Dans cette deuxième partie de son article sur Les conséquences du sexisme à l’école, Raphaëla t’emmène cette fois-ci à l’intérieur des bâtiments : que se passe-t-il dans les classes et couloirs ? Comment la domination masculine s’y organise-t-elle – aussi efficacement qu’à l’extérieur – et sur quoi s’appuie-t-elle ? 

 

[Raphaëla est assistante d’éducation dans le public. Depuis décembre 2018, elle tient cette rubrique, alimentée par son expérience personnelle et des recherches liées à son milieu professionnel.]

 

Partie 2 : Entre les murs

 

Dans les classes : le pouvoir aux garçons

Au sein de tous les espaces de vie et de détente qui sont à la disposition des adolescent-e-s, les un-e-s et les autres ne jouissent pas des lieux de la même manière. Le gouvernement peut mettre en place toutes les campagnes qu’il souhaite auprès des jeunes, elles ne pourront être réellement efficaces qu’à partir du moment où les adultes auront été formé-e-s à l’égalité. Ainsi, il n’est pas rare, encore en 2019, que les professeur-e-s séparent les élèves en deux groupes, filles et garçons. C’est valable en sport, bien sûr, mais aussi lors de travaux pratiques, d’activités facultatives ou au sein de l’engagement des élèves dans la vie des établissements. Sur la page Facebook de Paye ton Bahut, créée par une élève de terminale, on peut ainsi lire : « Les filles, vous allez jouer avec les garçons pour progresser. » Si même les adultes ne peuvent protéger les élèves du sexisme et l’encouragent, alors comment les éduquer à l’égalité ?

La salle de classe, comme la cour de récréation ou le parvis, n’est pas un lieu sûr. Sous les tables, là où les professeur-e-s ne regardent pas, les filles subissent des attouchements ; dans les classes, leur apparence est analysée, commentée et jugée. Dans les couloirs de certains bâtiments immenses, il est impossible de maintenir une présence bienveillante et de surveiller chaque recoin. Ainsi, déjà en 2011, plusieurs anciennes élèves du collège de Florensac dénonçaient les agressions subies dans leur établissement : « Des élèves de 3e bloquent l’accès aux toilettes et forcent les filles à se déshabiller ou à se livrer à des attouchements. C’est comme ça depuis longtemps ». De même, le jeudi 20 décembre 2017, les lycéen-ne-s de l’établissement Pissaro (Pontoise) manifestaient et bloquaient leur lycée pour protester contre la passivité de leurs enseignant-e-s face aux violences sexistes et sexuelles subies : « Depuis le début de l’année scolaire, elles sont plusieurs à être victimes de réflexions inappropriées, d’insultes et de mains aux fesses dans les couloirs, mais aussi dans les salles de classe. “On m’a déjà touché les fesses à l’entrée de la classe et le professeur a vu, mais n’a rien dit”, témoigne Hajar ».

 

L’égalité face au manque de moyens

Mon expérience témoigne déjà d’un nombre trop important de victimes. Au sein d’un établissement dans lequel j’ai travaillé, un élève en a agressé une dizaine d’autres. Pour simple sanction : un changement de collège. Pas de cellule psychologique pour accueillir les victimes, pas de conférence sur le consentement. Rien. Les victimes ont mis des mois à parler, souffrant en silence. Lorsque la première est venue à la vie scolaire pour raconter ce qu’elle vivait, elle nous a dit : « Il ne pense pas à mal », « C’est un jeu », « Ils font tous ça ». Parce que c’est un jeu auquel tous les garçons se prêtent, les victimes se sentent contraintes au silence, voire deviennent complices de ces actes en raillant leurs camarades et en propageant un discours du « C’est pas grave », comme la culture du viol l’a si bien imprimé dans leur éducation.

Pourtant, là où j’ai pu exercer, il y a eu des rumeurs de viols dans les toilettes ; les filles arrêtaient de manger pour être plus minces ; elles mettaient des jupes plus longues, des hauts moins décolletés, pour ne plus se faire traiter de « pute » et de « salope ». Là où j’ai pu exercer, une jeune fille a dû changer d’établissement tant le slut-shaming qu’elle a vécu ne prenait pas fin. Ce rapport de force s’opère également à l’aide des téléphones portables : Snapchat et Instagram sont des outils redoutables quand il s’agit de s’en prendre à la réputation des filles. Il y circule des vidéos prises dans leurs vestiaires sans leur accord, des photos dénudées relayées par des (ex)petits copains sans scrupule, mais aussi des montages pornographiques, et des humiliations en tout genre. De telles histoires font froid dans le dos et sont pourtant loin d’être des exceptions. La journaliste Amandine Hirou publiait en mai 2018 un article édifiant sur les pratiques sexistes à l’école, et évoquait notamment une vidéo d’une jeune lycéenne ayant un rapport sexuel avec deux garçons, qui avait été envoyée à d’autres élèves, sans son consentement, au lycée d’Alembert (Paris). Elle soulignait également les violences verbales : « Des camarades masculins hilares, mimant des actes pornos et les injuriant sans retenue – “sale pute”, “gros cul”, “t’es bonne” ». Dans des climats pareils, comment les filles peuvent-elles étudier sereinement et espérer progresser ?

Des projets ont été ou sont mis en place pour favoriser l’égalité entre filles et garçons à l’école. Dès la rentrée 2018, les établissements devaient non seulement intégrer aux équipes pédagogiques un-e référent-e égalité, mais aussi mettre à disposition de tout le personnel les coordonnées d’un-e référent-e académique, comme le souligne cet article du Parisien de juillet 2018 : « À partir de la rentrée 2018, trois séances obligatoires de sensibilisation à l’égalité filles-garçons et à la sexualité seront mises en place dans les collèges et lycées ». Nombreux-ses sont celles et ceux à avoir constaté qu’au sein de leurs propres structures, personne n’avait été nommé-e référent-e. Si les trois séances d’éducation à la sexualité ne sont pas une nouveauté, la mention de l’égalité filles-garçons l’est déjà plus. Pourtant, comme pour le-a référent-e égalité, de trop nombreux-ses professionnel-le-s de l’éducation n’ont pas vu se réaliser l’instauration de ces séances. Ce rôle incombe bien souvent à l’infirmière scolaire, mais celle-ci étant débordée, parfois présente sur deux établissements à la fois et responsable de nombreuses problématiques, il est souvent négligé.

En 2014, l’ABCD de l’égalité qui visait à déconstruire auprès des jeunes les normes et injonctions de genre a été supprimé suite aux critiques de partis de droite, tels que Les Républicains (ex-UMP). C’est dans un tel contexte que, en novembre 2017, Emmanuel Macron annonçait faire de l’égalité son cheval de bataille. Sans pour autant reprendre cette mesure ou en prendre en ce sens. Deux ans après l’affirmation de la volonté du Président et de la Secrétaire à l’égalité femmes-hommes, Marlène Schiappa, les établissements sont toujours des lieux de danger et/ou de discriminations pour les jeunes filles. Alors, qu’attendons-nous pour réagir ?