L’écran noir des temps de chargement, la marée d’images, ces personnages innombrables qui peuplent des mondes imaginaires… Jade s’est en grande partie construite grâce aux jeux vidéo. Dans ce Mémorandom, elle te propose de les explorer à travers ses souvenirs d’enfance.

 

Il y a longtemps, je suis tombée amoureuse. Ou plutôt, j’ai commencé à tomber amoureuse. De qui ? De quoi ? De tant de choses, mais surtout de moi.

C’est une quête qui s’est entamée dès l’enfance, grâce à un gardien. Seule, perdue, et désirant plus que tout m’échapper, je me suis réfugiée dans l’écran rempli de pixels, aux côtés d’un bonhomme et de son dragon rose. Veillant l’un sur l’autre, le lien qui unissait ces deux incompris s’est étiré jusqu’à moi. Ils sont devenus les protecteurs d’une petite fille rejetée par le monde extérieur.

Doucement et inconsciemment, mon désir d’échappatoire s’est transformé en un besoin de me comprendre, de me retrouver, et de trouver ma place entre le bien et le mal, que le monde m’offrait comme seules options. Alors, coincée dans un entre-deux inexplicable, survint une autre moi. Elle était plus assurée, plus forte, et semblait plus précieuse aux yeux de ses proches. Plus grande, mais toujours aussi (r)enfermée, la fille que j’étais découvrait avec émerveillement la femme qu’elle aurait véritablement voulu être. Vêtue de vert, emplie d’amour et parée de son appareil photo et de son bâton, Jade se battait pour ses idéaux, et pour celles et ceux en qui elle croyait. L’aventure que j’ai vécue avec mon homonyme, bien que fictive, a transformé ma perception de la réalité et ma vision du monde, ma manière de m’y voir. Qui j’étais, où j’étais, pourquoi je ressentais, ce que je ressentais… tout prenait sens. Cet univers était devenu un refuge duquel j’étais certaine de sortir avec quelque chose de nouveau. Qu’il s’agisse d’une leçon ou d’une sensation, il provoquait en moi un je-ne-sais-quoi à chaque fois que j’y allais. Et j’y suis revenue très souvent. J’y retourne encore parfois.

Ce n’est qu’avec le recul, des années plus tard, que j’ai compris l’impact que ça avait eu sur moi.

À cette époque-là, j’étais trop occupée à ne pas prendre soin de ce qui agitait mon esprit. Je préférais m’enfuir, devenir une autre Jade, sans être consciente de tout ce que ces évasions m’apportaient. Ma sœur et moi, vipères en colère, accostions sur un ring incroyable où nous pouvions nous battre, sans comprendre qu’extérioriser notre haine de l’autre dans ces combats virtuels nous apprenait à nous aimer. Petit à petit, l’absence d’échanges s’est muée en de silencieuses communications. Nous sommes devenues plus sœurs que nous ne l’avions jamais été.

Je ne saurais identifier exactement à quel moment les bienfaits de chacune de ces parties partagées m’ont réellement percutée, ni l’ordre dans lequel ces dernières ont eu lieu. Le rapport que j’ai avec mon passé et sa temporalité est particulier. Tout se mêle, les années, les souvenirs, les personnes… Tout est comme hors du temps. Malgré cela, seuls les moments passés à incarner quelqu’un-e d’autre et à, inconsciemment, me découvrir, sont impérissables. Les sensations et les leçons qu’ils m’ont apportées sont ancrées en moi pour toujours, indispensables à mon évolution.

Désormais, vivre par procuration grâce à ces avatars virtuels n’a plus le même intérêt. L’enfant, puis l’adolescente que j’étais ont changé, et mon expérience de jeu aussi. Je ne cherche plus à m’échapper complètement, mais à m’évader. Je ne cherche plus à me trouver, simplement à m’inspirer. Peut-être que je ne réalise pas encore l’effet que cela a sur moi à cet instant précis. Peut-être que, dans plusieurs années, je repenserais à cette fantaisie d’une centaine d’heures comme une extraordinaire leçon. Ou à ce voyage dans une forêt crépusculaire comme initiatique. Ce qui est certain, c’est que cette quête qui dure depuis mon enfance n’en est plus une. Je ne me bats plus contre les autres ni contre moi-même. Ce que j’ai appris c’est que, à l’image de l’existence des personnages rencontrés, tout est à vivre comme une aventure.

 

Œuvres et lieux cité-e-s :

  • Guardian’s Crusade, Tamsoft, 1998
  • Beyond Good and Evil, Ubisoft, 2003
  • Fighting Vipers 2, Sega, 1998
  • Final Fantasy VII, Square, 1997
  • The Legend of Zelda: Twilight Princess, Nintendo, 2006
  • Les pixels d’un vieux téléviseur

 


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