, tandis que ses cheveux poussent et attirent les hommes aux alentours…
La dévoration comme impossible sauvetage
L’histoire d’Azolla est d’abord celle de la rupture et de la difficile prise d’indépendance d’une femme attachée à son unique repère : son mari. La perte de ce dernier l’oblige alors à se confronter à elle-même ainsi qu’à ses peurs et ses désirs profonds.
On comprend que son mari, de petite taille, l’a probablement quittée pour cette raison précise. Dans ses rêves angoissés, Azolla s’imagine se découpant en deux pour paraître plus petite et consoler l’homme qu’elle aime. Seulement, les deux morceaux repoussent et voilà qu’elles sont deux Azolla… toujours aussi grandes. Chacune tente de se découper à nouveau, et ce sont autant d’Azolla nouvelles qui jaillissent et envahissent la maison, avant de s’entretuer par jalousie.
Une grue, quant à elle, pénètre dans la maison et s’empare de l’aiguille de l’horloge, mettant un terme au règne du temps. Un espace de liberté s’ouvre alors pour Azolla dans les chemins de son inconscient. Et une rupture s’opère avec le socle conformiste qui la soutenait : pendant un temps, elle va devenir une espèce de monstre, une ogresse qui se repaît des hommes égarés dans la forêt.
Elle les dévore à la fois sexuellement et littéralement, les attirant à elle à l’aide de ses cheveux qui ne cessent de pousser et forment un chemin à travers la forêt. À mesure qu’elle dévore, elle grossit et devient de plus en plus grande, les cheveux jonchés de squelettes, jusqu’à atteindre la taille d’une géante, telle Bilquis dans American Gods.
Un hymne à la reconstruction de soi
À la fin de l’ouvrage, la disparition des hommes du village voisin avive la haine de leurs épouses, privées de mari. Ces dernières se muent en un monstre enragé qui va déchiqueter Azolla en morceaux. On la voit démise, flottant à la surface d’un marais.
La grue qui était intervenue plus tôt pour voler l’aiguille de l’horloge revient alors et utilise celle-ci pour recoudre les morceaux du corps de la jeune femme. Un sourire réapparaît sur le visage d’Azolla.
Ode à la résilience et aux tourments que son héroïne traverse parfois, cette bande dessinée nous parle du temps qui guérit les blessures, et en particulier celles d’amour. Mais c’est également une allégorie sur les difficultés qu’il y a pour les femmes à s’émanciper dans un modèle patriarcal.
Rupture amoureuse et miroir de soi
Une scène de rêverie montre Azolla plongeant dans son propre corps/inconscient, allant jusqu’à traverser une sorte d’intestin paré de miroirs déformants. L’un d’eux reflète alors à la jeune femme sa propre image, emmaillotée comme une momie. Elle défait ensuite les bandelettes et se trouve entraînée par son double dans un jeu saphique. Mais Azolla refuse un cunnilingus narcissique, et mord le sexe de cette autre elle-même.
Ici, comme dans maints autres épisodes qui montrent la jeune femme dans un état d’errance intercalé de rencontres, l’histoire avance avec fluidité et semble permettre tous les possibles. On parcourt dans cette bande dessinée de multiples facettes de la peur de se retrouver face à soi-même, de l’angoisse du vide et du besoin de s’identifier à un-e autre que soi dans une relation d’interdépendance.
Atrabile
10/05/2016
120
Karine Bernadou
23,50 €
Seule dans sa demeure, bien trop grande, bien trop vide, Azolla vit des heures sombres; l’être aimé est parti et l’attente est longue, trop longue… Oubliée, Azolla, abandonnée, ou pire ? Que peut-elle faire quand l’espoir lentement s’amenuise et que des rêves bien sinistres envahissent ses nuits… Se diviser, se multiplier, ou, comme une irrépressible faim devenue femme, se transformer en mangeuse d’hommes ?