En tant que passionnée de SF ascendant Doctor Who, voir l’incarnation du Docteur faite femme met franchement à mal mon objectivité. Mais j’aurais envie de dire : pourquoi être objective dans le domaine de la passion ? Pourtant, il faut avouer que le relaunch de la série devenait plus que nécessaire. Au programme : un nouveau Docteur (une femme !), un nouveau format, un nouveau showrunner, un new new new new new new new new new new new new new Doctor Who qui a fait un retour fracassant avec un premier épisode solide. Et c’est une révélation plutôt qu’une régénération : the Doctor is back, plus drôle, brillante et bizarre que jamais. Ça méritait bien un récap hebdo, et quelques digressions.
[Évidemment, ce récap est plein de spoilers.]
« We’re all capable of the most incredible change. We can evolve while still staying true to who we are. We can honour who we’ve been and choose who we want to be next. »
L’enjeu de cet épisode d’une heure était colossal : la nouvelle équipe derrière Doctor Who devait être capable de nous faire (re)découvrir et aimer l’univers d’une série profondément ancrée dans sa réalité, avec ses codes et ses traditions quasi intouchables. La régénération en cours n’est pas simplement celle d’un personnage culte existant depuis 1963, mais celle de ce monstre de la télévision lui-même. « All of this is new to you, and new can be scary », dit la Doctoresse durant « The Woman Who Fell to Earth ». Oui, la nouveauté peut être effrayante, mais elle peut aussi être terriblement réjouissante. C’est en fait aussi simple que la performance vive, drôlissime et désarmante de Jodie Whittaker dans le rôle de Doctor Who.
La dernière fois que nous avions aperçu la Doctoresse, elle se faisait salement éjecter de son TARDIS, lequel semblait un poil perturbé par sa régénération (sexisme dans l’espace, j’écris ton nom). Et si l’on s’attendait à la voir se crasher quelque part au milieu des UK en guise de mise en bouche, c’est raté. Chris Chibnall, le nouvel head writer de la série, préfère nous présenter Ryan (Tosin Cole), un garçon de 19 ans souffrant de dyspraxie. Alors que ce dernier essaye de faire du vélo avec difficulté, accompagné de sa grand-mère, Grace (Sharon D. Clarke), et du mari de cette dernière, Graham (Bradley Walsh), la caméra dévoile sous nos yeux la campagne de Sheffield, une ville du nord de l’Angleterre.
Ryan, frustré, finit par jeter son vélo du haut d’une falaise et doit ensuite aller le récupérer en pleine forêt. Ses grands-parents, eux, s’en vont prendre le train pour rentrer… Des histoires qui deviennent vite secondaires lorsque Ryan, par inadvertance, invite une espèce extraterrestre sur notre planète (des choses qui arrivent, paraît-il). Une nacelle de transport apparaît devant ses yeux, sans qu’il ne soit en mesure de déterminer de quoi il s’agit. Il décide alors d’appeler la police. Débarque ainsi Yasmin (Mandip Gill), une policière frustrée par son boulot, lequel consiste essentiellement à intervenir sur des conflits de parking. En moins de temps qu’il n’en faut pour dire « compagnon-e-s », les présentations sont donc faites.
Alors que Grace et Graham sont occupé-e-s à être hyper mignon-ne-s dans le train du retour, quelque chose s’écrase et les percute. Le couple et un jeune homme, Karl (Johnny Dixon), sont alors bloqués dans leur wagon. L’ambiance devient plus dark que le prémisse d’Hereditary, les lumières s’éteignent, et un orbe lumineux constitué de ce qui semblent être des câbles électriques se rapproche dangereusement d’eux et elle. Mais la Doctoresse fait une entrée fracassante – littéralement –, et Jodie Whittaker tombe du ciel pour sauver tout le monde – un peu comme dans la vraie vie, quoi. (Une femme incarne vraiment le Docteur et aucune indication de combustion spontanée dans le fandom ! Incroyable.) Tranquillement mais sûrement, la Doctoresse retrouve ses bonnes habitudes : elle réunit des gens autour d’elle pour l’aider à protéger l’humanité. Malgré l’amnésie due à sa régénération, elle prend les choses en charge et laisse partir Karl qui a visiblement vécu trop d’émotions en une soirée. Entourée de ses ami-e-s, Doctor Who mène l’enquête : d’où vient l’orbe ? Que fait-elle ? Comment l’arrêter ? La nacelle a disparu ! Que se passe-t-il ? Un gros alien menacerait-il Sheffield ? Peu à peu, les mystères sont résolus.
Tout l’épisode se construit ainsi autour de la traque d’un guerrier Stenza, prénommé Tzim-Sha, qui lui-même chasse un humain, Karl, afin de prendre du grade. Alors que les pièces du puzzle se rassemblent, la Doctoresse renoue progressivement avec qui elle est, résolvant l’énigme de sa personnalité. Un cheminement illustré par une scène déjà culte dans laquelle on la voit construire son propre « sonic Swiss Army knife », complètement grisante. En dépit de ses nombreux rebondissements, la structure de « The Woman Who Fell to Earth » est éminemment classique, préférant nous présenter les protagonistes de l’histoire plutôt que de s’embourber dans un arc narratif moffatien monumental. Il y a au fond une simplicité sincère dans ce nouveau Doctor Who, qui peut être complètement déroutante.
La fin, elle, nous évoque les moments les plus iconiques de la série. Quand la joyeuse troupe arrivent sur le chantier pour voler au secours de Karl, poursuivi par Tzim-Sha, la situation est critique. La Doctoresse, Ryan et Yaz décident de monter dans la grue en face pour venir en aide au jeune homme. Cette dose de non-sens, de courses et d’agitations est tout ce qu’il fallait à la Doctoresse pour se souvenir de qui elle est : « I know exactly who I am. I’m the Doctor. Sorting out fair play throughout the universe. » Sans surprise, Tzim-Sha est vaincu, mais Grace, qui ne peut s’empêcher d’être awesome, entreprend de détruire l’orbe avec le soutien de Graham. Malgré son succès, elle chute de la grue et meurt dans les bras de ce dernier. Indéniablement, le ton est bien plus sombre dans cette saison 11, mais aussi plus consciencieux. Quelques minutes avant la conclusion de l’épisode, la Doctoresse entreprend de récupérer son TARDIS en utilisant la technologie de téléportation de Tzim-Sha. Et il faut croire que les réglages n’étaient pas parfaitement au point : Ryan, Yaz, Graham et la Doctoresse se retrouvent dans l’espace, à flotter. Paisiblement (ou presque).
Food for thoughts
En négligeant deux éléments cultes de Doctor Who durant une heure entière – le générique et le TARDIS –, « The Woman Who Fell to Earth » s’ancre dans une sorte de réalisme assez inhabituel pour un show adepte des chevaux et des rhinocéros dans des vaisseaux spatiaux. Avec ce relaunch, Chris Chibnall revient à l’essence de ce qu’est Doctor Who, une fiction sérielle installée au cœur du Royaume-Uni, mais qui aime surtout nous présenter des protagonistes auxquels nous pouvons facilement nous identifier, les personnages venant tous de la classe moyenne – un manutentionnaire, une policière, une infirmière, un chauffeur de bus, un grutier. Il met ainsi de l’ordinaire dans le merveilleux, ou du merveilleux dans l’ordinaire, c’est au choix. Ici, le temps pris pour se pencher sur les futur-e-s compagnon-e-s a quelque chose de salvateur, venant complètement s’opposer à ce que Moffat avait fait de l’univers de la série, se focalisant sur la figure du Time Lord et laissant peu de place à la complexité et à la profondeur de ses rôles secondaires. Le nouveau showrunner entreprend un retour aux sources et, à la manière de Russell T. Davies, nous rappelle que les véritables héros et héroïnes de Doctor Who sont celles et ceux qui vivent des aventures à ses côtés, de ses acolytes aux spectateurs-rices.
Si 60 minutes ne suffisent pas pour tout dévoiler – surtout dans un épisode de régénération, lesquels sont souvent périlleux –, l’exposition permet déjà d’entrevoir la direction prise par Chibnall et son équipe. Le ton y est radicalement différent, et cela s’incarne à la fois dans une photographie sombre aux couleurs sobres, une réalisation ambitieuse et une bande sonore efficace mêlant rétro et moderne. Pour autant, alors que tout sent le neuf, la confrontation avec le premier méchant de la saison nous confirme que l’amour pour la série originale n’est jamais loin. Tzim-Sha paraît s’être échappé d’une fiction SF des 80’s, et son visage peuplé des dents de ses victimes nous ramènent à l’art and craft caractéristique de la série. Même avec son budget significatif et des effets spéciaux réussis, « The Woman Who Fell to Earth » parvient à s’emparer de l’un des charmes les plus remarquables de Doctor Who : son authenticité.
Finalement, l’enjeu principal de ce lancement était de nous permettre de retrouver Doctor Who, tout en nous faisant à l’idée que ces retrouvailles seraient uniques et teintées de tristesse, et pourtant familières et illuminées d’euphorie. L’on aperçoit d’ailleurs dans le jeu de Whittaker une once de l’empathie profonde du Doc d’Eccleston et de la légèreté dramatique de celui de Tennant. L’humour, qui était l’un des talents de Moffat, s’esquisse ici différemment. Et peut-être pour le mieux. Doctor Who parle des gens avant de parler du Docteur. C’est là sa force : sa capacité à faire de l’existence ordinaire un conte merveilleux et philosophique. On dit donc un grand oui, et on a franchement hâte de voir la suite !
En vrac :
- Combien comptons-nous d’héroïnes de SF qui ne sont pas de simples copies de personnages masculins déjà existants ?
- Mieux : combien comptons-nous d’héroïnes de SF qui portent si bien les bretelles pour pantalon ?
- Si le TARDIS et le générique ne reviennent pas dans l’épisode 2, il est possible que je pleure sous la douche silencieusement dans les semaines à venir.
- Big up à Tim Shaw et sa face de dents.
- Si cet épisode s’attarde sur Ryan, à n’en pas douter, les arcs narratifs de Yaz et Graham se développeront par la suite. Le choix conscient d’un casting (enfin) réaliste me laisse espérer un Doctor Who plus politique que jamais, ancré dans notre époque et les questionnements qui la traverse.
- Le changement de genre de la Doctoresse est présenté comme une évolution naturelle tout au long de l’épisode, et c’est parfait.
- Note to myself : ne jamais jeter la salade de ton kebab au visage d’un alien en pleine nuit, même ivre.
- Est-ce qu’il était vraiment obligatoire de faire mourir Grace dès le premier épisode ? Ou de la faire mourir tout court ? Non parce que, personnellement, j’étais déjà tombée en amour.
- *SÉQUENCE MONTAGE DOCTOR WHO FAIT DE LA MÉTALLURGIE*
- « If you want to know what’s happening, ask a bus driver. »
- Une récente étude le confirme, les histoires de super-héros et de SF nous présentant des femmes dans les rôles principaux inspirent les petites filles. Et de manière générale, les enfants veulent plus de super-héroïnes. Dingue ! (Pas vraiment.)
- Bonus : cet épisode a battu un record d’audience avec 8,2 millions de téléspectateurs-rices au Royaume-Uni pour la première diffusion. L’audience la plus importante pour le programme depuis une décennie.
Le premier épisode de Doctor Who, saison 11, sera diffusé sur France 4 le jeudi 11 octobre 2018 à 22h25 en VOST.