Mémorandom #62 : Des airs de fin du monde

Parfois, la réalité vient se teinter des couleurs du rêve, ou bien est-ce l’inverse ? Dans ce nouveau Mémorandom, Annabelle te partage une vision qui, dans son cœur, a souvent des airs de prophétie.

La fin de ton monde a eu lieu sur l’air de la deuxième Partita pour violon seul de Jean-Sébastien Bach. Par la fenêtre, il n’y a désormais plus rien à voir, que les corps calcinés de nos souvenirs d’humanité. Plus de champ, plus d’oiseau, plus de fleuve pour se jeter dans les océans.

Tu avais maintes fois vécu tes rêves d’apocalypse, grandioses et bruyants. Mais aujourd’hui, tout s’est tu. Tu peux tendre l’oreille, en sortir son tympan, qu’aucune vibration ne pourrait y faire naître un son. Les dieux et déesses n’ont cure de leur création, et ici, c’est toi qui restes. Témoin choisie de la catastrophe inévitable de l’extinction de ton espèce.

Parce que la mortalité t’a toujours paru insensée, elle te surprend lorsqu’elle t’épargne. Et quand le monde a disparu dans un silence, doucement, tu n’avais plus que ta vue pour attester de la finitude de tout, sauf de toi. La réalisation des prophéties dantesques attendra demain. La Terre a expiré lentement, méthodiquement, elle s’est résorbée sur elle-même dans les contrées sublimes de l’indifférence.

Quand le rien envahit le tout, les mots sont trop peu et les émotions si grandes. Dans la caverne de ta bouche en « o » naissent des sons orphelins de sens. La maison est vide et le chaos de ta gueule pareil aux landes désertiques laissées par une tragédie fatiguée d’avoir été tant annoncée.

To die, to sleep;
To sleep: perchance to dream: ay, there’s the rub;
For in that sleep of death what dreams may come
When we have shuffled off this mortal coil,
Must give us pause: there’s the respect
That makes calamity of so long life.

L’humanité s’est endormie pour ne jamais se réveiller. Et tu as cru. Tu as rêvé la vie comme un air de violon, romantique, déchirante et lancinante. Elle n’avait pourtant que le goût de l’oubli. De son début et de sa fin, tu n’as pas trouvé les extrémités, ballottant ça et là au gré du vent, toi, pendue, les yeux ouverts, face à l’infini.