Cahier de vacances #2 : les recommandations culturelles de Nina

Je sais, je sais, quand vient l’été, on n’a plus trop envie de penser. Quand l’on ne songe qu’à se délasser le corps et l’âme, les recommandations sont les bienvenues. Donc pour celles et ceux qui préfèrent creuser le sable de la plage plutôt que de se creuser la tête, je propose un petit compromis sous la forme d’une liste, entre détente, engagement et réflexion.

Sherlock
Orlando, de Sally Potter
Un podcast à soi
What’s Good
Jokers
L’Origine des autres, de Toni Morrison
Vaison Danses
Le Buena Vista Social Club
Si Richard si, du collectif La Cantine
Association La Textilerie
La Renonciation à l’identité : Défense contre l’anéantissement, de Georges Devereux

La série illuminée

Sherlock

J’avoue avoir la nostalgie du temps où je regardais Hercule Poirot et Miss Marple à la télé avec ma mère. L’univers des détectives britanniques me rappelle invariablement ces moments de complicité partagés autour de leur finesse, de leur humour et de leur esprit de déduction. Je me délecte de prendre ce Sherlock un peu à la légère, bien que la série n’évite pas un traitement stéréotypé des personnages féminins ou LGBTQ+. Mais rien que pour Benedict Cumberbatch… je suis prête à faire une petite exception. Le divertissement est de qualité, et l’incarnation de l’acteur vaut celle de vingt Robert Downey Jr. Le côté sarcastique du célèbre détective s’équilibre avec celui d’un Dr Watson (Martin Freeman), franc et plutôt attachant. Toutefois, c’est surtout l’effet madeleine de Proust qui l’emporte sur l’ensemble. Nous avons tou-te-s nos faiblesses. Et l’énergie avec laquelle la légende réactualisée de Sherlock Holmes nous est présentée est trop enthousiasmante pour y résister. Le rythme nous attrape au vol et nous fidélise. La série prouve que cette figure littéraire n’en finit pas de fasciner et de questionner… et d’influencer l’imaginaire collectif.

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Le film à regarder de tous temps

Orlando, de Sally Potter

S’étalant sur quatre siècles, ce film sorti en 1992 est une adaptation du roman culte de Virginia Woolf, Orlando (1928). Le personnage principal éponyme est un être singulier, puisqu’il dispose d’une vie plus longue que la moyenne. Favori d’Élisabeth Ire, Orlando occupe diverses fonctions et vit des aventures extravagantes, dont celle de « devenir une femme ». Grâce au toucher cinématographique magique de la réalisatrice et chorégraphe Sally Potter (La Leçon de tango, Yes) et à la présence énigmatique de l’actrice Tilda Swinton, le film envoûte. Les thèmes de l’ambiguïté de genre et de l’absurdité du monde y sont fouillés et déterrés avec autant de stupéfaction que celle qui se lit sur le visage de son protagoniste, une sorte de Candide des temps modernes, dont la trajectoire finale serait l’affranchissement des normes. Un long-métrage qui dresse un miroir face à nos sociétés, dans lequel on peut explorer le développement de l’individualité d’Orlando et se confronter au caractère fallacieux de la modernité.

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Le podcast en toute intimité

Un podcast à soi

Pour ton plus grand plaisir, Arte Radio propose plusieurs podcasts féministes et intersectionnels – notamment Tchip, dont nous t’avions déjà parlé sur Deuxième Page –, qui privilégient la proximité avec les auditeurs-rices comme avec leurs sujets. Parmi ces perles auditives, il faut écouter celle de Charlotte Bienaimé, Un podcast à soi (faisant référence à Une chambre à soi, de Virginia Woolf). Chaque premier mercredi du mois, la journaliste investit un thème particulier (le sexisme chez les cadres, la grossophobie, le pouvoir médical sur le corps des femmes…) et lie analyse sociétale, entretiens avec des intervenantes racontant leur expérience personnelle et réflexions sur l’égalité entre les femmes et les hommes. Imaginé pour donner la voix aux personnes concernées et se faire rencontrer des points de vue et des vécus, Un podcast à soi devient une chambre d’écho à des problématiques concrètes. Il veut te faire réfléchir et t’aider à comprendre la société et le traitement des femmes. Une belle manière d’entendre des voix autres que la nôtre ou, au contraire, tellement proches…

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La newsletter pour la plage

What’s Good

Mélody Thomas et Jennifer Padjemi ont choisi le format de la newsletter pour te parler de culture de manière inclusive, avec une grande inclination pour la pop culture. Toutes les deux semaines, elles t’envoient directement dans ta boîte mail leurs recommandations. Si tu ne sais pas trop comment t’y retrouver dans la profusion de séries, de livres ou encore de films, What’s Good est faite pour toi. Les deux créatrices étaient présentes à notre table ronde sur le thème du militantisme en ligne, lors du dernier festival des Aliennes, en mai dernier. Elles nous avaient alors expliqué l’origin story de leur projet : à force de voir les artistes qu’elles apprécient être ignoré-e-s par les médias grand public, elles ont décidé de remédier à ce problème elles-mêmes. Avec beaucoup de légèreté et de complicité, elles véhiculent leur engagement sans en avoir l’air. Tu l’auras compris, c’est un moyen idéal de découvrir de nouvelles sources d’inspiration pour cet été !

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La websérie YouTube limonade-rigolade

Jokers

Mathilde est une jeune femme de 20 ans qui se pose beaucoup de questions sur sa vie d’adulte qui commence, l’amour, le travail, les parents… Et surtout sur la manière de gérer ses émotions, matérialisées par différents personnages : Cœur, Raison, Intelligence, Colère, Peur, Désir et  Tristesse. C’est compliqué de faire tourner tout ça rond ! La websérie de Chloé Ménager et Mathilde Laffont reprend l’idée du film d’animation de Pixar, Vice-versa, dans lequel une fillette passe de l’enfance à l’adolescence et son bouleversement intime. Ici aussi, chaque émotion est un personnage haut en couleur et à part entière, mais incarnéet par un-e comédien-ne bien réel-le. Flirtant volontiers avec l’absurde, Jokers explore les tracas et les errances quotidiennes de la vie de jeune adulte avec beaucoup d’humour et de tendresse. C’est bancal, drôle et léger, c’est attachant et ça fait trois ans que ça dure. De quoi remplir les soirées d’un bel été.

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La lecture indispensable pour larguer les amarres

L’Origine des autres, de Toni Morrison

Dans ce recueil de six conférences données à Harvard en 2016, la romancière Toni Morrison explore la question de l’identité et de l’altérité, ainsi que les catégories de personnes « noires » et « blanches » telles qu’elles apparaissent dans la littérature à l’époque de l’esclavage aux États-Unis. Tout en analysant cette dernière, des archives et son expérience personnelle, elle nous rappelle de manière poignante à quel point les deux parties de cette confrontation sont prises au piège des normes sociétales. Par le biais de réflexions sur le métissage et la difficulté d’appartenir à un camp ou à un autre, elle expose les vertus de plusieurs formes de transcendance : identitaire, littéraire et politique. On y retrouve la griffe et l’humour de l’autrice américaine, ainsi qu’un sentiment de révolte sourde et une profonde empathie. Toni Morrison nous expose également certaines des idées qui ont donné naissance à ses ouvrages. Elle nous invite à regarder, sans fard ni mensonges, la réalité terrible et son nécessaire dépassement.

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Le festival en mouvement

Vaison Danses

Depuis 1996, Vaison-la-Romaine, dans le Vaucluse, accueille Vaison Danses. Ce festival prend place dans un théâtre antique romain datant du Ier siècle ! Celui-ci a accueilli de nombreux-ses chorégraphes à la renommée mondiale : Maurice Béjart, Sylvie Guillem, Carolyn Carlson, ou plus récemment Angelin Preljocaj et Sidi Larbi Cherkaoui. Mais il est également résolument ouvert à la jeune garde et aux nouvelles formes de danse. Durant cette 23e édition, on a déjà pu découvrir le travail de la compagnie vaisonnaise Françoise Murcia accompagnée de la musique de Bach et la danse jookin de Lil Buck et Jon Boogz (dans leur spectacle Love Heals All Wounds). Mais il sera aussi possible d’explorer l’œuvre musicale de Léonard Cohen le 24 juillet avec un hommage dansé des Ballets Jazz de Montréal, ou encore d’assister à Non solo Medea, une réflexion sur la violence de nos sociétés du ballet national de Marseille, le 27 juillet. Libère ton corps et ton âme, entre dans la danse !

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Des hymnes pour célébrer le soleil

Le Buena Vista Social Club

À chaque fois que je suis fatiguée après une journée de travail, que j’ai envie de m’évader et de me délasser, je me mets le mythique album homonyme du Buena Vista Social Club. Et à chaque fois que les premiers accords de guitare et de cuatro de « Chan Chan » retentissent, je suis ailleurs, déconnectée. Produit en 1997 par le guitariste américain Ry Cooder, cet album réunit la crème de la crème des interprètes et musicien-ne-s de la Havane (Compay Segundo, Ibrahim Ferrer, Omara Portuondo, Rubén González, Barbarito Torres…). L’enregistrement de ce disque d’anthologie a été immortalisé par Wim Wenders dans son film du même nom. En ces temps perturbés, le retentissement rassurant de quelques notes cubaines nous donne un véritable sentiment de joie, la sensation d’un bonheur de chaque instant. Voilà une ode à la vieillesse qui nous rappelle que dans nos cœurs, nous sommes éternellement jeunes.

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Une pièce de théâtre en binôme

Si Richard si, du collectif La Cantine

Elles sont deux sur scène, et à elles seules, elles explorent un pan de l’histoire du théâtre, de l’art du clown et du mime. Florence Fauquet et Chloé Lasne font partie du collectif La Cantine. En 2015, elles ont créé Si Richard si, librement inspiré de Richard III de Shakespeare. À mi-chemin entre Charlie Chaplin et le duo de Laurel et Hardy, les jeunes femmes revisitent le drame via deux personnages comiques inventés de toutes pièces. Elles incarnent des assassines envoyées par Richard III pour accomplir à sa place ses sales besognes. « Mon royaume pour un cheval ! » Mais ont-elles vraiment le tempérament de tueuses ? Rien n’est moins sûr, et le doute les assaille pour notre plus grand plaisir… La mise en scène est minimaliste et se focalise sur les deux artistes pleines d’inventivité. Seul le geste final (que je ne vous révélerai pas) vient rappeler le fond tragique de toute histoire clownesque : l’incompréhension face à un monde violent, barbare, cruel.

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Une asso créative à soutenir

La Textilerie

Avis aux amoureux-ses de textile, avides de lieux à part et rejetant la logique néocapitaliste : la Textilerie ouvre ses 130 m² de locaux ! Situé dans le 10e arrondissement de Paris, cette asso met à la disposition de tou-te-s des ateliers de couture, une boutique-café ainsi qu’une recyclerie. Voulant promouvoir le cycle court et responsable dans notre relation au vêtement et créer du lien humain, la Textilerie est un lieu d’échange, d’apprentissage et de perfectionnement. Le but ? Une société plus horizontale et inclusive. À l’heure où le milieu du prêt-à-porter − et plus particulièrement la fast fashion − est de plus en plus critiqué pour ses pratiques polluantes, les inégalités sociales qu’il génère et les rapports de pouvoir subis par ses petites mains, de nombreuses alternatives éthiques voient le jour. Un moyen de contourner le monopole des grands groupes. Alors, on y va ?

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Le bonus de la subjectivité

La Renonciation à l’identité : Défense contre l’anéantissement, de Georges Devereux

Mon petit bonus perso est ce livre du fondateur de l’ethnopsychanalyse, Georges Devereux. Je l’avais découvert grâce à l’adaptation cinématographique de son livre Psychothérapie d’un Indien des plaines par Arnaud Desplechin, avec Mathieu Amalric et Benicio Del Toro, en 2013. Puis, en m’attardant quelques années plus tard au rayon psychanalyse de la librairie parisienne Le Divan, je suis tombée sur cet ouvrage. Il traite de l’identité et de la façon dont les personnes atteintes de pathologies mentales tentent de protéger leur être profond du cannibalisme psychique de l’autorité médicale. Les symptômes visibles de ces pathologies ne sont-ils pas parfois des stratégies tout à fait saines pour établir un masque destiné à se préserver ? Quoi qu’il en soit, Georges Devereux invoque le respect que nous devons à toute personne souhaitant protéger la partie d’elle-même qui est la plus vulnérable… À méditer en ce bel été, jusqu’au retour de l’automne.

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Image de une : montage réalisé par Deuxième Page. Crédits photos de l’article : © Olivier Houeix / L. Buscacca / Jacob Burns Film Center / Timothy Greenfield / Manon Riff Sbrugnera / DR