Les coups de cœur de Think tank by 2P
- Soror Lila : suite à la polémique autour du hijab de course, l’écrivaine Annie Ernaux prend la parole pour nous inviter à écouter celle des femmes musulmanes voilées. Elle s’adresse surtout aux féministes, celles qui auraient dû, les premières, défendre la liberté des femmes voilées de se vêtir comme elles l’entendent et qui, au contraire, se sont précipitées pour exclure une nouvelle fois ces femmes de l’espace public. « Comment nous, femmes féministes, qui avons réclamé le droit à disposer de notre corps, qui avons lutté et qui luttons toujours pour décider librement de notre vie pouvons-nous dénier le droit à d’autres femmes de choisir la leur ? Où est la sororité qui a permis, par exemple, la fulgurante expansion du mouvement #MeToo ? L’empathie, la solidarité cessent dès qu’il s’agit des musulmanes en hijab : elles sont le continent noir du féminisme. Ou plutôt d’un certain féminisme qui fait la guerre à d’autres femmes au nom d’une laïcité devenue le mantra d’un dogme qui dispense de toute autre considération. » [Libération]
- Portrait d’Agnès Varda en sorcière : le 29 mars, la cinéaste Agnès Varda nous a quitté-e-s. C’est donc avec une grande tristesse que nous rédigions ce court post, un simple hommage voué à se perdre dans le foisonnement d’Internet. Agnès Varda, que certain-e-s ont trop souvent réduite à son capital sympathie de vieille dame chaleureuse, était une femme de talent, indispensable à la Nouvelle Vague et au septième art dans son ensemble. Elle avait tant de choses à dire, et elle a passé sa vie à les partager avec nous. À travers ses œuvres, elle n’a cessé de raconter l’existence avec poésie, puissance et grâce. Et, au cœur de son art, la lutte féministe avait une place essentielle. Quand on pense à la perte d’Agnès Varda en cette triste journée, dans chacune de nos actions, nous pouvons retrouver la mélancolie d’une Corinne Marchand chantant « Sans toi », déchirée de douleur, dans Cléo de 5 à 7. Merci pour tout Madame Varda. [Le Monde diplomatique]
- Toni Morrison’s difficulty as an author and personality is a thrill : la femme de lettres Namwali Serpell explore l’œuvre de Toni Morrison, la difficulté de l’aborder, sa richesse incroyable et son ambiguïté, mais aussi la liberté de son écriture, intransigeante et indispensable : « Morrison est difficile. Elle est difficile à lire. Elle est difficile à enseigner. Elle est difficile à interviewer. Malgré le cortège volumineux de portraits, de critiques, d’analyses universitaires à sa suite, il est difficile d’écrire à son sujet. Mais plus précisément, elle est notre seule écrivaine vraiment canonique noire, et son travail est complexe ». [Slate] [ENG]
- Depressed and Anxious? These Video Games Want to Help : le monde des jeux vidéo pourrait-il mettre à notre disposition des ressources utiles pour lutter contre la dépression et l’anxiété ? En tout cas, des concepteurs-rices de jeux (souvent indépendant-e-s) se penchent sur ces sujets, et avec talent. La journaliste Laura Parker donne de multiples exemples et explore les bienfaits déjà constatés par les créateurs-rices de jeux vidéo, lesquels sont soutenus par de nombreux spécialistes de la santé mentale : « Après la sortie du jeu de rôle de simulation Stardew Valley en 2016 – qui ne punit pas les joueurs-ses de ne pas avoir accompli les tâches et crée une atmosphère lente où l’objectif est de prendre soin d’une ferme délabrée –, Eric Barone, le créateur du jeu, a reçu des centaines de messages. Les joueurs-ses ont écrit pour partager leurs histoires sur la façon dont le jeu les a aidé-e-s à affronter des périodes difficiles de leur vie ». [The New York Times] [ENG]
- Watch: Jordan Peele on Us, doppelgängers and reinterpreting Hitchcock : si comme nous à la rédaction tu as adoré le dernier film de Jordan Peele, Us, alors cette interview est faite pour toi (on espère trouver le temps de te proposer un papier de fond dans les semaines à venir). Malheureusement, la vidéo n’est accessible que pour les personnes anglophones. Le cinéaste raconte l’influence importante du cinéma d’Alfred Hitchcock sur lui, mais aussi l’exploration des doppelgängers dans son long-métrage. Il parle comme toujours avec passion du genre de l’horreur, et du lissage du contenu auquel ont accès les enfants aujourd’hui par rapport aux productions cinématographiques des années 1980 : « Je pense qu’il y avait quelque chose de positif dans le fait de vraiment explorer la noirceur dans le contenu destiné aux enfants. Est-ce que ça nous a traumatisé-e-s ? Oui, bien sûr. Mais, personnellement, ça m’a aussi donné du contexte quand j’étais gamin, ça m’a fait comprendre que, parfois, de mauvaises choses arrivent et ça faisait partie de l’histoire qui nous était enseignée ». [Little White Lies] [ENG]
Dans la bibliothèque et sur l’écran de Deuxième Page
- RévâsSéries, la vie de la rédac depuis son canapé : on cherche parfois longtemps le parfait équilibre entre politique et comédie, et beaucoup pensent que l’humour se limite toujours à des tropes fades et oppressifs. Pourtant, qu’est-ce qu’on rit dans l’appartement où vivent Lydia (désormais veuve), Penelope et ses deux enfants Helena et Alex ! Dans Au fil des jours, ce sont les femmes qui conduisent la marche. Ce sont elles qui prennent les décisions et ce sont elles encore qui sont les rocs de la famille. La sitcom prouve que l’on peut être hilarant-e-s et mettre les deux pieds dans le plat du politique : on peut parler de féminisme et être touchante, comme Helena. On peut parler de violences policières à son fils avec émotion, comme Penelope. On peut avoir du mal à suivre la pensée si millennial de sa petite-fille, comme Lydia, et pourtant l’aimer envers et contre tout. Au fil des jours ne prend aucun détour pour mettre sur le tapis la dépression et l’anxiété post-armée de Penelope, la transidentité ou l’homosexualité des personnages. Il n’y a pas de place pour la périphrase ou l’euphémisme quand il faut parler de racisme, de despotisme ou de lutte des classes. La vie de cette famille est à l’heure américano-cubaine et l’héritage familial est parfois lourd à porter : Lydia a fui son pays à l’âge de 17 ans avec son futur mari, et à deux, elle et il ont reconstruit un îlot d’amour et l’ont transmis aux nouvelles générations. La famille fonctionne comme un petit fort, bien protégé par Penelope et Lydia. Les rares privilégié-e-s autorisé-e-s à y pénétrer apportent encore plus de nuances et de sensibilité à un tableau qui n’en manquait déjà pas. Et toujours, cet humour ravageur, qui fait rire d’épisode en épisode.
- #Bibliotheque2P, le livre de la semaine : en 1995, Cheryl Strayed décide sur un coup de tête de partir randonner seule, pendant 1 700 km sur le Pacific Crest Trail (dans l’Ouest américain). Elle cherche à la fois à fuir un passé douloureux et à se (re)trouver. Cheryl n’est pas randonneuse, elle part avec un sac trop lourd et des chaussures trop petites. À l’époque, il n’y a pas vraiment d’Internet et surtout pas de téléphone portable. Sa solitude est réelle – même si elle va faire de belles rencontres en chemin –, son manque de préparation aussi. Elle se décourage régulièrement mais continue, puisque c’est finalement la seule option. « J’ai réfléchi aux différentes possibilités qui s’offraient à moi. Je savais qu’il n’y en avait qu’une seule d’envisageable. Comme toujours. Continuer à marcher. » Dans Wild, Cheryl raconte cette expérience, décrit les peurs et les douleurs, mais aussi la beauté et l’émerveillement. Elle fait des incursions dans son passé et dans ses émotions. Cheryl Strayed nous donne envie de partir nous aussi à l’aventure, de découvrir des lieux inconnus – peut-être hostiles mais sûrement magnifiques – mais surtout de nous découvrir nous-mêmes dans un autre environnement, dans une autre posture. Une lecture inspirante et poignante. (Ce livre a été adapté au cinéma en 2014 par Jean-Marc Vallée sous le nom Wild : marcher pour se retrouver.)
Les articles les plus lus sur Deuxième Page
- Regarder des séries est-il devenu thérapeutique ? : il y a des séries iconiques, comme Buffy. On y retrouve des héroïnes et du féminisme, oui, mais aussi un tel conformisme que nous devons désormais remettre en question ces role models. Depuis quelque temps, une vague de séries nous embarque dans de nouvelles réflexions et constructions de personnages. Elles nous reflètent bien plus que l’on peut l’admettre et illustrent les transformations sociales et intellectuelles que nous vivons.
- Cinq films par des réalisatrices à voir sur Netflix (immédiatement, même si tu dois faire la vaisselle ou nourrir ton chat) : de la sororité, de la représentation, de la résilience… Si tu as envie de plonger dans un univers qui t’est inconnu, comme celui, queer, féministe et racisé des ballrooms de la fin des années 1980 avec Paris is Burning, ou si tu souhaites voyager aux côtés de deux héroïnes incroyables avec Dukhtar, cette petite sélection est faite pour toi. Quoique tu choisisses, de longues réflexions t’attendent.
- Nocturnal Animals de Tom Ford, la politique fallacieuse des corps (2017) : la frontière entre la politisation et la réification du corps des femmes est bien fine et aisée à franchir. Sur un scénario qui semble sec, le réalisateur Tom Ford propose une expérience esthétique complexe, dont la fin laisse néanmoins un goût amer. Comme le film dissèque le corps, cette chronique dissèque le film.
- La La Land de Damien Chazelle, l’implacable magnétisme du vide hollywoodien (2017) : il y a des projets cinématographiques dont l’ambition nous transporte. Et puis, il y a le choc avec la réalité : La La Land nourrissait le vœu de réaliser un hommage à Hollywood, une comédie musicale sur plusieurs niveaux de lecture, mais le résultat est tristement décevant et « franchit la frontière si fine entre magistrale réactualisation et imitation vaine ».
- Tribune : Ce n’était qu’une mauvaise blague, rien d’autre : cette tribune, c’est un récit intime, un texte pour relater l’expérience traumatisante d’une agression sexuelle et comment ce qui ne semblait être qu’une mauvaise blague s’est transformé en véritable violence. Nina remonte jusqu’à son enfance. Elle raconte ce qui lui a été confisqué et comment elle s’est construite.
Image de une : Agnès Varda sur le tournage de son film L’une chante, l’autre pas, 1977. © Everett Collection