Les salles de cinéma indépendantes accueillent en ce moment une merveille venue du Chili : Une femme fantastique, de Sebastián Lelio. Dans ce drame aux parfums de thriller onirique et pop, on suit le périple de Marina Vidal, une jeune femme trans qui doit faire face au deuil de son compagnon et à l’hostilité de la société chilienne et de sa belle-famille. C’est le coup de cœur cinéma de Nina pour cette rentrée 2017.
Quatrième film du réalisateur chilien Sebastián Lelio, Une femme fantastique met en scène une jeune femme transgenre, Marina Vidal (Daniela Vega, elle-même transgenre), en couple avec Orlando Onetto (Francisco Reyes), de vingt ans son aîné. Chanteuse de cabaret et serveuse à Santiago du Chili, Marina s’épanouit dans une relation d’amour tendre et passionné avec Orlando.
Tout se passe bien jusqu’à l’anniversaire de Marina. La nuit, Orlando a une attaque, tombe dans l’escalier et décède à l’hôpital. Son corps est donc couvert d’hématomes. Marina, bouleversée, quitte les lieux et est alors interceptée par la police qui en fait immédiatement une suspecte. Mais pas autant qu’elle le sera aux yeux de la famille du défunt, prête à tout pour l’empêcher d’assister aux funérailles.
Quand la société perd ses repères
Le décès d’Orlando met fin à l’équilibre protecteur que le couple s’était trouvé. Sa disparition laisse la jeune femme dans un espace sans repère. Elle doit faire face aux préjugés tenaces d’une société machiste concernant sa différence, ainsi qu’au rejet haineux de la famille de son compagnon.
L’idée que la transidentité relève de la psychiatrie et de la perversion est sans cesse présente dans un coin, tapie, prête à bondir à la moindre occasion. Les interlocuteurs et interlocutrices de Marina, comme la commissaire de la brigade des mœurs, essayent parfois de se montrer compréhensifs-ves de prime abord, mais ne se privent pas de l’humilier ensuite, comme s’ils et elles avaient autant de droits sur elle que sur un animal.
C’est d’ailleurs l’analogie qu’utilise le fils d’Orlando à son égard : « Il y a deux sortes de maîtres : ceux qui ont des mammifères – doués comme les êtres humains d’empathie – et ceux qui ont des reptiles. » Il faut ainsi comprendre que Marina, considérée comme l’animal de compagnie d’Orlando, serait de la classe des reptiles, et non un être doué d’empathie ou de tendresse. En somme, pas vraiment un être humain. Pour la belle-famille, la jeune femme ne serait qu’une chimère.
La résilience dans un monde à la dérive
La beauté du film réside dans le flottement incessant qui plane autour de Marina. Son environnement devient son principal auditeur silencieux quand les êtres humains sont durs avec elle. Elle est constamment scannée par ses pairs pour déterminer ce qu’elle est exactement et ce qu’elle ressent. Leur regard est un miroir déformant, un jeu d’arcade affichant « game over » ou plus tard les lasers verts dans une boîte de nuit qui sembleront mieux encore dialoguer avec elle. De même, Diabla, le berger allemand qu’Orlando lui a laissé et que Marina veut à tout prix récupérer, fait partie des rares à l’accepter.
Sans l’appui d’Orlando, elle doit lutter de toutes ses forces pour affirmer son droit d’exister et de réclamer sa part de deuil. Le film prend parti pour elle sans pour autant se faire militant et, de fait, n’affiche aucun appareil théorique sur lequel les spectatrices et spectateurs − ni même les protagonistes − peuvent s’appuyer.
Chacun-e est renvoyé-e à ses propres émotions et à ses propres facultés de compréhension du monde. Ce que nous ne sommes pas à même de comprendre dans la vie, nous devons parfois l’admettre malgré tout.
La quête de sens face aux mystères de l’identité
Le cheminement intime de Marina se concentre progressivement autour de la clef d’un casier oubliée par Orlando dans sa voiture. Ce casier se trouve dans un sauna, et Marina se met alors en tête qu’il renferme peut-être une réponse. Elle décide de s’y introduire et de se fondre dans le quartier des hommes, usant de son apparence androgyne pour passer inaperçue.
Nous ne révélerons pas ici ce qui se trouve dans ledit casier, mais ce que nous pouvons dire, c’est que cela nous pose nous-mêmes devant notre angoisse du vide et de notre perpétuelle quête de sens. Cette quête, nous ne pourrons l’achever qu’en créant nous-mêmes un sens à ce qui nous arrive.
Comme aiment à l’affirmer les acteurs-rices et Sebastián Lelio, le réalisateur, le film ne fait pas une thèse sur la transidentité. Au contraire, Une femme fantastique nous invite à affronter notre incapacité, parfois, à faire le deuil d’une vision du monde qui fonctionnerait par catégories hermétiques.
Il nous renvoie plutôt à des valeurs invariables, comme la générosité, la résilience ou la bienveillance, qui se révèlent souvent des alliées bien plus fortes qu’aucune théorie lorsqu’il faut faire face à l’incompréhension, l’intolérance et la peur.