Dans le monde de Cielle, les femmes occupent l’espace et le cœur. Elles sont sur le devant de la scène et dans les coulisses, partout où il y a de la place. Et de la place, il y en a sans compter, car, pour une fois, les hommes sont quasiment inexistants.
Quand j’étais adolescente, c’était bien vu de ne pas être une « vraie fille », selon nos préjugés de l’époque. C’est-à-dire de ne pas aimer le rose, de ne pas s’intéresser au maquillage, et surtout de ne pas traîner avec les autres filles. Dire « Je m’entends mieux avec les mecs », c’était le summum de la dignité, ce qui nous rendait différentes et intéressantes, ce qui nous donnait de la valeur. Ça n’avait pas beaucoup de sens, mais c’était ainsi. Je m’y suis conformée. J’avais beau avoir des tas de copines, je prétendais être plus amie avec les garçons. Était-ce vrai ? J’ai en tout cas oublié leurs prénoms et leurs amitiés, alors que celles qui ont traversé ma jeunesse sont toujours là, dans ma mémoire ou dans ma vie.
Encore maintenant, cette vieille rengaine continue de se jouer. Ce n’est pas le même tempo, c’est plutôt « Je n’aime pas travailler qu’avec des femmes, il n’y a pas une bonne ambiance » ou « Je préfère qu’il y ait des hommes dans mon cours » mais le sens est le même. Il ne faudrait pas trop fréquenter les femmes, sous peine de… De quoi ? De se faire de la concurrence ? De se critiquer en douce ? D’avoir des conversations futiles, car seuls les hommes pourraient relever le niveau ?
Moi, je n’ai pas vraiment changé, mais mon féminisme, ma capacité à m’interroger sur les attentes sociales et sur les injonctions m’ont en fait permis de révéler avec clarté ce qui vivait dans l’ombre jusque-là : les hommes ne m’intéressent pas, ou si peu.
Depuis plusieurs années, j’ai donc sorti un à un les hommes cis de mon existence. Ça s’est fait sans méthode, tranquillement, avec évidence. Parce que j’ai fini par admettre que je m’entends mieux avec les meufs. Qu’elles m’apportent de la joie et du soutien, que je me sens bien à leurs côtés. Désormais, quand je rencontre des gens, c’est vers les femmes que je me tourne, sans y réfléchir. C’est avec elles que je crée une relation. Ce sont elles qui restent.
Je ne cherche pas à analyser cet état de fait, il y a certainement en jeu des choses qui me dépassent, mais peu importe après tout. Je ne voudrais de toute manière pas faire de généralités (même si je les pense parfois très fort). Ce que je retiens, c’est que les femmes me plaisent carrément.
Dans ma vie personnelle, d’abord. J’ai la chance immense de ne travailler (quasiment) qu’avec des filles, qui sont assez formidables, et que je n’échangerais pour aucun mec au monde. J’ai la chance immense d’avoir trouvé une asso féministe et féminine, dont les membres sont top. Et j’ai la chance immense d’avoir des amies pour la vie, même si c’est niais.
Dans ma vie intellectuelle, aussi. J’aime particulièrement les histoires de femmes sur les femmes. J’écoute des podcasteuses, je lis des autrices, et j’essaie – même si ce n’est pas facile, puisque nous sommes assailli-e-s par les mâles – de faire de même pour les réalisations filmiques. Elles parlent un langage qui me touche, souvent loin des clichés dont les hommes nous affublent. Elles racontent des récits inédits, qui font écho à ce que je vis ou suis, à ce que je pourrais découvrir ou devenir. Je fais le choix délibéré de refuser les hommes et leurs œuvres, que l’on m’a imposés trop longtemps, et de laisser la place à celles que l’on ignore encore aujourd’hui. C’est politique, mais c’est aussi intime, viscéral. Comme si je découvrais enfin ce que l’on m’avait caché pendant des dizaines d’années : les femmes existent.
Si je fais le compte, il me reste mon père, mon frère et mon ami d’enfance. Les enfants de mes copines. Et leurs compagnons, parce que je suis une fille polie. Quelques membres de ma famille éloignée, quelques collègues. Et de temps à autre, des vestiges du passé qui resurgissent, sans grand intérêt. Je limite mes interactions avec les hommes, parfois consciemment, parfois pas. Parfois par dégoût, parfois par ennui. Le plus souvent par indifférence. Il me reste aussi deux, trois auteurs qui continuent de m’émerveiller, et à peine plus de chanteurs qui m’émeuvent.
Quant aux femmes de ma vie, je n’aurais pas assez de mains pour les compter et pas assez de mots pour leur dire mon amour. Alors je me tais, mais je n’en pense pas moins, et je suis là, avec mes sourires, mes petits messages, mes gâteaux et mon soutien inconditionnel.
Je crois que pas grand-chose n’a changé depuis l’adolescence, j’ai juste arrêté de faire semblant. Je vis dans un entre-soi féminin. And it feels so good.
Œuvres et lieux cité-e-s :
- « Ma plus belle histoire d’amour », Ma plus belle histoire d’amour, Barbara,1967.
- Un été sans les hommes, Siri Hustvedt, 2011.
- « Run the World (Girls) », 4, Beyonce, 2011.
- La Saison des femmes, Leena Yadav, 2016.