Cette semaine, Bangui23 a choisi de s’exprimer à travers un texte, un échange entre deux hommes : David Sylvester et Francis Bacon. Une discussion et une playlist entre couleurs vives et obscurité.
David Sylvester – Un accident, dans quel sens ?
Francis Bacon – Parce que je ne sais pas comment la forme peut être faite.
Par exemple : l’autre jour j’ai peint la tête de quelqu’un, et ce qui faisait les orbites, le nez, la bouche, c’étaient – si vous les analysez – juste des formes qui n’ont rien à voir avec des yeux, un nez ou une bouche ; mais le mouvement même de la peinture d’un contour à un autre a donné une image ressemblante de cette personne que j’essayais de peindre.
Je me suis arrêté ; j’ai pensé un moment que je tenais quelque chose de beaucoup plus proche de ce que je recherchais. Alors, le lendemain, j’ai essayé de pousser plus avant et de rendre la chose encore plus poignante, encore plus proche – et j’ai perdu l’image complètement. Parce qu’avec une telle image vous marchez, en quelque sorte, sur la corde raide entre ce qu’on nomme « peinture figurative » et « abstraction ». Elle viendra droit de l’abstraction, mais elle n’aura en vérité rien à voir avec elle.
Il s’agit d’une tentative pour que la figuration atteigne le système nerveux de manière plus violente et plus poignante.
D. S. – Dans ces premières peintures que vous avez citées, il y a un fond de couleur vive, rouge ou orangée. Mais ensuite votre peinture est devenue infiniment plus nuancée et pendant à peu près dix ans, il n’y a plus eu de ces grands à-plats de couleurs violentes.
F. B. – Autant que je m’en souvienne, j’avais le sentiment que par l’obscurité et l’absence de couleur, je pourrais rendre ces images beaucoup plus poignantes.
D. S. – Et pouvez-vous vous rappeler ce qui vous a fait revenir à l’usage des couleurs vives ?
F. B. – J’en avais simplement assez, sans doute.
D. S. – De plus, quand vos tableaux se sont assombris, les formes sont devenues moins définies, plus brouillées.
F. B. – Eh bien, il est plus facile de perdre la forme dans l’obscurité, n’est-ce pas ?
Entretiens avec Francis Bacon, écrit par David Sylvester
et traduit par Michel Leiris, Flammarion, 2013.
Tracklist :
- Evigt Mörker – Högre
- Nthng – Soms
- Lowte – Untitled A1
- Smallpeople – The Loon’s Groove
- Mad Rey – Yes Papi Bounce
- Hidden Spheres – It Ain’t Easy
- Four Tet – Planet
- Claude Nougaro – Locomotive d’or
Image de une : © Anna et Elena Balbusso