Pour reprendre notre rubrique dédiée à la place des femmes dans la photographie érotique, Nina te propose de découvrir le travail de la Danoise Goodyn Green. Basée à Berlin, elle investit la culture queer avec la volonté de subvertir les normes genrées. En mettant en scène des femmes androgynes, ses photographies exposent la marge ténue entre l’intime et le politique dans les représentations des sexualités lesbiennes.

 

La photographie érotique, comme d’autres champs artistiques, doit se mettre au service de la pluralité des représentations et des regards. L’image des corps s’y reflète dans son intrication avec les normes sociales. Elle place le fantasme dans la trame complexe du désir tel qu’il se construit dans la vie, en dialogue avec la société, avec sa part de réalité et de rêve.

Le travail de la photographe et réalisatrice Goodyn Green a tout de suite capté mon attention. Née en 1979 au Danemark, elle emménage en 2007 à Berlin après ses études et deux années d’enseignement primaire d’Art et d’Histoire à Copenhague, puis publie ses premières photos en 2009 pour la revue papier Bend Over. Elle en devient l’une des principales contributrices. En 2011, le magazine édite d’ailleurs son livre The Catalog, dont les photographies reprennent (souvent avec humour) les mises en scène du magazine gay espagnol Kink. C’est lorsque Goodyn Green prend connaissance de la version lesbienne du périodique, Marikink, lequel contient surtout des images stéréotypées d’une certaine vision de la féminité, qu’elle décide d’agir : « J’ai été tellement irritée par les photographies. Les photographes étaient les mêmes que ceux de la version masculine – deux hommes homosexuels. On voyait surtout des femmes aux cheveux longs dans la forêt, soit la mise en scène de cette tendresse féminine stéréotypée qui se manifeste si souvent pour tout ce qui se rapporte à la sexualité féminine. Ça m’a donné envie de faire quelque chose de similaire à Marikink, mais pour les femmes queer », a-t-elle expliqué à Stil In Berlin.

N°3, « The Catalog ». © Goodyn Green

Marikink participait ainsi à la diffusion d’idées reçues, à une vision tendre, douce et épurée de la féminité et à une représentation irréelle et onirique des sexualités lesbiennes, bien loin de ce qui excite l’intérêt de la jeune femme.

 

La photographie créatrice d’intimité

Plusieurs fois primée en tant que réalisatrice de films pornographiques féministes, à l’aise avec la rencontre des corps, Goodyn Green manie la mise en scène de l’intimité en se plaçant souvent du point de vue subjectif de l’amante, comme dans sa série photographique « Between Sheets » (2011-2014). On y sent une bienveillance évidente et de la complicité, ainsi qu’un désir de montrer d’autres modèles de représentations amoureuses et des sexualités dans une société où elles sont majoritairement limitées et binaires.

Toujours dans sa volonté de subvertir les genres, elle se lance aussi en 2013 dans un projet à long terme intitulé « Women ». Il s’agit de portraits de femmes qui s’identifient comme telles, mais sont pourtant souvent considérées comme des hommes du fait de leur apparence. Pour accompagner les images, ces personnes témoignent dans de courts textes de leurs difficultés à évoluer dans un environnement qui rejette toute remise en cause des normes genrées. Les réactions vont de la simple remarque aux agressions et menaces verbales, en passant par la confusion autour des toilettes publiques.

N°3, série « Women ». © Goodyn Green

Aussi, la photographe montre régulièrement dans ses œuvres les corps, les visages, les vêtements et tatouages de femmes (ainsi que de quelques hommes et personnes trans*). Aucun des modèles ne correspond aux canons de féminité, de minceur, de couleur ou de classe validés et promus par le carcan d’un point de vue sociétal essentiellement masculin, blanc, aisé et hétérosexuel. Un archétype unique contraignant, lequel tend à exclure par principe et dans les faits toutes celles et ceux qui en sont à la marge.

 

Les représentations comme acte politique

N°7, série « C. ». © Goodyn Green

Dans ses films comme dans ses photographies, Goodyn Green propose des figurations alternatives des sexualités dans l’art, notamment féminines et lesbiennes. Elle dit refuser les scènes de violence et chercher des situations plus inattendues (comme de placer une femme enceinte en position dominante sur sa partenaire). Son travail est basé sur le plaisir et la bienveillance. Sa volonté de faire du porno est née de la très faible part de films lesbiens qui ne soient pas destinés à un public d’hommes cis et hétérosexuels. Là encore, il s’agit de se réapproprier la narration, de montrer d’autres réalités.

Le terme « lesbienne » lui-même tend à générer un malaise – y compris parmi les personnes concernées – notamment du fait du rejet social qu’il suscite ou de son instrumentalisation dans un registre pornographique destiné au male gaze. Goodyn Green affirme qu’elle n’a pas peur d’utiliser le mot « lesbienne », sans pour autant tenter de l’effacer derrière celui de « queer » – dont elle ne renie pas l’importance. Pour elle, la différence entre les deux termes réside notamment dans le fait que se revendiquer en tant que femme queer signifie davantage « s’exposer et montrer qu’on a une sexualité forte ». Soulignant cette distinction entre les aspects privé et politique des sexualités, Goodyn Green veut partager le vécu et le point de vue d’individu-e-s plutôt que de les réduire à une esthétique globale et uniformisante.

À partir du moment où les normes de genre nous intiment de nous conformer à leurs représentations, proposer d’autres imaginaires inspirés par ses propres aspirations devient politique. Goodyn Green se définit d’abord comme « femme, féministe, lesbienne, puis queer »². Son travail précieux, joyeux, sensible et sincère participe à la création d’une autre forme d’érotisme, loin des idées reçues. Ici, le regard de la photographe est aussi politique qu’intime, et cela fait de son art un acte de militance important et éminemment nécessaire pour bouleverser le statu quo.

 


¹ Culture Beat: Goodyn Green at Strange Loop Gallery, court-métrage de Keren Aronoff Masser au sujet de l’exposition de Goodyn Green à la Strange Loop Gallery, 2013.
² QUEER GEFRAGT mit Alexa Vachon und Goodyn Green, Saskia Lux, 2015.


*L’astérisque derrière le mot « trans » permet de rendre visible la multiplicité des identités trans*. Il y a en effet de nombreuses façons d’être trans*, d’exister au monde. Cette utilisation de l’astérisque nous a été suggérée par la photographe Neige Sanchez en interview, et nous avons décidé de l’utiliser sur le webzine. Encore peu employée en France, elle tend à inclure toutes les identités transgenres et non binaires.


Image de une : N°4, « The Catalog ». © Goodyn Green