Dire au revoir aux œuvres qui ont marqué notre existence, en accueillir de nouvelles, sans jamais oublier de s’interroger sur la culture comme objet de consommation… Tel est le quotidien d’Annabelle qui, quand elle arrête deux secondes de penser à Maggie Smith, prend le temps de te raconter sa semaine pop culturelle, entre nostalgie et enthousiasme.

 

[Texte rédigé en fredonnant « Comment te dire adieu » de Françoise Hardy, parce que : #lajeunesse.]

Qui aime quand les choses se terminent ? Peu de gens, je crois. C’est un truc à ajouter à la liste de mes bizarreries, mais personnellement, j’apprécie les conclusions… dans la fiction. Pour reprendre les mots de la parfaite Sylvia Tilly dans Star Trek: Discovery : « I love feeling feelings » (bon, après, à un niveau plus intime, ces situations sont plutôt synonymes de PLS et de longues sessions de larmes sous la douche). Mon inclination pour les grands dénouements est telle que la moindre information au sujet d’une œuvre que je suis en train de regarder ou lire me transforme immédiatement en She-Hulk. Je me délecte de parcourir un récit, de déchiffrer comment les autrices et auteurs élaborent leur narration, de découvrir les directions qu’elles et ils prennent. J’aime les fins car j’aime tout ce qu’il y a avant, c’est aussi simple que ça. Depuis que je suis gamine, la fascination qui entoure l’observation du déroulement d’une histoire sous mes yeux (et dans mon imagination) m’a toujours submergée. Appelle-moi la Sponge Bob of Les Feels. Eh oui, tu sais bien où je veux en venir, puisqu’il est impossible d’y échapper : l’épisode final de Game of Thrones.

C’est assez drôle – et un peu triste – de voir comment les gens ont perdu tout contrôle durant la diffusion de la saison 8. C’est aussi émouvant, d’une certaine manière, car ça en dit long sur notre implication dans des fictions, qui ne seraient selon certain-e-s « que du divertissement ». J’ai l’impression que notre époque favorise cet investissement, au point parfois de le rendre absurde. Notre réalité est si sinistre, dramatique et désespérante que la pop culture s’est transformée en une sorte de médicament universel pour nous aider à affronter nos quotidiens. La télévision est-elle devenue le nouvel opium du peuple ? Marxistes, vous avez deux heures. On ne peut plus s’en passer, c’est la catharsis suprême et sans elle, nous sommes esseulé-e-s. Le capitalisme tardif est-il en passe de nous aliéner grâce à nos œuvres préférées ? Peut-être bien. L’ère des franchises et l’homogénéisation de l’entertainment de masse devraient nous questionner. La monétisation de la culture aussi, tout comme l’évaluation de sa pertinence en fonction du nombre de dollars qu’elle parvient à générer. La portée de ces créations est aujourd’hui telle qu’on a du mal à exister en dehors des réalités alternatives qu’elles nous vendent. Elles apportent des réponses simples à des problèmes complexes, et vivre hors d’elles signifie qu’il nous faut accepter le réel, et agir. Pourtant, une œuvre ne devrait être que cela, non ? Quand celle-ci devient un produit de consommation, il me semble qu’on fait fausse route. Lorsqu’on achète un objet, on s’en estime propriétaire, et ce qui nous appartient est donc soumis à nos envies et désirs. Et ainsi, soudainement, on se sent légitime à signer des pétitions pour effacer le travail colossal effectué par des personnes qui ont bossé durant des années pour élaborer une création artistique. Si la vision véhiculée est discutable, et qu’on devrait toujours générer du débat et interroger ce qu’on regarde, le mépris de l’art lui-même lié à de telles réactions, dans ce cas précis, me questionne profondément.

Car je vais te dire, entre nous, quand je pense à Game of Thrones, je pense à ses retombées sur mon existence. Je me souviens des soirées avec mes ami-e-s organisées pour partager le moment d’un épisode, la joie de se retrouver et d’échanger (et de se disputer). Cette attente, le rendez-vous collectif, il n’y a rien de tel. Je me remémore le bonheur de tomber sur des gens aussi obsédés que moi quant au sens d’un motif sur l’une des robes de Cersei et les discussions vibrantes autour de l’évolution du personnage de Sansa. Je chéris ces moments précieux de communauté (no pun intended) que seule la culture peut nous apporter. Qu’y a-t-il de plus beau (hormis Dwayne Johnson et son crâne parfaitement lisse) que cet espace participatif créé par une œuvre qui nous donne un instant le sentiment d’appartenir à un groupe qui nous ressemble ?

Je sais, je sais, ce billet est empreint d’une aura nostalgique un peu terne, mais que veux-tu ? Les fins, c’est aussi ça. Un deuil qu’on fait en nous-mêmes – et ici avec le monde entier – pour dire au revoir à un show qui, qu’on le veuille ou non, a presque marqué une décennie complète de nos vies (j’avais 22 ans quand la série a commencé, 22 ans !). Quelquefois, il faut endurer cette tristesse, la comprendre, et avancer.

Alors passons à des nouvelles plus réjouissantes, et parlons de Downton Abbey. Si tu n’es pas encore au courant, j’ai une mini obsession pour Dame Maggie Smith, tout à fait saine. Il ne m’est donc jamais arrivé de perdre quatre heures d’une soirée à naviguer dans les bas-fonds d’Internet pour exhumer des photos d’elle, et je n’ai jamais composé de poèmes à sa gloire dans un carnet nommé « Expecto Patronum » (les vrai-e-s comprendront). Ma journée de mardi a donc été sublimée par l’irruption inattendue du trailer de Downton Abbey (THE MOVIE) sur le Net, une petite merveille de fanservice couronnée (see what I did there?) de nostalgie. On y retrouve tous nos personnages préférés en pleins préparatifs pour l’arrivée de la famille royale… Non, mais ? Que d’émotions ! Vont-ils réussir à les recevoir en respectant l’étiquette ? La comtesse douairière de Grantham va-t-elle nous enchanter d’une pique bien sentie ? Qui boira son thé avec le plus de swag ? Je ne tiens plus !

Au-delà de mes frémissements à la vue de Maggie Smith et de son inénarrable perfection, j’ai aussi fait une légère descente d’organes en découvrant la bande-annonce du prochain film de la réalisatrice et scénariste de Mister Babadook (2014), Jennifer Kent. Pour son nouveau long-métrage, The Nightingale, la cinéaste nous plonge dans un drame encore plus sombre que le précédent (un exploit, puisqu’il s’agissait d’horreur). Clairement, on est au cœur d’une fiction chargée émotionnellement, celle d’une vengeance ensanglantée qui promet quelques bouleversements, mais surtout d’une réflexion sur la violence elle-même et son prix. J’essaye de ne pas trop en savoir sur le synopsis non plus, car j’aime regarder les films sans rien connaître des détails afin de jouir pleinement de l’aventure (et la boucle est bouclée avec l’ouverture de mon post). Cela dit, tu vas être super heureux-se d’apprendre que The Nightingale n’a pas de distributeur français et donc aucune date de sortie prévue à ce jour. Du coup, quitte à vendre mon âme au monstre capitaliste, j’en appelle à Netflix et sa toute-puissance.

La semaine dernière, j’ai terminé avec un haïku en hommage à Keanu Reeves. Aujourd’hui, j’ai envie de te faire profiter un peu de mon bouquin de chevet actuel, The Poet X, un roman écrit entièrement en vers qui raconte l’histoire d’une jeune fille de Harlem, Xiomara Batista, qui se prend de passion pour le slam. Je me le suis procuré après avoir lu une interview de son autrice, Elizabeth Acevedo, sur The Atlantic, et je ne regrette pas mon achat. Alors, à toi l’anglophone en manque d’idées, je ne peux que te conseiller de faire chauffer ta CB, ou d’aller à la bibliothèque la plus proche.

Comme tu peux le voir, j’aime les fins, oui. Mais je ne suis pas franchement douée pour les écrire.

Late into the night I write and
the pages of my notebook swell
from all the words I’ve pressed onto them.
It almost feels like

the more I bruise the page
the quicker something inside me heals.

The Poet X, Elizabeth Acevedo, HarperTeen, 2018, p. 283.