Annabelle le sait : son amour de la pop culture n’excuse pas la quantité de séries qu’elle regarde. Pour autant, parfois, nos obsessions ont du bon… et elles donnent même naissance à de nouveaux formats sur Deuxième Page ! De la dernière saison de Game of Thrones à la conclusion de The Big Bang Theory en passant par sa passion pour le fromage et Keanu Reeves, elle dénoue ici le fil de sa pensée dans ce billet d’humeur pop culturel baigné d’actus.
Le problème avec un projet bénévole comme Deuxième Page, c’est qu’on manque toujours de temps (et de moyens). On a des idées plein la tête, de l’ambition plein le cœur, mais la réalité de nos vies prend souvent le pas sur notre volonté. On voudrait bien te proposer cinq articles analytiques sur la pop culture de façon hebdomadaire, des interviews par milliers, des critiques, des chroniques, mais… on n’a pas le temps. Si quelqu’un-e bosse activement sur la confection d’un TARDIS, on achète (enfin, on paye nos bières). Du coup, on cherche des solutions pour faire ce que l’on veut, mais pas tout à fait comme on l’aurait idéalement voulu. En somme, on emprunte des chemins de traverse.
Si tu connais Deuxième Page, tu sais que la pop culture, pour nous, c’est un peu le nerf de la guerre. Après des mois à réfléchir à une manière à la fois fun et enrichissante d’en parler avec plus de régularité, je me suis dit qu’il pourrait être sympa de commenter l’actualité pop culturelle sous forme de billets d’humeur. Je m’emballe peut-être, car tenir des rubriques sur la durée n’est pas ma première qualité (je veux dire, tu peux constater toutes celles que j’ai délaissées, contrainte et forcée : mes récap de Doctor Who, mes odes à Dame Maggie Smith…). Mais faisons comme si, et partons du principe que je vais le faire, que j’en suis capable (#féminisme). L’idée, c’est donc de te partager les trucs que j’ai pu voir passer concernant la pop culture, mes avis (intéressants ou non) sur certains d’entre eux et de lancer la discussion. Et en cas de mise hors service de ma personne, pourquoi pas ouvrir la rubrique à d’autres rédactrices !
Entre nous, le début de la semaine passée a été compliqué. J’ai dû me remettre de mes émotions à la suite de l’anniversaire de Deuxième Page, et j’ai donc consacré l’essentiel de mon lundi à errer en slip dans mon appartement (FYI : je suis freelance), totalement assommée par le poids de l’amour et de la fierté. Malgré mon état végétatif, j’ai profité de mon jour off pour visionner l’avant-dernier épisode si controversé de Game of Thrones. Je résumerais mon avis très constructif à : « FIRE FIIIIRE EVERYWHERE NIHILISM AND CRAZY EX GIRLFRIENDS YAAAAS ! » Autant dire que je suis team pourquoi-franchement-les-gars-non-mais-vraiment. Par contre, de là à lancer – et signer – des pétitions sur Internet, faut pas abuser. Si t’es pas satisfait-e du tournant que prend une œuvre, écris des fanfictions, comme tout le monde. Spoiler alert : le dénouement sera décevant, et tu remettras vraisemblablement en question tes choix de vie et les heures investies dans Daenerys et ses dragons. Tout au plus, tu passeras à autre chose, et tu iras regarder la saison 2 de Fleabag sur Amazon Prime, ce bijou de perfection que l’on ne mérite pas.
Mais pour rester dans la thématique « gouffre intellectuel », la semaine dernière, c’était aussi la fin de The Big Bang Theory. Confession : je me suis tapé toutes les saisons, que j’ai regardées au fil de la diffusion. J’ai peu de regrets dans mon existence, mais celui-ci est une plaie béante dans mon cœur. Zéro drama, totale transparence. Ma capacité à tolérer la médiocrité télévisuelle est infinie, et mon incapacité à arrêter des séries en cours de route sera sans doute la cause de mon décès prématuré. « Ci-gît Annabelle, morte d’avoir regardé 53 jours de télévision sans ressentir aucune émotion. Puisse-t-elle reposer en paix, aux côtés de NCIS, Once Upon a Time et Glee. » Cette série est clairement l’une des pires de la création contemporaine, une campagne marketing de douze ans pour éviscérer la culture geek et lui voler son âme, à laquelle beaucoup d’entre nous n’ont pas su résister.
Les mécanismes de la nostalgie nous font souvent aller contre notre raison et notre esprit critique. Car, il faut le dire, ces derniers mois, on voit se terminer pas mal de séries majeures (sauf Grey’s Anatomy, qui ne s’arrêtera jamais, et dont la saison 58 nous présentera la vie des arrière-petits-enfants de Meredith Grey, qui travailleront toujours dans le même hôpital, lequel sera géré par une intelligence artificielle) pour une génération entière, et pour la pop culture en général : Big Bang, Broad City, VEEP, Game of Thrones, Orange Is the New Black, Unbreakable Kimmy Schmidt, Mr. Robot, Jane the Virgin, Crazy Ex-Girlfriend… Inévitablement, toutes ces conclusions ont une signification concernant le moment que l’on est en train de vivre culturellement (et aussi, diantre, le coup de vieux est réel). On se demande si, avec les changements actuels au sein des structures de financement et de distribution, de nouvelles séries remplaceront celles que l’on perd. Aura-t-on des phénomènes similaires à ceux qu’incarnent certains de ces shows ? Probablement, ou peut-être se manifesteront-ils autrement. La différence principale sera possiblement l’impact ou la portée qu’ils auront à l’avenir, car ceux de qualité en cours ne manquent pas (The Good Fight, Fosse/Verdon, Grace & Frankie, Ramy, Barry, Killing Eve…). Seulement, comme en atteste ma parenthèse non exhaustive, la quantité est tellement importante qu’il est difficile de choisir quoi regarder. Savoir quelles productions pourront fédérer un enthousiasme commun (et mondial) à l’image de celui autour de Game of Thrones est imprévisible, et si un phénomène similaire se concrétise, la forme qu’il prendra sera nouvelle.
Dans nos sociétés capitalistes, l’expansion incontrôlée ne se résume pas à celle de la production de biens. Elle s’applique aussi à la culture, et pour les séries, cela s’incarne aujourd’hui sous le terme « Peak TV ». De l’histoire de la télévision, jamais autant de shows n’avaient été diffusés. La conséquence ? Les téléspectatrices et téléspectateurs sont complètements submergé-e-s (pour ne pas dire noyé-e-s). Cela a des implications réelles, comme l’annulation de programmes excellents, qui n’obtiennent pas la visibilité nécessaire à leur pérennisation (et aussi la fatigue généralisée et des crises d’anxiété). La Peak TV, c’est un peu comme un plateau de fromages avec trop de fromages dessus (si une telle chose est possible) : t’en manges jusqu’à te péter le bide, et après une nuit à prier Satan de pardonner ta gloutonnerie, tu décides de ne plus jamais en avaler et de devenir l’une de ces personnes qui n’aiment pas le fromage. Peu à peu, à travers le monde, le fromage s’amasse et s’amasse, mais plus personne n’y prête attention. Alors, la fin des séries télévisées est arrivée avant que tu aies le temps de dire « reblochon ». THE END.
Ce scénario catastrophe (featuring Dwayne The Rock Johnson dans le rôle du Fromage Master) est peu probable, mais les résultats de notre lassitude déjà visibles. Sur Deuxième Page, on essaye d’ailleurs de faire le tri pour toi, en te recommandant des œuvres spécifiques. Mais même nous, par instants, on a juste envie d’aller élever des moutons en Écosse pour faire taire le brouhaha permanent de l’actualité (pop culturelle ou non). Malgré ce constat, on peut se réjouir de voir certains projets vraiment enthousiasmants en préparation, à l’instar de la minisérie Mrs. America, qui sera diffusée sur FX. Elle racontera l’histoire de Shirley Chisholm, la première femme afro-américaine élue au Congrès des États-Unis. Et, on l’a appris récemment, elle sera incarnée par Uzo Aduba (« Crazy Eyes » dans Orange Is the New Black), qui rejoint Cate Blanchett au casting.
Enfin, parce que la réalité de notre époque est parfois dure à appréhender jour après jour, je désire conclure sur une touche d’espoir. Mon pessimisme et mes rêves d’apocalypse laitière ne m’empêchent pas d’apprécier les bonnes choses de la vie, comme Keanu Reeves, à qui l’on pardonne tout, y compris de jouer dans « Toxic Masculinity: The Franchise » (big up John Wick). Récemment, interviewé par Stephen Colbert lors d’une émission du Late Show, il a donné la meilleure réponse à une question impossible, à savoir : que se passe-t-il quand on meurt. « Je sais que l’on manquera à celles et ceux qui nous aiment », a simplement expliqué l’acteur, confirmant son statut de meilleur être humain du show-business (si tu veux voir Keanu jouer avec des chiots, c’est par là, and yes, this is journalism and we are fucking doomed). Cet homme mérite qu’on lui dédie des haïkus quotidiens pour célébrer nos états d’âme. Oserais-je donc me lancer ? Me jugeras-tu ? Juge-moi.
Keanu est partout,
Et nos vies qu’il sublime
D’un plaisir inouï.
Image de une : © Deuxième Page