Il y a des week-ends où l’on fait des activités d’adulte. Et d’autres où l’on retombe en enfance, guidé-e-s par des petites bouilles pour lesquelles la vie est un grand terrain de jeu. Mme Cielle te raconte l’un de ces week-ends.

 

Il y a un âge où plusieurs de nos ami-e-s s’installent, se marient, font des enfants. Pas forcément dans cet ordre et pas forcément de manière exhaustive, mais le résultat est le même : ils et elles fondent une famille.

Il y a quelques années, ma copine P. est partie s’installer plus au sud avec mari et enfants, à Bordeaux. Quand je vais la voir, le week-end entre copines ressemble plutôt à un week-end en famille, entre moments de grâce et chamailles.

À mon arrivée, les filles ne me reconnaissent pas ; des mois séparent nos rencontres tandis qu’elles font mille et une découvertes à la minute. Lorsque je repars, la grande pleure pendant une demi-heure, mais se console grâce à deux chamallows qu’elle a le droit de manger dans son lit. Entre-temps, je redécouvre mon enfance dans les yeux  de celles qui la vivent aujourd’hui.

On se lève tôt, tellement tôt qu’à 10 heures, je voudrais qu’il soit déjà l’heure de la sieste. Les parents ont l’immense tâche de trouver des activités pour remplir les heures. Pâte à sel, coloriage, sorties au marché et au parc, construction d’une maison en Duplo, jeux de ballon, cuisine, devinettes, UNO… Les petites sont avides de tout.

On fait de la trottinette à Darwin, de la danse dans le salon et des sauts sur le canapé. Il y a évidemment des accidents et des pleurs, quelques instants de retenue avant de reprendre de plus belle. Leurs genoux sont aussi écorchés que l’étaient les miens, et on n’a toujours pas inventé de désinfectant qui ne pique pas.

Il y a la lecture aussi. Claude Ponti continue de fleurir dans les maisons. Ici, c’est Derrière la poussette. Chez moi, c’était Okilélé, que j’ai lu tellement de fois que je me souviens encore des premières phrases : « Quand il est né, Okilélé n’était pas beau. Ses parents, ses frères, sa sœur dirent : “Oh, qu’il est laid !” » Mais Roule galette n’est pas en reste, et la chanson a un succès indéniable. Si le vieux pouvait se faire sa galette tout seul, ce serait encore mieux.

On fait des bisous baveux, des bisous péteux à s’en tordre de rire, des câlins parfois. On se dispute, on râle, on pleure de colère. Un peu comme les adultes, mais sans filtre et sans rancune.

On se calme un peu avec Les Aristochats, devant lequel je ne retrouve pas la magie de mes souvenirs. Je trouve tout de même magique que les années passent et que les enfants s’émerveillent devant les mêmes histoires et les mêmes images.

Mais les histoires sont cruelles. Edgar veut tuer les chats pour une sombre histoire d’argent. Et Scar tue son frère pour une sombre histoire de pouvoir. Je ne sais pas ce qu’il y a à comprendre ni ce qu’il y a à retenir. Attraper le goût de l’imaginaire, n’est-ce pas suffisant ?

On fait un anniversaire, on souffle les bougies, on offre des dessins. On savoure les petits moments et les phrases mignonnes (« Il est où le mail dans tes yeux ? » après avoir entendu son père dire à sa mère qu’elle pensait encore au mail qu’elle avait envoyé, que cela se voyait dans ses yeux).

Au cours de ces jours effrénés, le doudou est perdu cent fois. Abandonné, en fait, chaque fois qu’il y a mieux à faire, puis réclamé dès que ça ne va plus. Heureusement, on le retrouve toujours, au milieu du salon, sur le toboggan ou dans la salle de bains. Le drame est évité.

Et la vie reprend son cours, malmenée par les peines, embellie par les joies. Elle ne lâche rien, et moi je serre fort leurs mains dans les miennes.

L’enfance est une aventure de chaque instant, un feu d’artifice d’émotions. Une destination de quelques jours. Une époque révolue.

Je reviendrai.

 

Œuvres et lieux cité-e-s :

  • Darwin Écosystème, 87 quai des Queyries, Bordeaux
  • Okilélé, Claude Ponti, 1993
  • Roule galette, Pierre Belvès, 1950
  • Les Aristochats, Wolfgang Reitherman, 1970
  • Le Roi lion, Rob Minkoff et Roger Allers, 1993