Shazam! s’annonçait comme une révolution chez les super-héros et super-héroïnes. Annabelle était enthousiaste, elle qui en a assez d’assister aux mêmes défilés de clichés sur la masculinité dès qu’elle se rend au cinéma. S’il reste beaucoup de chemin à faire pour déconstruire ce genre, le film a au moins le mérite de poser des bases qui, on l’espère, serviront d’appuis aux prochaines productions hollywoodiennes.
Certain-e-s en rêvaient, et Warner l’a fait : l’ère Zack Snyder de DC semble toucher à sa fin. Avec Shazam!, la machine à franchises finalise le tournant enclenché par Wonder Woman, puis Aquaman (et, visiblement, l’équipe du film a enfin retrouvé le bouton pour calibrer les couleurs de l’écran). Le scénario de Shazam! est délicieusement stupide, enfantin, ce qui lui donne un air de légèreté malgré un intérêt qui ne dépasse pas les bof/10 (sauf si ta moyenne d’âge est de 8-10 ans). Il faudra plus qu’un long-métrage fun et familial pour faire passer le goût de vomi laissé par l’overdose de spandex que l’on subit depuis plus de dix ans, ne nous leurrons pas.
À mi-chemin entre le récit initiatique, le film de monstres et la comédie, le tout teinté d’un 80’s feel, Shazam!, en dépit de quelques moments de grâce, s’étend en longueur. La cohérence narrative n’est pas la priorité, son absence allant jusqu’à altérer la qualité cinématographique de l’ensemble. On suit l’histoire d’un adolescent de 14 ans, Billy Batson (Asher Angel). Orphelin, placé successivement dans de nombreux foyers, il est perdu mais plein de ressources. Billy vit dans un monde où Superman et Batman font la une des journaux. Cependant, leurs actions n’ont aucune incidence sur la réalité de son quotidien difficile. Malgré lui, il est désigné par Shazam (Djimon Hounsou) comme son successeur, après que le sorcier a essayé de dénicher une personne dotée d’un « cœur pur », durant des années de quête infructueuse. L’adolescent n’est certainement pas l’élu, mais il finit par être choisi. Il a donc désormais la possibilité de se transformer en une version adulte de lui-même : un super-héros forçant un peu sur la gomina (Zachary Levi). Il lui suffit pour cela de dire « Shazam » à haute voix… Sa mission ? Protéger l’univers de méchants monstres, les Sept Péchés capitaux, qui possèdent sa Némésis, Thaddeus Sivana (Mark Strong). Pas de pression.
À quoi servent les super-héros ?
La réalité du monde super-héroïque est éminemment binaire : les gentils contre les méchants, le bien contre le mal, le masculin contre le féminin. Dans ce type d’univers en noir et blanc, il y a généralement peu de place pour la complexité et la subtilité. De fait, on se retrouve rapidement avec des protagonistes unidimensionnels, luttant en faveur de causes qui le sont tout autant. Cette dualité, quasiment aucun film n’y échappe. Résultat : une soupe tiédasse que l’on sert à un public aliéné, à la recherche de réponses simples à des problématiques réelles et complexes.
Shazam! n’échappe pas aux codes du genre, loin de là. Il est rendu possible grâce à eux, ce qui en fait une œuvre ultra méta et référencée. Les enfants vivent avec une connaissance précise de ce que signifie être un super-héros, et des étapes à suivre pour en devenir un. Le sidekick de Billy, son frère adoptif Freddy (Jack Dylan Grazer), incarne cette réalité. Il l’accompagne dans sa nouvelle identité, établissant la check-list à compléter afin que celui-ci devienne un défenseur accompli de la veuve et de l’orphelin. Ici, la figure du super-héros se crée sur un imaginaire que nous connaissons tou-te-s.
Le film joue sur cette base dorénavant solide pour réorienter son propos, avec une tentative bancale de retournement. Quand Billy dit « Shazam », il représente un archétype : un homme fort, viril, musclé, blanc, vêtu d’un costume bien trop moulant et coiffé d’une quantité de gel qui devrait être interdite par la loi. Pourtant, au lieu d’aller sauver le monde et de remplir le cahier des charges du bon super-héros, le jeune garçon utilise sa forme adulte pour acheter des bières, essaye de se faire un peu d’argent de poche auprès des passant-e-s dans la rue et joue des tours au gardien de son école en se faisant passer pour un parent d’élève. Quand le méchant de l’histoire se lance à sa poursuite avec l’intention de lui voler ses pouvoirs (et probablement de conquérir la planète, mais le personnage est tellement peu développé et insignifiant qu’il n’y a rien à en retenir), Billy veut immédiatement échapper à cette destinée imposée. Ses problèmes, ceux qu’il entend affronter, sont bien plus concrets : se faire une place dans la société, dans sa famille adoptive, et retrouver sa mère biologique.
Au fond, les pouvoirs de Billy ne sont pas un moyen pour aider les autres, mais pour s’aider lui-même. C’est avec cette volonté de remettre les super-héros à l’échelle d’une humanité depuis longtemps délaissée que Shazam! fait ses plus belles trouvailles, dans un noyau émotionnel sincère. Malheureusement, celui-ci est immédiatement anéanti lorsque le film cède au poids du genre auquel il s’attaque. Et oublie son propos initial : le pouvoir inhérent des familles que l’on se crée, et la découverte d’un héroïsme collectif, et non solitaire. À un certain point, le long-métrage se perd, jusqu’à ne plus savoir ce qu’il veut dire ni quel ton adopter.
Réhumaniser nos idoles
Alors, pourquoi transcender ce genre paraît-il aujourd’hui hors de portée ? Depuis que les super-héros sont devenus les chouchous du cinéma mainstream, ceux-ci se complaisent dans un god complex outrancier, allant main dans la main avec la figure du martyr taciturne, solitaire, affrontant quelques problèmes freudiens non réglés. Ces incarnations majoritairement masculines de l’héroïsme moderne peuplent (« polluent » serait plus exact) notre imaginaire, et semblent indépassables. Dès l’âge d’or des comics, à la fin des années 1930, les protagonistes s’adressaient directement aux lecteurs – supposés masculins, par défaut – afin qu’ils s’interrogent : que signifie être un homme dans ce monde moderne ? Ce contexte créatif est aussi vrai pour les comics que pour le cinéma mainstream. Il est partout.
Le fait que les origin stories nous présentent bien souvent des garçons perdus, maladroits, des parias qui n’arrivent pas à se conformer à un idéal sociétal n’est pas un hasard. Et le fait que la réponse à cette situation se trouve dans l’obtention d’aptitudes surhumaines non plus. Si tu veux être un homme, un vrai, il te faudra faire tes preuves, et cela passe par des capacités physiques et mentales démesurées, par la domination. Mais Shazam! laisse entrevoir une autre mise en œuvre du film de super-héros à l’avenir, où le curseur serait déplacé. Le protagoniste revient à une figure morale d’exemplarité, centrée autour de thématiques telles que la famille et l’amitié, le long-métrage sortant ainsi de la case « action movie » pour sa majeure partie.
Le dépassement de cet imaginaire pourrait alors résider dans la création de modèles alternatifs. Et c’est ce qu’entreprend Shazam!, parfois avec brio, parfois avec maladresse, dans une sorte d’entre-deux jamais vraiment satisfaisant. Billy personnifie en effet un pas craintif vers le changement. Le film génère cette volonté d’en finir avec les anciens et leur uber-masculinité dominatrice et toxique, sans pour autant avoir l’audace de faire confiance à ses spectatrices et spectateurs, en mettant totalement à mal leurs attentes.
Réinventer le film de super-héros
Ce n’est pas pour rien que des productions comme Wonder Woman, Black Panther ou Spider Man: Into the Spider Verse s’invitent dans notre oxygène cinématique comme des respirations salvatrices. Il est nécessaire de désintégrer ce modèle fatigué. Si Shazam! repose encore beaucoup sur des tropes rébarbatifs, qu’il ne remet en cause que timidement – son protagoniste étant tout ce qu’un super-héros doit être dans l’imaginaire commun –, il crée la possibilité, jusqu’à un certain point, d’un après. Notamment avec sa fin, et la constitution d’un groupe de super-héros et héroïnes potentiellement hors des carcans. Une nouvelle ère où ces figures divines n’en seraient plus tout à fait, et où l’héroïsme ne serait plus associé à une forme de masculinité toxique.
Car au-delà de leur côté très agaçant, ce que symbolisent les Batman et Superman de l’ère Snyder ou les douchebags, à l’image d’Iron Man ou Doctor Strange chez Marvel, pose la question de la représentation, de l’image que l’on se fait de la masculinité idéale, et de son implication (l’impunité, le sexisme, la violence, la compétitivité, la force). Le personnage solaire de Billy-Shazam se développe ainsi en opposition à ces modèles, au moins dans sa personnalité. Il ouvre la porte à des univers moins binaires, plus en accord avec l’époque. Au fond, réinventer le film de super-héros demande de faire exploser l’essentialisme de genre. C’est aussi simple que cela. Et en tant que public, cela implique de revoir nos attentes quant à ce qu’un super-héros ou une super-héroïne est supposé-e incarner.
Au lieu de perpétuer la masculinité hégémonique (hétérosexuelle, blanche, bourgeoise, valide) qui se construit en opposition et comme supérieure à la féminité, la nouvelle génération devrait être susceptible de la remettre en cause. Elle devrait directement questionner les concepts mêmes de masculin et de féminin. Shazam! effleure cela du doigt, mais s’embourbe dans les impératifs fixés par des enjeux économiques qui le restreignent de toutes parts. Car pour un studio tel que Warner, le succès d’une telle production repose encore majoritairement sur un lead masculin et blanc, qu’il suppose être son public cible.
Le changement passera donc évidemment par une prise de conscience généralisée de la part de celles et ceux qui financent de tels projets. La réécriture des codes du film de super-héros se fera en s’ouvrant à différentes expériences, à d’autres visions du monde. Et le septième art ne manque pas de ressources (ni de personnes potentielles à embaucher), puisque le renouveau des comics est époustouflant, animé par de nouvelles voix qui nous proposent des personnages multiples et queer. Il est bel et bien temps de faire de nos héros torturés et solitaires de l’histoire ancienne.