Les coups de cœur de Think tank by 2P
- Our obsession with growth is ruining the planet. A Green New Deal can save us : dans cette tribune, Kate Aronoff rappelle que si nous voulons éviter l’extinction de masse, il nous faut changer radicalement notre vision des choses (et notre manière de faire) à l’échelle mondiale. Pour elle, il semblerait que nous soyons coincé-e-s entre deux univers parallèles, l’un obsédé par la croissance du PIB et l’autre, celui de la dégradation incontrôlée de la nature, laquelle ne s’est jamais aussi mal portée. Pourtant, le premier a évidemment des conséquences sur le second. Comme l’explique l’un des scientifiques d’un très récent rapport de l’ONU qui estime que 1 million d’espèces sont aujourd’hui menacées d’extinction : « Nous érodons les fondements mêmes de l’économie, des moyens de subsistance, de la sécurité alimentaire, de la santé et de la qualité de vie dans le monde entier ». Encore en 2019, les humain-e-s se voient comme extérieur-e-s à la nature, alors que nous en faisons évidemment partie, « un fait que celles et ceux qui sont le plus susceptibles d’être du côté des perdant-e-s au cœur de cette expansion démesurée – les communautés autochtones en particulier – ont signalé durant des générations, pressant pour des protections plus strictes de la biodiversité, écrit Aronoff. La logique de l’extraction, de la valorisation de certaines vies plus que d’autres, a été une horreur morale aussi longtemps qu’elle a existé. […] Empêcher une catastrophe incontrôlée sur l’un ou l’autre de ces fronts interconnectés signifie qu’il faut jeter cette logique de l’accumulation sans fin par la fenêtre, et poursuivre le genre de réorganisation transformatrice que les scientifiques réclament ». [The Guardian] [ENG]
- Femmes transgenres enfermées à Fleury-Mérogis : une situation inacceptable ! – Pour la fin de la transphobie pénitentiaire : le 17 mai 2019, lors de la journée internationale de lutte contre les LGBTIphobies, le Genepi, Act Up Paris et Acceptess-T ont publié un communiqué commun pour relayer les revendications des prisonnières transgenres de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, enfermées avec les hommes, et plus largement, pour lutter contre la transphobie et le racisme généralisés. Les associations expliquent qu’« en France, l’incarcération dans un quartier homme ou femme se fait en théorie en fonction de la mention de genre à l’état civil. En pratique, les personnes sont souvent incarcérées sur la base des représentations sexistes et transphobes de l’administration pénitentiaire sur le genre. En ce qui concerne les femmes trans, cela se traduit par le fait qu’elles aient ou non fait une vaginoplastie. Dans les deux cas, cela signifie qu’en France, des femmes sont enfermées en prison d’hommes ». À Fleury-Mérogis, pour des raisons de sécurité, les femmes trans sont mises en isolement et n’ont donc pas accès à la cour de promenade, aux cours, aux activités, etc. au même titre que les autres prisonniers. Elles subissent donc à la fois la transphobie pénitentiaire et la punition de l’isolement. Au-delà du cas révoltant de Fleury-Mérogis, n’oublions pas que la lutte est plus large : « Nous nous devons donc de soutenir les luttes des personnes trans, des travailleuses et travailleurs du sexe, des étranger·e·s ainsi que de refuser leur enfermement, synonyme de mort sociale voire de mort réelle. Et nous nous devons également de soutenir les revendications qui émanent des prisonnières trans de Fleury-Mérogis elles-mêmes concernant l’amélioration de leurs conditions de détention et leur placement dans un quartier correspondant à leur genre. Elles ne doivent pas subir la “torture blanche” de l’isolement, selon le qualificatif employé par la CNCDH, et la discrimination arbitraire qui leur est imposée par l’administration pénitentiaire. Le placement en détention classique chez les hommes n’est pas non plus suffisant ». [Genepi]
- Hannah Gadsby: Three ideas. Three contradictions. Or not. : Hannah Gadsby est sans aucun doute l’une des femmes les plus brillantes de sa génération. Avec Nanette, elle a réécrit les codes de la comédie. Dans ce TED Talk, elle partage son expérience à travers le récit d’une histoire personnelle au sujet de sa grand-mère, ainsi que son diagnostic de l’autisme : « Pour moi, c’était surtout une bonne nouvelle. J’ai toujours pensé que je ne pouvais pas mettre de l’ordre dans ma vie comme une personne normale parce que j’étais déprimée et anxieuse. Mais il s’avère que j’étais déprimée et anxieuse parce que je ne pouvais pas mettre de l’ordre dans ma vie comme une personne normale, parce que je n’étais pas une personne normale, et je ne le savais pas. Cela ne veut pas dire que je n’ai toujours pas de difficultés. Chaque jour est un peu difficile, pour être honnête. Mais au moins maintenant, je sais ce qu’est ma lutte ». Comme à son habitude, l’humoriste développe ici un récit savamment structuré dans lequel elle donne à chacun-e des outils pour comprendre son point de vue. Elle explique pourquoi ses paradoxes sont une part essentielle d’elle-même, et comment ceux-ci lui permettent d’écrire et de performer : « Je n’ai pas vraiment besoin de parler, car en réalité, je récite. Tout ce qu’il me reste à faire, c’est d’établir un véritable lien avec mon public du mieux que je le peux. Et si l’expérience de Nanette m’a appris une chose, c’est que ce lien ne dépend pas uniquement de moi. Vous avez un rôle. Nanette a peut-être commencé en moi, mais le spectacle vit et grandit maintenant dans un monde entier composé d’autres esprits, des esprits que je ne partage pas. Mais je crois que j’y suis connectée. Et en ce sens, Nanette dépasse ma personne, comme le fait d’être humain dépasse chacun-e d’entre nous ». [TED Talk] [Vidéo] [ENG]
- Capitalism is failing workers. People want a job with a decent wage – why is that so hard? : The Guardian propose une série passionnante (et malheureusement inaccessible pour les non-anglophones) appelée « Broken Capitalism » qui explore les limites du capitalisme de marché et notre situation – catastrophique – actuelle. Dans cet article, le journaliste Richard Reeves tente de comprendre pourquoi il est si difficile pour toutes et tous d’avoir un salaire décent. De Marx à la question de l’aliénation au travail en passant par le rôle des syndicats et les nombreuses variantes du capitalisme, le journaliste montre comment, malgré une situation de croissance économique généralisée, les classes moyennes et ouvrières ont été laissées sur le côté. « Les gains matériels que les travailleurs-ses ont réussi à obtenir se sont faits au prix d’une perte profonde de souveraineté. Dans son livre intitulé Private Government : How Employers Rule Our Lives (and Why We Don’t Talk about It), la philosophe Elizabeth Anderson soutient que les PDG sont les nouveaux totalitaires, qui “se considèrent comme des individualistes libertaires” tout en agissant dans la pratique comme des “dictateurs de petits gouvernements communistes”. Nous nous imaginons libres, mais nous troquons effectivement notre liberté contre de l’argent quand nous pointons au travail. Ce que la plupart des gens veulent, c’est un emploi qui paie et un salaire décent qui offre à la fois une certaine satisfaction et une certaine sécurité. Les critiques les plus sévères du système, comme Anderson, pensent que ces objectifs sont profondément incompatibles avec la dynamique capitaliste. Mais au moins pour certain-e-s, surtout pour les hommes blancs, le capitalisme de marché a plutôt bien fonctionné, pour au moins une génération. C’est pourquoi il était si important de lutter pour que les portes s’ouvrent de force aux femmes et aux personnes racisées. L’objectif progressiste n’était pas de restreindre le marché, mais de l’ouvrir. […] Les universitaires ont adopté le terme “capitalisme tardif” pour décrire les tendances allant vers des économies axées sur les services et des modalités de travail de plus en plus souples (flexibles, c’est-à-dire pour l’employeur). Mais avec la délocalisation, l’insécurité et l’inégalité dont nous avons été témoins au cours de la dernière décennie, il est difficile de ne pas être d’accord avec le narrateur du roman d’Adam Thirlwell, Lurid & Cute, qui s’exclame au sujet du capitalisme : “Tardif ? Il venait seulement de commencer !” ». [The Guardian] [ENG]
- Radicalisation et psychiatrie : les données de deux fichiers pourront être consultées par les préfets : un décret publié le 7 mai 2019 autorise l’État à être prévenu lorsqu’une personne fichée pour « radicalisation terroriste » est hospitalisée sans consentement pour raisons psychiatriques. Deux fichiers pourront être croisés : Hopsyweb, qui concerne les personnes subissant des soins psychiatriques sans consentement – dont le traitement et la consultation par les autorités avaient été dénoncés en 2018 par des psychiatres et des associations de patient-e-s, qui lui avaient reproché des « amalgames entre maladie psychique et terrorisme » ; et le Fichier des signalements pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). Cette mesure fait suite aux propos de Gérard Collomb qui estimait, en août 2017, qu’« à peu près un tiers » des personnes signalées pour radicalisation « présentent des troubles psychologiques ». L’ordre des médecins avait rappelé « la nécessité absolue de préserver les principes fondamentaux de l’exercice professionnel, en particulier celui du secret médical ». Au-delà de toutes les questions éthiques qu’elle pose, cette nouvelle mesure remet clairement en cause le secret médical. [Le Monde]
Dans la bibliothèque et sur l’écran de Deuxième Page
- RévâsSéries, la vie de la rédac depuis son canapé : difficile de ne pas crier au génie face à la seconde saison de Fleabag, qui parvient – et c’était inespéré – à être encore meilleure que la première. On retrouve l’héroïne torturée, complexe et hilarante de Phoebe Waller-Bridge pour six derniers épisodes… et quelle extase ! Il est laborieux d’exprimer en mots la perfection de ces quelques heures de télévision, tant il y aurait de choses à dire. Et en même temps, l’un des grands plaisirs de ton visionnage se fera par la découverte progressive du récit, toujours plus nihiliste, mordant et brillant (et profane) que jamais. On se délecte de la plume acérée de la scénariste, et de ce quatrième mur qui se brise à la force de son regard perçant. Dans cette saison, Fleabag fait une rencontre déterminante, celle d’un homme qui lui ressemble en tous points et s’impose par ses choix comme son antagoniste : un prêtre (Andrew Scott). Aussi osée qu’inattendue, l’intrigue nous frappe au cœur. C’est une tragédie contemporaine, un drame prévisible et pourtant, l’on ressort de là avec l’espoir qui nous prend au corps comme une nausée existentielle. Dans son volet d’ouverture, le show nous offrait l’une des plus belles dissertations télévisuelles sur le deuil jamais exécutées auparavant ; sa conclusion, elle, nous fait croire que tout n’est pas perdu, que dans la délicieuse agonie de nos vies nous pouvons trouver, si nous le cherchons, une once d’espérance.
- Passion Podcasts, l’émission à écouter cette semaine : des épisodes brefs, des femmes ordinaires et inspirantes, des histoires quotidiennes et des petits gestes, c’est la promesse du podcast Café Simone, créé par Alicia Cosculluela. Et c’est promesse tenue. Chaque épisode donne la parole à une femme qui n’a certes pas soulevé des montagnes ni révolutionné le féminisme mais qui a réfléchi au monde dans lequel nous vivons, aux injonctions qui pèsent sur nous et qui a tenté, à l’échelle locale d’une ville de petite taille, de changer les choses. Il est beau d’entendre enfin ces femmes dont personne ne parle. Ce ne sont pas des héroïnes, elles n’ont pas toujours de reconnaissance institutionnelle ou publique, ne font pas partie des grands noms du féminisme que l’on cite à tour de bras, mais elles sont là, elles existent et ce sont elles, finalement, qui accomplissent une grande partie du changement. Tu peux écouter les épisodes dans l’ordre que tu veux mais du premier émerge une force et une douceur bien particulières.
Les articles les plus lus sur Deuxième Page
- Les Demoiselles du téléphone, l’émancipation des femmes traitée tout en superficialité : on le sait, tout est bon pour générer du profit. Le féminisme n’échappe pas à cette règle, et Les Demoiselles du téléphone s’est emparé d’une thématique majeure de l’histoire espagnole pour en faire un objet creux, malgré une très belle esthétique.
- Tribune : Je ne veux pas d’enfants, et j’aimerais que l’on arrête de me demander des justifications : Cielle ne veut pas d’enfants. Toujours en 2019, ce choix est jugé, questionné, discuté. Lasse de devoir se justifier, elle a fait de sa décision une tribune, pour ne plus jamais avoir à le faire.
- The F-World #10 : Virginia Woolf, la création littéraire au service du féminisme : l’autrice anglaise Virginia Woolf fait partie des grands noms de la littérature. Malgré une vie difficile, elle nous a légué une œuvre magnifique et l’histoire d’une vie sous le sceau de la liberté.
- Le féminisme opportuniste d’Emmanuel Macron : le féminisme est à la mode, Emmanuel Macron l’a bien compris, il en a fait « la grande cause du quinquennat ». Pourtant, point de ministère des Droits des Femmes, un infime 0,0066 % du budget du gouvernement alloué aux luttes contre le sexisme et du vent, beaucoup de vent.
- Playlist : Be softer with you (Nayyirah Waheed) : inspirée par l’œuvre de la poétesse Nayyirah Waheed, Annabelle t’a composé une playlist réconfortante. Quelques chansons pour te redonner du courage au quotidien, en attendant l’arrivée de l’été.
Image de une : Fleabag, créée par Phoebe Waller-Bridge, 2019. © Amazon Studios