Que tu aies déjà vu Doctor Who dans ta vie ou non, tu devrais franchement te lancer car ce relaunch est vraiment l’occasion idéale. Et ensuite, tu tomberas dans une faille temporelle parce que tu ne pourras pas t’empêcher de (re)regarder les 10 saisons précédentes. En seulement deux épisodes, Jodie Whittaker a confirmé son talent et sa perfection (sponsorisée par mon objectivité). Dans « The Ghost Monument », la personnalité de la Doctoresse se dévoile, alors que les Stenza sont de retour (presque) !
[Spoilers, spoilers, spoilers.]
« Brains beat bullets. »
Première planète extraterrestre, course dans le cosmos, catastrophes, disparitions inexpliquées, robots et tissus tueurs ! Yay, Doctor Who est de retour. « The Ghost Monument » est un peu plus court que le précédent épisode, mais pas moins enthousiasmant. D’une part, et c’est important, il s’ouvre avec le nouveau générique de la série, sorte de figuration des effets d’un hallucinogène mélangé à la nostalgie de l’enfance – tu comprendras en regardant. Je pense que si tu tends l’oreille, tu peux entendre tous les fans de Doctor Who hurler de joie au visionnage de ces quelques secondes fantastiques. D’autre part, Jodie Whittaker fait le job, du début à la fin.
On retrouve donc notre joyeuse compagnie, récupérée in extremis par deux vaisseaux qui passaient par là (miraculeusement, personne n’est mort en dépit d’une flottaison prolongée dans l’espace). À leur bord, Angstrom (Susan Lynch) et Epzo (Shaun Dooley), deux aliens – une qualification seulement valable de notre point de vue, pour dire vrai – en pleine compétition intergalactique. Évidemment, la Doctoresse, Yaz, Graham et Ryan se retrouvent au milieu de la dernière étape de ce challenge du futur, pour notre plus grand bonheur. Afin de gagner la course, les deux compétiteurs doivent trouver le fameux « Ghost Monument », qui n’est autre que le TARDIS de la Doctoresse. Elle décide donc d’aller récupérer son vaisseau avec l’aide de ses compagnon-ne-s, aux côtés d’Angstrom et Epzo.
Progressivement, l’on est embarqué dans un road trip collectif sur une planète mystérieusement déserte et au nom équivoque : Désolation. Toute trace de vie a disparu, il n’y a visiblement rien, hormis nos protagonistes et les microbes présents dans l’eau. En cause ? Les Stenza – mais si, tu sais, ces guerriers de l’espace qui aiment bien se servir de leur tête comme d’un cabinet dentaire. Les types ont manifestement la fâcheuse tendance de s’installer ou de débarquer partout, pour leur plaisir ou pour leur gain. Et, on l’apprendra plus tard, pour décimer des populations. Alors que les scientifiques captifs-ves des Stenza essayaient de mettre au point un nouvel arsenal de guerre sur Désolation, les expériences ont mal tourné. Ce n’est pas tant un monument fantôme que l’on découvre qu’une planète fantôme, sur laquelle il ne reste que des vestiges de civilisation et les conséquences d’une culture militariste. Et cela a le don de questionner la Doctoresse, qui cherche à comprendre quels événements ont pu conduire à cette catastrophe. Elle fait preuve d’une détermination infaillible afin d’élucider la situation, malgré le désintérêt d’Epzo, un action hero dopé à la masculinité toxique et aux cigares.
Grâce à un travail d’équipe efficace, une dose d’ingéniosité et de connaissances scientifiques, tout le monde ressort sain et sauf. Angstrom et Epzo – que tout oppose – décident même de terminer l’épreuve ex æquo, encouragé-e-s par la Doctoresse. Pourtant, de son côté, elle perd tout espoir de récupérer son vaisseau, baissant carrément les bras. Mais Yaz, Graham et Ryan répondent par un optimisme à toute épreuve. Et avec raison : elle finit par retrouver son TARDIS (enfin !), si proche et si loin à la fois, qui avait besoin d’un coup de pouce pour se stabiliser. Et quelles retrouvailles ! « Oh. You’ve redecorated. […] I really like it », lui dit-elle avec ravissement.
Food for thoughts
Je sais qu’avec la fin du monde qui nous menace et le réchauffement climatique, je devrais possiblement modérer mon euphorie face à quelque chose d’aussi superficiel qu’une série télévisée. Ou peut-être que c’est tout à fait le contraire : pourquoi ne pas prendre une petite part de bonheur si nous allons tou-te-s mourir (un jour ou l’autre, quoi qu’il en soit). Tout ça pour dire que « The Ghost Monument » m’a touchée en plein cœur, et ce plus profondément que je ne l’aurais voulu.
À la manière du fameux TARDIS, cet épisode à l’arc narratif si dépouillé se révèle plus grand à l’intérieur. La photographie y est magnifique et, encore une fois, les effets spéciaux sont de qualité. L’esthétique de la série trouve un parfait équilibre entre rétro et moderne, à l’instar de la musique incroyable de Segun Akinola. Le compositeur est tout simplement en train de réinventer l’univers sonore de Doctor Who, et c’est assez impressionnant. Par moment, la bande-son évoque les meilleures tracks de Nils Frahm, petit génie de la musique classique contemporaine. Les morceaux sont imprégnés d’une grâce et d’un sens du détail extraordinaires. Combinée au visuel novateur du show, l’OST devient un personnage à part entière qui nous accompagne à travers le temps et les galaxies.
Côté réalisation, avec Mark Tonderai aux manettes, les choix sont parfois déroutants. La direction prise par Chris Chibnall s’oriente clairement vers l’émotion brute et la vulnérabilité des personnages – y compris de la Doctoresse. En anglais, il existe d’ailleurs un terme pour l’aura de la série, elle paraît plus « grounded » dans la réalité, malgré les aliens, les vaisseaux et les tissus biogénétiques volants. Pourtant, l’utilisation un peu abusive de la caméra à l’épaule vient parfois émousser l’ensemble. Un détail, évidemment, peut-être aussi dû au genre que « The Ghost Monument » veut explorer et au désir d’être au plus près des protagonistes. Après le visionnage de ce deuxième épisode, il est néanmoins difficile de ne pas comparer ces débuts à la démarche de l’équipe de Russell T. Davies. Il y a vraiment cette même sincérité, cette même authenticité qui se dégage de chaque scène – dans la réalisation comme dans l’écriture.
Concernant le fond, ce que je suspectais la semaine dernière se confirme. Il y a une volonté délibérée de laisser de la place aux protagonistes afin qu’ils puissent pleinement exister, qu’ils racontent leur histoire. Y compris ceux de passage, comme Angstrom et Epzo. Doctor Who est à nouveau une série avec beaucoup de cœur, semble-t-il. Au « We’re all alone » d’Epzo, la Doctoresse répond « We’re stronger together ». Elle n’hésite pas à le remettre à sa place constamment, atterrée par sa philosophie de vie nihiliste et les méthodes éducatives douteuses de sa mère.
Et les traits de caractère de la Doctoresse commencent à réellement se dévoiler. Elle est vive, toujours drôle, pacifiste et contre l’utilisation des armes, mais aussi très sensible et vulnérable. L’une des scènes les plus importantes de l’épisode est très certainement celle où The Remnants (la créature composée de tissus) s’adresse à elle et sent sa peur, plus forte que celle des autres : « You can’t save them. We smell your fear, too. The strongest of all. […] You lead, but you’re scared to. For yourself and for others. […] Afraid of your own newness. We see deeper, though. Further back. The timeless child. […] We see what’s hidden, even from yourself. The outcast, abandoned and unknown. » Si l’on compare avec les anciennes régénérations du Docteur, là encore, la volonté de faire de la Time Lord un être faillible, mais aussi plus humain, car influencé par le temps qu’il passe en notre compagnie, évoque indéniablement l’ère T. Davies. On redécouvre notre voyageuse en tant qu’exploratrice, et non plus seulement sous les traits d’une enquêtrice qui aurait trop lu Sherlock Holmes (big up Moffat). « Some of us feel a duty for oters who are in trouble », dit-elle à Epzo. Cet altruisme s’incarne dans sa façon de réagir aux situations, mais aussi dans son rapport à celles et ceux qui l’accompagnent.
Yaz, Graham et Ryan l’aident autant qu’elle les aide, il existe une véritable réciprocité dans leur relation. Doctor Who n’est plus cette figure divine insondable, mais une individue, avec ses doutes, ses questionnements et ses failles. Elle n’hésite pas à demander le soutien d’autrui. Cette nouvelle saison promet donc d’être franchement grandiose, et plus politique que jamais.
En vrac :
- L’Attaque de la draperie géante !
- Justice sociale intergalactique !
- Je le confie, j’ai crié plusieurs fois durant l’épisode – dont le générique, et j’ai totalement plié sous le poids de mes larmes lorsque la Doctoresse retrouve son TARDIS et que l’on en découvre l’intérieur. JUGE-MOI.
- Je pense me réapproprier le concept d’« heroic naps ».
- Graham rapporte 100 points à Gryfondor pour le meilleur port de lunettes de soleil en arrière-plan.
- Il est vraiment cool de constater que la dyspraxie de Ryan n’est pas une simple anecdote balancée dans l’épisode 1, mais une réalité véritablement intégrée au récit.
- L’échange entre Ryan et Graham au sujet du deuil est un vrai beau moment de télévision. L’incapacité du jeune garçon à s’exprimer figure la réalité du poids des normes de genre. Et la main tendue de Graham l’espoir d’un changement.
- On est d’accord que les grimaces de Jodie Whittaker rappellent carrément celles de David Tennant, et que c’est un peu génial ?
- Le clin d’œil au fish custard dans le TARDIS était parfait.
- MAIS QU’EST-CE QUE C’EST QUE THE TIMELESS CHILD ? *je vais prendre une heroic nap pour cause de surexcitation*
Le deuxième épisode de Doctor Who, saison 11, sera diffusé sur France 4 le jeudi 18 octobre 2018 à 22h45 en VOST.