Si tu te balades à Bordeaux et que tu passes au 3 rue Beaubadat, tu y trouveras un lieu singulier : le salon de thé et de tatouage Sibylles, dont la créatrice Charlee assume fièrement l’engagement féministe et LGBTQIA+. Cet espace convivial a été élaboré autour de trois éléments clés : la bienveillance, l’empathie et la culture. Pour Projectrices, sa fondatrice a accepté de nous parler de sa merveilleuse démarche.
Peux-tu nous présenter ton projet rapidement ?
Sibylles est un salon de thé et de tatouage ouvert en octobre 2017. On y prône la bienveillance envers tou-te-s. J’ai commencé à penser à sa création en constatant que, personnellement, j’avais parfois du mal à trouver des salons très accueillants, où l’on se sente vraiment en sécurité. J’avais envie de monter mon propre projet pour mettre en place un espace safe et sans jugement. C’est crucial, car le tatouage touche à l’intimité des personnes, à leur rapport au corps. Je voulais offrir aux artistes qui y travaillent et aux client-e-s – en particulier les personnes LGBTQIA+ – un lieu où ils et elles se sentent complètement à leur place, où ils et elles soient compris-e-s et écouté-e-s.
Il y avait aussi une dimension politique à ma démarche. Je voulais pouvoir y parler de sujets importants pour moi, comme le féminisme et les droits de la communauté LGBTQIA+. Au salon, on propose d’ailleurs un club de lecture dédié à des ouvrages engagés.
On organise également des événements pour sensibiliser le public, en partenariat avec des associations comme La Maison des femmes, par exemple. Cette année, nous travaillons avec La Maison d’Ella, qui vient en aide aux femmes victimes de violences. Et puis, pour chaque tatouage réalisé dans le shop, il y a un euro reversé à une association.
Quels obstacles as-tu rencontrés pour réaliser ton projet ?
Ma première crainte concernait la crédibilité. N’étant pas issue du monde du tatouage, je ne savais pas comment Sibylles allait être perçu, d’autant plus que c’est ma première expérience de création d’entreprise. Finalement, j’ai reçu énormément de soutien. Je me suis entourée de gens qui m’ont beaucoup aidée.
Pour le financement, je savais qu’il fallait que je monte un dossier solide afin d’être convaincante car le prêt n’allait pas être facile à obtenir, mais le lancement a été rapide. L’idée du salon a germé en mars 2017, et l’ouverture a eu lieu en octobre de la même année.
J’avais bien évidemment quelques appréhensions par rapport à l’engagement militant du salon et sa réception – tout le monde n’est pas forcément sensibilisé à ces causes –, mais les retours ont été très positifs, le concept a été accueilli chaleureusement. Je me suis rendu compte que, d’une manière générale, les gens sont super contents d’avoir accès à des lieux comme celui-ci !
Pourquoi ta démarche est-elle nécessaire en 2019 ?
En ce qui concerne le féminisme, s’il y a bien une chose que l’histoire et les événements actuels nous ont appris, c’est que rien n’est acquis. La société peut très vite reculer quand il s’agit de nos droits fondamentaux. On le remarque avec l’IVG et la multiplication de législations anti-avortement un peu partout dans le monde. Pour moi, c’est une problématique au cœur de la lutte intersectionnelle, car elle concerne toutes les personnes ayant un utérus. C’est pour ça que c’est essentiel de continuer à sensibiliser et d’informer sur la question.
Pour le tatouage, j’ai régulièrement des retours positifs et des remerciements de la part des client-e-s. Avant, ils et elles n’osaient pas forcément pousser la porte d’un salon. Ça peut paraître sombre de l’extérieur, un peu inaccessible. Le tatouage a parfois trait à des histoires intimes, donc c’est important de se sentir en confiance.
Ici, les gens savent que les artistes sont sensibilisé-e-s et bienveillant-e-s. Les membres de la communauté LGBTQIA+, dont je fais partie, savent que l’on va comprendre leurs ressentis, les écouter.
Le salon de thé permet également de contribuer à cette ambiance. C’est un espace accueillant pour toutes les personnes qui en franchissent la porte. C’est un lieu de rencontres et de discussions.
Quel rôle joue la culture à tes yeux dans la lutte militante et féministe ?
Personnellement, j’enrichis beaucoup mes réflexions par la lecture de livres et d’articles de blogs. J’écoute aussi des podcasts. J’ai voulu rendre accessible cet engagement dans le salon grâce au club de lecture. Des livres sont également à la disposition des client-e-s. La culture est l’un des meilleurs moyens de sensibiliser les gens quand elle ne revêt pas un côté élitiste.
Je trouve que les réseaux sociaux, comme Instagram et Facebook, sont aussi de bons moyens d’accéder à cette culture militante. De nombreux comptes relayent des articles et de l’information. Des plates-formes telles que Netflix proposent également du contenu – notamment documentaire – super intéressant. Je pense enfin à des actrices comme Emma Watson ou Jameela Jamil qui font bouger les choses.
C’est une vision plus large qui dépasse la culture classique et qui, potentiellement, peut toucher plus de monde. C’est parfois compliqué d’amener les personnes à s’intéresser aux questions féministes quand elles ne sont pas du tout conscientisées, notamment sur les problématiques intersectionnelles, encore trop peu abordées.
Ici, chez Sibylles, au niveau artistique et créatif, j’accueille des artistes qui sont très engagé-e-s, à l’instar de Katie McPayne, et d’autres qui ne proposent pas un travail forcément politisé. On y trouve différentes choses, cela permet de s’adapter en fonction des gens, de les amener à réfléchir sans les brusquer.
Tu as un conseil culturel pour nos lectrices et lecteurs qui aimeraient aller plus loin ?
Pour se renseigner sur le féminisme et l’intersectionnalité, je peux recommander des podcasts, comme La Poudre, Miroir Miroir (on t’en parlait dans une revue de presse, ndlr) et Les Couilles sur la table, ainsi que des sites comme bafe.fr ou le webzine Simonae.
J’adore également les livres de notre club : la parole est donnée à des autrices notamment trans et/ou racisées. C’est une manière de diffuser la parole de personnes concernées et de discuter des diverses oppressions systémiques. C’est ainsi que l’on grandit ! Dans mes préférés, jusque-là, il y a ceux de Maya Angelou, The Hate U Give d’Angie Thomas et Le Pouvoir de Naomi Alderman.
Hors du club de lecture, je dirais l’incontournable Sorcières de Mona Chollet, autrice de Beauté fatale. Mais également la bande dessinée Culottées de Pénélope Bagieu, qui permet de découvrir plein d’histoires de femmes, ou encore Les Femmes et le Pouvoir, un essai de Mary Beard qui retrace l’histoire du sexisme dans les sphères de pouvoir via l’outil de la parole.
Côté séries, j’en ai une improbable à conseiller, mais ses dernières saisons sont vraiment très chouettes et engagées : Grey’s Anatomy ! La créatrice, Shonda Rhimes, est une femme noire politisée, ce qui se ressent fortement depuis quelques années. Les dernières saisons ont abordé des sujets aussi variés qu’indispensables : les violences conjugales, le mouvement Black Lives Matter, les expulsions sous Trump ou encore la non-binarité. L’écriture est vraiment pertinente et veille à rendre ces thématiques accessibles à un public vaste. C’est plein de bons sentiments, mais sans compromis sur le positionnement politique, et c’est, selon moi, une bonne stratégie pour amorcer des changements sociétaux plus profonds !
Retrouve toute l’actualité de Sybilles sur le site officiel du salon de tatouage et de thé, mais aussi sa page Facebook et Instagram.