Nous avons décidé de commencer l’année 2019 avec une nouvelle rubrique, un peu dans la veine de « Femmes d’action » : une série d’interviews dans laquelle nous allons à la rencontre de personnes féministes et engagées au quotidien. Avec « Projectrices », le but est de te proposer un contenu court, mais pas moins enrichissant pour autant. Ici, on se concentre sur les créatrices de projets militants et nécessaires. On met un coup de projecteur sur des démarches qui nous tiennent à cœur, et on laisse la parole aux actrices de la société d’aujourd’hui. Notre première interview est celle d’Angèle Marrey, la réalisatrice du documentaire 28 jours, coproduit par Justine Courtot et Myriam Attia, et sorti sur YouTube le 28 octobre 2018. Un film pour lever le tabou autour des règles ? On dit oui, évidemment.
Peux-tu nous présenter ton projet rapidement ?
28 jours, c’est l’un des premiers documentaires sur le tabou des menstruations. Durant 30 minutes, nous avons tenté de déconstruire ce qui est pour nous l’un des derniers grands tabous sociétaux, à travers des portraits, des collages et de l’animation. Nous y parlons de sang, d’économie, de douleurs, de maladies, de religions, de représentations, et même de cul !
L’idée nous est venue avec deux amies rédactrices, lors d’une conférence de rédaction. L’une d’elles a des règles douloureuses, et elle nous a alors dit très simplement qu’elle n’était pas bien à cause de ses règles. Le visage des personnes qui étaient autour de la table s’est transformé si rapidement que ce fut un déclic. On a compris qu’il fallait que nous fassions quelque chose. Nous avions envie de faire changer les mentalités des personnes présentes dans un premier temps, puis l’on a vu que ça allait bien au-delà de la salle de rédaction. C’est comme ça que le projet a commencé.
Quels obstacles as-tu rencontrés pour réaliser ton projet ?
Je n’ai que 22 ans. Alors, évidemment, je n’ai pas toujours été prise au sérieux, surtout avec un sujet de documentaire portant sur les règles. Il faut le dire : nous avons essuyé beaucoup de refus, de silence et de mépris lorsqu’il a fallu porter le projet et en parler autour de nous. Et quelque part, c’est ce qui rend ce documentaire encore plus fort : il est nourri par la rage d’exister (rires) !
D’autre part, c’est un premier film pour toute l’équipe. Nous avons appris en faisant, en créant et en ratant. C’était exaltant et fatigant à la fois. Niveau émotions, c’était les montagnes russes ! En réalité, je pense que j’aime tous les obstacles que nous avons vécus. Les retours sous la pluie avec le matos à 5 heures du matin, les annulations d’interviews dix minutes avant, les problèmes de disques durs et les logiciels qui plantent… On a eu de beaux épisodes de stress ! Mais c’est aussi dans ces moments-là qu’on se rend compte qu’on a toujours quelqu’un-e pour nous aider. J’ai eu la meilleure équipe possible pour réaliser mon premier film !
Pourquoi ta démarche est nécessaire en 2019 ?
Il est urgent de déconstruire le tabou autour des règles, qui est tellement grand et vieux. Les menstrues, en 2019, sont liées à des problèmes profonds et concrets d’inégalités et de problèmes de santé. Si on pouvait parler librement de nos règles, il serait par exemple plus simple de se révolter publiquement contre les produits chimiques qu’on met dans nos tampons. Si on pouvait en parler librement, on dirait aux jeunes que ce n’est pas normal de se plier en deux quand on a ses règles ou de s’évanouir tellement la douleur est violente. Certaines maladies, comme le syndrome des ovaires micropolykystiques et l’endométriose, seraient aussi plus rapidement diagnostiquées ! En réalité, il faudrait retourner la question. Pourquoi donc les règles restent encore et toujours un problème en 2019 ?
Quel rôle joue la culture à tes yeux dans la lutte militante et féministe ?
Je pense, d’une part, que l’art est le plus convaincant des supports pour mener n’importe quelle bataille militante ! Je dois tenir ça de mon papa qui est artiste peintre. À mes yeux, et cela est personnel, une revendication est doublement plus convaincante quand elle est belle, travaillée. D’autre part, la culture représente une opportunité sans précédent pour la libération de la parole des personnes concernées… et sa visibilisation ! Si on ne nous la donne pas dans les médias traditionnels, on la prendra par d’autres biais. Mais quoi qu’il arrive, on fera entendre ce qu’on a à dire.
Tu as un conseil culturel pour nos lectrices et lecteurs qui aimeraient aller plus loin ?
Les deux livres d’Élise Thiébaut : Ceci est mon sang et Les règles… quelle aventure (avec Mirion Malle). Ils sont géniaux ! Le livre de Jack Parker aussi, Le Grand Mystère des règles. Il était dans mon sac durant les quatre mois de l’écriture. Sinon, il y a aussi plein de vidéos de youtubeuses super cool qui parlent de règles ! Tu peux y découvrir plein de choses que je n’ai pas pu aborder dans 28 jours, comme les nouvelles protections menstruelles !
Puis, pour vraiment aller plus loin, tu peux commander une box sur Marguerite et Cie, partager le documentaire avec tes proches et parler librement de ton flux aux repas de famille. Pour les questions, les incompréhensions, les vécus : on est sur Instagram et on adore partager avec les internautes ! Le meilleur conseil que j’ai finalement, au-delà de la lecture, c’est d’oser poser des questions… Et oser y répondre aussi !
Le documentaire 28 jours, d’un grand intérêt, parle principalement de l’expérience des femmes cis. Il serait donc intéressant et utile d’aborder le sujet des règles en incluant toutes les personnes menstruées. À la rédaction, nous espérons un jour être en mesure de relayer un tel projet, lequel nous semble essentiel pour avoir une véritable discussion (et si tu en connais un, n’hésite pas à nous envoyer un message).