La journaliste indépendante Charlotte Hervot a récemment publié (Petit) Guide de survie sur Instagram, son premier essai, aux éditions Arkhê. Elle y décortique l’histoire de cette application si présente dans notre quotidien, ainsi que ses divers usages. Mais surtout, avec humour et bienveillance, elle explore les secrets de conception de ce petit outil, qui a indéniablement changé notre expérience et notre vision du monde.

 

Racheté 1 milliard de dollars par Facebook en 2012, Instagram en valait plus de 100 en 2018 selon Bloomberg. Et avec plus d’un milliard de personnes inscrites dans le monde, dont 17 millions en France, l’application créée et lancée par Kevin Systrom et Michel Mike Krieger il y a près de dix ans est désormais au cœur de nos sociétés. On y partage le contenu de notre assiette ou de notre verre, la décoration de notre appartement ou de notre bar préféré. On documente nos journées plus ou moins actives avec un certain sens de la représentation (mention spéciale pour les vacances) et on y comble notre ennui dans les transports. En somme, on passe beaucoup de temps à se comparer aux autres, à réseauter, ou même à tester différentes techniques de drague. Cette liste est non exhaustive, tant les utilisations d’Instagram sont multiples. Que l’on se serve ou non de cette application, une chose est indéniable : elle a remodelé notre rapport à la réalité.

Charlotte Hervot est une journaliste indépendante, du « même âge qu’Internet », précise-t-elle. D’abord chroniqueuse judiciaire, elle s’intéresse depuis 2013 aux tendances et aux nouveaux modes de consommation des réseaux sociaux, dont la fameuse application. « J’ai beau discuter avec des gens de tous les âges, de milieux très différents, […] il y a toujours un “point Instagram”. » (p. 9) Avec ce court livre, elle poursuit sa réflexion, de l’histoire du réseau et de l’usage qu’elle-même en fait à ses diverses fonctionnalités et répercussions directes sur nos existences. Afin de donner de la matière à son analyse, elle a discuté avec un large panel de personnes, parmi lesquelles des ami-e-s trentenaires, la chercheuse Sophie Barel, mais aussi des parents et leurs enfants. Cela donne un essai documenté et indispensable pour quiconque s’intéresse au sujet.

« Ce bouquin, c’est aussi ma thérapie : pourquoi je passais autant de temps sur cette application, le sentiment de fascination/répulsion que je ressentais », confie l’autrice. D’une part, ce projet lui a permis de ne plus se comparer en permanence aux autres, notamment au sujet de son style de vie, mais aussi de distinguer le vrai du faux et d’approfondir l’épineuse question de l’argent des influenceurs-ses. Et d’autre part, il l’a aidée à se contenter de ce qu’elle avait et à réapprendre la gestion de l’ennui, qu’elle comblait avec cet outil. Sur ce dernier point, elle conseille d’ailleurs la lecture de L’ennui nous sauvera : Déconnecter des écrans pour se reconnecter à sa vie, de Manoush Zomorodi (Massot, 2019). Malgré son regard critique, Charlotte Hervot ne recherche pas la détox, car elle dit « aimer » Instagram. En revanche, elle souhaite en avoir un usage éclairé et apaisé, pour apprécier son quotidien sans frénétiquement le documenter en ligne. Et pour ne pas subir de plein fouet les conséquences néfastes que peuvent avoir les réseaux sociaux, et plus généralement la tech.

S’il est important de ne pas se contenter d’une critique simpliste des réseaux, on ne peut ignorer la réalité de leur conception et de leur distribution. Ces applications ont bel et bien un coût, et celui-ci est protéiforme. La collecte de nos données personnelles à des fins commerciales est évidemment un sujet qui revient périodiquement. Nous payons le prix de notre utilisation de ces plates-formes, qu’on le sache ou non. Au-delà de ce problème déjà conséquent, les réseaux sociaux sont conçus pour créer une addiction chez leurs utilisateurs-rices. En effet, depuis quelques années, des analyses soulignent l’impact négatif d’Instagram, qualifié de « réseau social le plus néfaste pour la santé mentale » dans une étude publiée en 2017 par la Royal Society for Public Health. De manière générale, la recherche a mis en lumière le lien entre l’utilisation des réseaux sociaux et la dépression, l’anxiété, les troubles du comportement alimentaire, et même un risque suicidaire chez certain-e-s. Il est donc crucial de ne pas minimiser l’influence de ces plates-formes, et les dangers que présente leur usage journalier.

Enfin, outre les problématiques du ciblage publicitaire et de la santé mentale, on pourrait ajouter la question de la liberté. Le rapport Freedom on the Net 2019 publié en novembre, intitulé « The Crisis of Social Media », en arrive à une conclusion inquiétante. La liberté d’expression et la protection de la vie privée sur Internet ont décliné mondialement pour la neuvième année consécutive : « Que ce soit en raison d’une certaine naïveté à l’égard du rôle d’Internet dans la promotion de la démocratie ou du laxisme des décideurs-ses envers la Silicon Valley, nous sommes maintenant confronté-e-s à une dure réalité : l’avenir de la liberté sur Internet repose sur notre capacité à arranger les médias sociaux. » Notre époque est complexe, et parfois terrifiante. Dans une culture de l’image souveraine, dont le contrôle à grande échelle est entre les mains de structures privées, il nous faut devenir des utilisatrices et utilisateurs conscientisé-e-s et renseigné-e-s.

Ainsi, ce (Petit) Guide de survie sur Instagram porte bien son nom. Il semble que le sujet de la survie soit réellement au cœur de notre pratique des réseaux sociaux, maintenant et davantage encore dans le futur. À travers l’étude minutieuse et franche de sa propre utilisation, l’autrice nous invite à repenser notre relation à cet outil pour qu’il reste un support de partage et de découvertes, sans que nous ne nous laissions happer par ses travers. Et, pourquoi pas, à lâcher notre smartphone à l’occasion.

(Petit) Guide de survie sur Instagram Couverture du livre (Petit) Guide de survie sur Instagram
Arkhê
18/10/2019
196
Charlotte Hervot
18 €

Vous aviez pitié des gens immortalisant leur assiette, mais vous vous êtes surpris à scroller sur Instagram aux toilettes ? Vous avez beau savoir que les photos des « fitgirls » et leurs pendants masculins sont retouchées, vous n’êtes pas vraiment soulagé(e) ? Vous êtes fatiguée de voir un ami mettre en scène sa vie et vous vous contentez de liker pour éviter de vous embrouiller ? Une chose est sûre, vous n’êtes pas seul(e) à être tiraillé(e) entre l’envie d’être sur Instagram et celle de s’en éloigner.