En France, les normes et pressions sociales ainsi que les injonctions faites aux femmes vont toutes dans le même sens : ces dernières doivent devenir mères. Il y a pourtant des femmes qui ne veulent pas avoir d’enfants. Cielle fait partie de celles-ci, et ce n’est pas facile tous les jours.

 

Depuis toujours, on te parle du jour où tu seras mère. On loue ton amour des bébés et ton prétendu instinct maternel. On trouve normal que tu aimes faire du baby-sitting, et si ce n’est pas le cas, on te dit que ça viendra plus tard. Une fois ado ou jeune adulte, on comprend que tu prennes une contraception, mais on évoque systématiquement l’après. On te dit de faire attention pour ne pas compromettre ta capacité à faire un jour un-e enfant. Quand tu es en couple depuis quelque temps, on te demande pour quand est prévu le bébé. Si tu es célibataire, on ose moins, mais on te parle tout de même du jour où, ayant trouvé la bonne personne, tu seras mère. Jamais on ne te dit « si tu le deviens », mais toujours « quand tu le seras », car c’est un passage obligé, une étape indispensable pour une vie réussie. On trouve que c’est triste, quand même, les femmes qui n’ont jamais eu d’enfants – quelle que soit la raison. On estime que la maternité, c’est quelque chose à vivre et que tu comprendras quand tu seras mère. On commence à s’inquiéter quand, passée 30 ans, tu n’envisages toujours pas de créer des mini-toi. On te montre dans les films et les livres des femmes qui trouvent leur raison d’être en fondant une famille et qui deviennent alors épanouies et rayonnantes, en opposition avec ces personnes aigries qui ne connaissent pas la joie d’avoir des bambins à élever. Bref, tout au long de ton existence, on t’envoie des messages sous toutes les formes pour te faire comprendre que ton destin, c’est d’être maman, et que ça te rendra plus belle et plus heureuse. Dans ces conditions, comment faire le choix de ne pas avoir d’enfants ?

Quand j’étais gamine, puis adolescente, moi aussi j’ai envisagé d’être mère. Avec tout ce que l’on m’apprenait, cela me paraissait normal, et je n’avais aucun problème avec cette idée. C’est surtout que je ne me posais pas la question en fait. Il me semblait que c’était quelque chose qui m’arriverait forcément. Un passage inévitable dans une vie d’adulte.

J’ai grandi, et j’ai compris que je n’avais pas envie de passer par l’étape de la maternité. C’est arrivé doucement, comme une évidence. J’ai pris le temps d’analyser mes raisons, mes émotions aussi. J’ai posé des mots sur cette décision. J’ai continué d’évoluer, d’apprendre, d’expérimenter, mais je reste sûre de moi concernant ce sujet.

Je dis donc assez facilement que je ne veux pas connaître cette expérience, et on me demande souvent pourquoi. Cette question, quand elle est posée par pure curiosité, ne me dérange pas. Mais je ne peux pas m’empêcher de remarquer qu’on demande rarement à un homme pourquoi il ne désire pas d’enfants, et surtout qu’on ne demande jamais aux gens pourquoi ils en veulent. Comme si c’était évident.

Alors que, personnellement, je trouve qu’il n’y a rien d’évident à vouloir devenir parent. De mon point de vue, ce serait émotionnellement beaucoup trop intense, dans les joies comme dans les peines. Je me connais, je sais comment je suis et réagis quand j’aime des gens. Je ne veux pas vivre ça de manière amplifiée. Et ce serait aussi beaucoup trop stressant ! Je le cache bien, mais je suis une boule de stress : mon ventre se tord au moindre obstacle ou à la moindre contrariété, quand il faut parler, quand il faut oser. Je serais l’angoisse personnifiée si j’étais en charge d’un-e petit-e. Et je n’ai pas envie de voir mon ou ma gosse malheureux-se. Il ou elle le serait forcément, à certains moments, et je serais impuissante, ce qui serait insoutenable pour moi. Je suis déjà tellement mal quand mes proches souffrent. Je ne veux pas avoir à supporter plus. Surtout, je ne veux pas risquer la souffrance de perdre l’enfant qui serait le mien ou la mienne. Et puis, je n’ai pas envie d’aimer quelqu’un-e inconditionnellement. J’aime des personnes que je connais ; je ne voudrais pas aimer une personne juste parce qu’elle est mon enfant. Je n’aurais rien de particulier à lui transmettre, à part quelques défauts que je préférerais enterrer à jamais. Et de manière peut-être un peu égoïste, je veux garder ma liberté − et mon sommeil. Pouvoir ne rien faire, décider de partir et de tout abandonner, faire des choix qui n’impacteront que moi. Je n’ai pas envie d’élever une personne, de lui apprendre des choses, de l’éveiller au monde, de l’aider à grandir, de lui donner des armes. Je ne veux pas ne plus être le centre de mon monde et devoir faire passer les envies et besoins d’un-e autre avant les miens. Côté physique, je ne veux pas avoir un être qui se crée et grandit en moi. Je ne veux pas sentir cet être bouger dans mon ventre. Je n’ai pas envie de voir mon corps changer pour l’accueillir. Et je ne veux pas accoucher. Ces choses-là, pour moi, sont des évidences.

Et toi, si c’est le cas, qu’est-ce qui te pousse à vouloir un-e enfant ? C’est cette question que j’aimerais poser en retour. Par curiosité, pour comprendre une envie qui me dépasse totalement.

Parce qu’au-delà de ma propre personne et de mes ressentis, il y a aussi le monde dans lequel nous vivons qui me décourage d’être mère. Je n’ai pas envie d’imposer à qui que ce soit de vivre dans un monde violent, sexiste, raciste, homophobe, j’en passe et des meilleurs. Avec les guerres, le chômage, la pollution, je n’ai pas l’impression que l’avenir qui se dessine pour nous fasse de notre planète un endroit où il fait bon vivre. Je n’ai pas envie que mon enfant soit forcé-e de rester dans les normes pour que sa vie soit plus facile, ni qu’il ou elle soit obligé-e de lutter pour être accepté-e et respecté-e.

Mes raisons correspondent à ce que je suis, ce que je vis et ce que je ressens. Il y a pourtant toujours des gens pour venir remettre en cause mon choix.

On me dit que je vais changer d’avis (sous-entendu je suis jeune et célibataire, mais ça ne va pas durer, et à ce moment-là, je voudrai une progéniture). Mais je n’ai pas envie de changer d’avis. Je ne veux pas céder à une pulsion ou à la pression sociale. J’ai réfléchi, j’ai pesé les pour et les contre, je n’ai pas fait ce choix à la légère. Et j’avoue que cela me fait un peu peur d’avoir un jour des gosses par amour (parce que mon ou ma partenaire en voudrait absolument un-e) ou par convention (parce que la pression extérieure serait finalement trop forte). Je m’analyse en permanence. Quand j’ai un bébé dans les bras, quand je joue avec un-e petit-e, je me questionne. Qu’est-ce que je ressens ? Est-ce que ça me donne envie ? Qu’est-ce que ça m’inspire ? Jusque-là − et c’est un grand soulagement −, ça ne me provoque rien de plus que la joie de voir leur frimousse.

On me répète que j’adore les petit-e-s (sous-entendu je suis prête à être mère, ça se voit). C’est vrai. J’aime les enfants, celles et ceux de mes copines, mon filleul, mes petit-e-s cousins et cousines, et même les inconnu-e-s. Je les trouve mignon-ne-s, et on s’entend bien. J’aime celles et ceux qui crient et pleurent dans le train, je n’ai aucune forme d’animosité, je suis l’indulgence même. Je m’intéresse à la progéniture de mes collègues, et trouve ça chouette de savoir comment elle va et grandit.

N’empêche que, malgré tout l’amour que je leur porte, je suis toujours ravie quand je rentre chez moi, après quelques heures ou jours passés en leur compagnie. Je suis contente, quand je les vois, de savoir que ça ne va pas durer, de n’avoir aucune responsabilité, de pouvoir juste leur sourire et jouer avec elles et eux. Il y a pas mal de bébés dans mon entourage, que je trouve d’ailleurs adorables, mais plus je vois mes ami-e-s devenir parents, moins j’en veux. Cela me conforte tellement dans mon choix. Pourtant, ces derniers-ères sont content-e-s, me montrent des photos mignonnes, ont des grands sourires et sont pleins d’amour. Moi, je vois tout le reste : le temps que ça prend, l’argent que ça coûte, la fatigue, le stress, les formalités administratives, la sollicitation permanente, etc. J’aime les enfants, mais celles et ceux des autres.

Personnellement, je ne comprends pas que l’on puisse vouloir un-e enfant. Mais je n’ai aucune envie de convaincre celles et ceux qui en veulent que c’est une mauvaise idée. Je ne tiens à rallier personne. Tout comme j’aimerais que l’on cesse enfin d’essayer de me faire rejoindre la cause parentale.

J’entends bien continuer mon chemin parmi les rires d’enfants qui ne sont pas les mien-ne-s, et savourer mon mode de vie, celui que j’ai choisi.

 


Pour approfondir le sujet, voici quelques références :