Kiyémis est une jeune autrice et militante afroféministe. En mars 2018, elle a publié son premier recueil de poésie, À nos humanités révoltées, aux éditions Métagraphes. Chronique d’un livre personnel, comme un appel à tou-te-s celles et ceux qui pensent que leur voix ne mérite pas d’être entendue, mais dont le chant traverse le temps, seul juge final de nos existences terrestres.
Comment évoquer la violence émotionnelle en nous ? Comment la rendre génératrice de quelque chose de positif, voire de créatif ? Je me suis longtemps interrogée sur la propension des féministes à utiliser la poésie comme un format privilégié de catharsis. Celui qui leur permet d’exprimer la rage qui leur remonte le long de l’échine, jusqu’à s’y fixer définitivement et devenir une compagne rassurante. J’aime la colère féministe. Elle m’est personnelle, et c’est pour cela que je ne pouvais pas écrire cette chronique autrement qu’à la première personne.
En tournant les pages d’À nos humanités révoltées, j’ai reconnu cette colère familière, singulière. Celle qui anime les lexies de Lorde, la créativité de Wollstonecraft et les vers de Rich. Mais aussi la voix céleste de Holiday et les rugissements de Bikini Kill. La poésie est un catalyseur pour la fureur féministe et pour les batailles quotidiennes que sont nos vies. Et n’est-ce pas là une évidence, après tout ? Quoi de mieux que l’art de l’expression affective par excellence, celui qui chérit les agencements astucieux et a en horreur la classification ignorante de son contenu ? Par ailleurs, je ne fais pas un parallèle entre la musique et la poésie hasardeusement. Il y a dans les textes de Kiyémis un rythme singulier, que l’on pourrait presque fredonner. Une ritournelle évoquant un héritage commun qui se fait entendre, encore et encore :
N’entends-tu pas les soupirs de nos mères ?
N’entends-tu pas les soupirs de nos mères ?
N’entends-tu pas les soupirs de nos mères ?
Dans Les Soupirs de nos mères, la poétesse met en scène « l’incessante danse d’une mère éreintée ». Celle que, en tant que filles, nous avons pu voir toute notre vie. La chorégraphie parfaitement orchestrée d’une passation de forces et de douleurs, de figures sacrificielles. Et notre reconnaissance pour leur lutte.
Kiyémis œuvre pour redonner la parole à celles que l’on n’entend jamais : les femmes noires invisibilisées de l’histoire, et celles qui composent son quotidien. À chaque page, l’autrice semble s’époumoner pour réhabiliter les existences de toutes les figures qui l’ont guidée :
Vos noms ne sont pas dans les manuels scolaires,
Perdus, enterrés sous la poussière.
Crier vos noms, vos résistances
Me semble pourtant une évidence.
(extrait de Vaillantes)
L’exercice de la chronique m’oblige au sacrilège. Il est en effet cruel de déraciner des vers de leur socle littéraire. Mais cela n’empêche en rien de percevoir la finesse de la composition de Kiyémis, preuve de son talent. Celle-ci écrit son courroux, sa douleur, ses joies dans un recueil de poèmes intimes. Chacun d’eux touche à l’universalité de nos expériences de femmes, mais aussi à leurs particularités, essentielles. Par l’écriture, elle vient apposer des mots à des souffrances et des réalités que notre société tend à effacer : son racisme systémique, et la puissante objection qui lui fait écho. Celle d’une génération loin d’avoir dit son dernier mot, prête à prendre la plume plutôt que l’épée. Et avec quelle dextérité.
La colère des féministes est souvent l’objet de mépris, une manière de minimiser l’importance de leurs combats. Pourtant, elle est ô combien nécessaire. Elle accouche des plus belles idées, elle alimente notre cheminement vers une réalité plus égalitaire. Quand Kiyémis prend le stylo, c’est pour te parler. Dans ses poèmes, elle s’adresse directement à ses lectrices et lecteurs. Elle les apostrophe et leur demande de faire face. D’affronter la personne qu’elle est et ce qu’elle représente, soit une femme afrodescendante bien décidée à reprendre sa place sans jamais s’excuser d’être au monde :
Ne plus se taire, chuchoter.
Ne plus chuchoter, demander.
Ne plus demander, réclamer.
Ne plus réclamer, créer.
(extrait de Donner son temps, plus jamais)
La solution au démantèlement de systèmes d’oppressions millénaires serait-elle là ? Dans la création ? Au cœur de la poésie militante d’une jeune femme noire, hantée par les parcours de ses ancêtres, par l’appel des matriarches et des révoltées ? Des insoumises et des braves ? Des vaillantes et des sensibles ? Si ce n’est pas une solution en soi, peut-être peut-on y déceler l’espoir d’un avenir d’humanités plurielles. Toi, là, profite donc du calme avant la tempête inévitable du changement. Il est en route.
Métagraphes
22/03/2018
64
Kiyémis
11 €
Des vécus pluriels, des présences et des mémoires qui gravitent autour des vers, des voix sororales et décoloniales : c’est ce que Kiyémis fait exister avec engagement dans une poésie vibrante et imagée qui dit ses inspirations et ses luttes. Ses poèmes, qui donnent à saisir la force des mots autant que celle des êtres, sont afroféministes et ils résonnent en dessinant des perspectives ouvertes. Avec ce premier livre, Kiyémis revendique la nécessité de prendre la parole face aux systèmes d’oppression, de continuer d’écrire ce qui a trop souvent été tu et de faire entendre des luttes multiples, entremêlées, à l'intersection.