À l’occasion de la première édition de notre club de lecture, Dépossédées, nous avions envie d’aller à la rencontre de l’autrice du livre sélectionné, Les Ravagé(e)s. Louise Mey a gentiment accepté de répondre à nos questions sur son livre et son sujet difficile mais nécessaire : les violences sexuelles. Si tu as déjà commencé (ou fini) le roman, le point de vue de la créatrice t’apportera certainement matière à réflexion. Et si tu ne l’as pas encore fait, on parie que la lecture de cette interview te donnera envie de t’y plonger.

 

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Louise Mey est une autrice française de 36 ans, installée à Paris. Sa plume plurielle est à l’origine de plusieurs romans et d’une pièce de théâtre. Alors, pour Dépossédées, nous avions envie de l’interroger plus particulièrement sur Les Ravagé(e)s, le premier livre sélectionné pour le club. Ce roman policier nous entraîne dans la vie d’Alex, une inspectrice de police et celle de son équipe.

Contrairement à d’autres polars, ici, on prend son temps. Les personnalités sont plutôt approfondies, et il peut se passer de longs moments sans que l’enquête n’avance. Si ce parti pris peut sembler déroutant pour les adeptes de romans policiers, il nous donne en fait la chance de partager le quotidien des personnages, avec ce qu’il a d’attachant et de désagréable. On peut enfin leur attribuer un certain niveau de complexité. Ce choix, Louise Mey nous l’explique dans cette petite interview, avant d’enchaîner sur la pédagogie et la violence présentes dans son livre.

 

En tant qu’autrice, quelles sont les choses qui inspirent ton écriture ?

Ma réponse va être un peu bateau, mais je ne sais pas exactement ce qui m’inspire. Je sais simplement que des histoires me viennent en tête ! J’ai eu la chance de naître dans une famille au sein de laquelle on m’a toujours encouragée à les écrire, à travailler dessus, et je n’ai jamais vraiment arrêté.

 

Pourquoi écrire un livre comme Les Ravagé(e)s ? Le style policier était-il une évidence pour traiter la question des violences faites aux femmes ?

Je crois qu’il y a peu d’autres genres que celui du polar qui auraient pu me permettre d’inclure des statistiques précises. Et particulièrement, le roman policier social me semblait être un bon moyen. Mais, pour être honnête, je ne me suis pas vraiment posé la question en ces termes, ce n’était pas une stratégie réfléchie. Au final, le genre auquel appartient un livre est davantage une appellation choisie par la maison d’édition, qui a besoin de catégoriser pour le vendre.

 

Même s’il raconte le quotidien d’une brigade fictive, ton livre comporte un réalisme certain. Était-ce important pour toi de ne pas éloigner ton lectorat du quotidien, de lui rappeler que tous les cas décrits sont le reflet de situations réelles et que cela impose donc un temps long ?

Effectivement. Le livre prend son temps, et je peux comprendre que l’on n’aime pas ça… Les deux premiers opus prennent place sur plusieurs mois. Et le troisième sera tout aussi lent. Pour moi, c’est un rythme qui s’est imposé de lui-même, pour traduire la difficulté, le manque de moyens, le découragement de la brigade.

Puis, tout ça va aussi avec mon envie de laisser le temps à mes personnages de se dévoiler, qu’on apprenne à les connaître. En tant que lectrice j’aime savoir qui est qui, et il faut un peu de temps pour laisser les protagonistes parler et se présenter. Le dévoilement progressif laisse le temps de les côtoyer dans des moments agréables. On les voit vivre, pas juste déprimer – des fois ils rigolent et mangent des cacahuètes !

 

Il y a une vraie dimension pédagogique dans Les Ravagé(e)s, notamment avec Alex qui donne beaucoup de statistiques sur les violences faites aux femmes. L’un de tes objectifs était-il d’informer, voire d’éduquer les lecteurs-rices ?

Éduquer, c’est un peu ambitieux ; mais informer, oui. En tant que lectrice je ne voulais plus reproduire ce schéma toxique d’une femme victime qu’on voit juste au second plan, floue, et qui ne sert que de prétexte. Je voulais que ces victimes anonymes – et en matière de violences sexistes et sexuelles, ce sont pour une écrasante majorité des filles et des femmes – prennent leur importance, qu’elles aient une véritable place.

 

Avec Les Ravagé(e)s, on est loin d’avoir une vision manichéenne des choses. La fin de ce roman pose en effet de nombreuses questions éthiques. Est-ce que la fin justifie les moyens ? Une action radicale, globale et violente n’est-elle pas nécessaire ? Est-ce là des interrogations que tu as aussi personnellement et que tu voulais retranscrire dans ton livre ?

J’essaie d’avoir une réflexion féministe, donc je me pose tout le temps des questions ! Et je n’ai pas tout le temps les réponses… En ce moment j’ai l’impression qu’il y a un retour de bâton contre les femmes, qu’on leur dit : « Vous avez obtenu l’égalité donc ça va maintenant ». Tout ça rend le dialogue difficile. Au départ, je suis contre la violence. Mais quand on se plonge profondément dans tout ce que les statistiques disent de l’inégalité, de la peur, de la violence perpétuelle, je pense que l’on peut être tenté-e-s d’essayer de comprendre une forme de radicalité incarnée par certains personnages des Ravagé(e)s.

 

Ton écriture s’exprime dans des formats et genres très différents, mais qui portent toujours sur des thématiques actuelles et importantes. Quels sont tes prochains projets ? Retrouverons-nous Alex et son équipe ?

Alors j’ai terminé une première version du troisième opus d’Alex et Marco. Maintenant, il faut passer au long travail d’édition et de réécriture, pour avoir un texte final qui corresponde à ce que je veux proposer aux lecteurs-rices. Ce troisième livre est assez dur à travailler, donc je n’ai pas encore de date de sortie à te donner.

En mars, mon roman jeunesse Le Jour du Vélo Rouge va sortir et il est déjà disponible en prévente. Il comporte un peu de mystère mais parle surtout de la réparation. J’ai d’autres projets de ce style car j’adore la littérature jeunesse. C’est tellement capital ce qu’on lit étant enfant… j’espère que cela va donner quelque chose !

J’ai aussi des projets de BD mais c’est très long : il faut trouver l’illustrateur-trice, monter des dossiers et ensuite seulement espérer trouver une maison d’édition.

À côté, je voudrais aussi continuer à écrire des choses un peu drôles car se plonger dans les statistiques des violences faites aux femmes m’impose de changer de style pour m’aérer un peu la tête. Et puis il y a des projets secrets pour lesquels je ne veux pas me porter la poisse, alors je ne dis rien… pour l’instant.