À travers leur vivifiante pièce Mon Olympe (au Théâtre Douze, à Paris, jusqu’au 3 décembre 2017), sept jeunes femmes ont décidé de discuter du féminisme. Du féminisme comme une raison de se lever le matin. Sur scène, cinq comédiennes lèvent le voile sur les a priori de la société.
Mon Olympe est une création écrite collectivement et mise en scène par Gabrielle Chalmont. Tout juste sortie de l’École Claude-Mathieu, cette jeune comédienne se demande alors ce qu’elle peut faire, ce qu’elle peut exprimer sur une scène de théâtre qui soit important pour notre société et pour elle-même.
Observant le monde en crise, elle se remémore cette citation de Simone de Beauvoir :
N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant.
C’est ainsi que naît l’idée d’écrire une pièce sur le féminisme et d’essayer de comprendre pourquoi ce terme est devenu un gros mot. Selon certain-e-s, il serait déconnecté des préoccupations des gens, n’aborderait pas les « vrais problèmes ». Alors, le féminisme est-il encore utile aujourd’hui ?
À mesure qu’elle constate la précarité des femmes partout dans le monde, Gabrielle Chalmont s’étonne du désintérêt que semblent manifester les jeunes générations pour la cause féministe. Selon un sondage Harris Interactive demandé par Grazia en 2014, un-e Français-e sur deux se dit féministe – 42 % pour les hommes et 58 % pour les femmes –, mais une grande partie est aussi mal à l’aise avec le mot en lui-même. Il faudrait en fait un féminisme fun, qui tende la main aux hommes. Un féminisme soft. La réalité ne semble donc que partiellement représenter ces chiffres, à manipuler avec précaution néanmoins. Il faudrait être féministe, mais pas trop. Ne pas froisser. La cause féministe semble toujours aussi cruciale et nécessaire, et demande à être considérée comme ce qu’elle est : un mouvement constituée d’une pensée, d’une histoire, d’une radicalité, d’une opposition à toutes les formes d’oppression. On peut d’ailleurs regretter un manque d’inclusivité dans Mon Olympe. Les voix et les expériences d’autres femmes représentant la lutte intersectionnelle aurait clairement donné une autre dimension à la pièce. Car n’oublions pas que les femmes et les minorités sont toujours les premières victimes du patriarcat, et de son cousin, le capitalisme.
Du danger d’être une femme au quotidien
L’intention derrière Mon Olympe est donc de remettre au goût du jour la parole féministe engagée. Gabrielle Chalmont a choisi de mettre en scène cinq jeunes femmes de 22 ans, cinq étudiantes en sociologie qui se réunissent chaque jeudi après les cours pour parler féminisme dans un parc.
Le soir où Jeanne, fondatrice du petit groupe avec Simone, annonce qu’elles ont l’opportunité de s’exprimer sur le plateau d’une émission télévisée, c’est la pagaille. Les idées fusent, mais les doutes aussi. Simone, de son côté, annonce qu’elle quitte le groupe. Dans la foulée, cette dernière, Jeanne, Louise, Lucie et Marie oublient l’heure de fermeture du parc et s’y retrouvent enfermées. Alors que la nuit tombe, la cohésion de l’équipe va être mise à rude épreuve.
La peur les prend alors : comment vont-elles faire pour passer la nuit dans ce parc ? Ne risquent-elles pas de faire une mauvaise rencontre ? Surtout, cette expérience va lever le voile sur leurs véritables sentiments, sur ce qu’elles déploient comme masque pour se protéger des autres au quotidien et montrer à quel point leur condition de femme leur pèse lorsqu’elles y pensent vraiment. Après tout, comme le dit Jeanne : « J’ai peur de rentrer chez moi seule le soir, et sachez que ce n’est pas normal. »
Le point fort du spectacle est qu’il réussit à rendre attachantes ces cinq jeunes femmes vives. Dans un premier temps pétris d’idées reçues, conditionnés par leur éducation et leurs expériences, ces personnages développent un instinct de survie face à un potentiel danger qui les aide à déconstruire leurs a priori. Simone, Jeanne, et le reste de la bande apprennent à mesurer leur force et à affronter leurs fragilités.
Un collectif uni aux voix multiples
Au début de l’élaboration de la pièce, il y eut par ailleurs un véritable travail de groupe, durant lequel chacune a pu apporter son expérience et son point de vue sur le féminisme. C’est seulement après des mois d’échange et d’improvisation que le travail d’écriture a eu lieu, en collaboration avec l’autrice Marie-Pierre Boutin. Ainsi, le groupe présent sur scène est le même qui a produit cette parole théâtrale et engagée. Cette dernière lui appartient totalement, avec ses doutes et ses quelques certitudes, et c’est la grande qualité de la pièce : arriver à constituer un collectif.
La vitalité de l’élan commun sur scène est réjouissante, d’autant qu’elle use d’un langage du quotidien dans lequel chacun-e peut se retrouver. À partir de là ont lieu des instants de grâce chorégraphiques et musicaux, ainsi que des prises de parole individuelle, moments d’une grande poésie. Chacune se découvre, laisse apparaître aux spectatrices et spectateurs, comme à elle-même, ce qu’elle est.
Jeanne sonde sa radicalité et son refus de l’abandon. Louise, qui aime tant organiser et mettre les choses au propre, se demande ce qu’elle protège. Lucie, grande vivante, rêve d’un bac à sable dans lequel elle pourrait retrouver son enfance et être elle-même. Marie, elle, revient sur le choix difficile de l’avortement, ainsi que sur les conséquences qu’il y a pour soi de mettre un être vivant au monde. Quant à Simone, née dans une famille militante et prénommée selon la pionnière du féminisme, elle réalise que son engagement en faveur de cette cause lui a d’abord été imposé, avant d’être choisi. « Je suis née avec », se défend-elle. En couple avec Jeanne, Simone refuse de devenir avec elle « une caricature », des militantes féministes par défaut, jugées has been par une société tournée uniquement vers la consommation.
Une pièce pour réconforter, un théâtre pour réveiller
Les conflits éclatent alors au sein du groupe. Toutefois, ce qui va finir par les souder encore davantage qu’auparavant, c’est la conscience que l’insécurité est toujours autant une préoccupation pour les femmes du XXIe siècle. Plus matures désormais, ces jeunes femmes vont pouvoir prendre en main leur vie d’adulte avec une connaissance plus haute et plus profonde de ce qui les rapproche.
Colorée et d’une sincérité dévorante, la pièce remplit l’âme et le cœur de l’envie de se lier aux autres, pour le meilleur et pour le pire, engagés dans une même lutte. L’égalité femmes-hommes est une nécessité absolue. Certes, nous avons la chance de vivre dans un pays où les droits des femmes sont reconnus dans les textes, mais le décalage avec les mentalités, dans lesquelles les femmes sont encore (trop) souvent perçues comme des objets, n’en est que plus frappant.
Mon Olympe – en hommage au « Femme, réveille-toi » d’Olympe de Gouges, pionnière du féminisme au XVIIIe siècle – est un appel à s’approprier cette lutte qui nous concerne toutes et tous. Qu’il s’agisse d’un parc, d’une fac ou d’une société entière, nous devons vivre ensemble dans le même monde, sur la même planète.
Jeanne et ses copines nous disent que l’urgence n’est pas tant de se réveiller, mais de ne surtout pas s’endormir.
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