Il y a des livres et des personnages qui changent nos vies, nous aidant à nous comprendre et à nous accepter. Enfant, Lisa a fait la rencontre de Justine, une héroïne littéraire qui a joué un grand rôle dans sa construction et lui a appris à aimer ses cheveux frisés au naturel, alors même que la société nous fait croire que la beauté passe par une chevelure lisse.

 

Cette année, Deuxième Page est partenaire média du Festisol. À l’occasion de cet événement qui met en avant les droits des enfants, nous te proposons une série d’articles en lien avec la jeunesse, entre souvenirs et recommandations culturelles. Parce que le droit aux loisirs et la participation à la vie culturelle et artistique sont des éléments nécessaires au développement de l’épanouissement et du libre arbitre des jeunes.

 

En 2002, j’ai 8 ans. Je suis une lectrice enjouée qui dévore avec enthousiasme beaucoup de livres. Timide et discrète, j’ai le sentiment que la lecture a été inventée pour moi, pour me combler et pour nourrir mon imaginaire fertile.

J’ai des cheveux frisés résultant de mon métissage – ma mère est noire, mon père est blanc. Seule métisse de ma bande de copines, j’envie déjà leur longue et lisse chevelure. Je me réfugie alors dans les bouquins, où je pense pouvoir trouver de l’aide. Mauvaise pioche. Laura Nsafou et son merveilleux livre Comme un million de papillons noirs n’existent pas encore dans le paysage littéraire français, et je peine à m’identifier à mes héroïnes. Je me plonge quand même dans les aventures de Matilda, de Fifi Brindacier, de Martine et d’une certaine Caroline. Je fais des princesses de Disney racisées (Pohacontas, Mulan, Kida) mes modèles, mais le manque de représentation dans les livres se fait sentir. Il semble correspondre au manque de représentation dans le monde réel, où je peine également à trouver des modèles. Le métissage ajoute un autre poids à ma quête d’identité. Je n’arrive pas à me situer : pas assez noire ou pas assez blanche. Mais à cette époque, personne ne semble se soucier des questions qui m’animent ou des normes de beauté qui me taraudent.

Mes parents se mettent en quête d’une héroïne pour combler mon incompréhension et ma souffrance. Ma mère, victorieuse, trouve Petit Oursin, écrit par Martine Lagardette et illustré par Sophie Mondésir. Cet album de littérature jeunesse narre l’histoire de Justine, une enfant métisse qui rêve d’avoir la longue et lisse chevelure de sa meilleure amie, la rousse Mélodie. Comment ne pas être immédiatement séduite par les prémices de cette histoire ? Je trouve enfin quelqu’une qui me ressemble, qui me comprend et qui peut apporter des réponses à mes interrogations. Combler le vide. Je découvre, surexcitée, les tribulations de Justine, sa recherche douloureuse du cheveu « idéal » – douloureuse car sa mère, peinée par la détresse de sa fille, finit par lui lisser les cheveux au fer à repasser. Le livre a d’ailleurs été très critiqué pour cette planche. La méthode est exagérée, violente, traumatique et ridicule. Malheureusement, d’une certaine manière, elle n’est pas si éloignée de ce que l’on s’inflige pour conformer nos coiffures afro aux normes. Depuis longtemps, on les défrise avec des produits chimiques et/ou avec acharnement à l’aide de peignes chauffants et autres fers à lisser. Il y a tant à écrire sur cette violence là. Sur la manière dont la société nous apprend à nous détester et nous conditionne à nous malmener de la sorte, chaque jour. Mais pour l’instant, revenons à Justine. Malgré le lissage, après une averse, elle retrouve sa chevelure initiale. Aidée de sa grand-mère et de son père, elle trouve finalement d’autres moyens de se coiffer et apprend à s’accepter. Elle comprend qu’il n’y a pas qu’un standard de beaux et bons cheveux. S’aimer et célébrer sa différence, c’est la meilleure leçon que m’ait donnée Justine. Le livre contient d’ailleurs une planche très émouvante, qui m’a beaucoup marquée : son père lui tresse patiemment les cheveux et les orne de perles et de papillons colorés. Cette coiffure finale est source d’admiration chez les camarades de Justine, qui réclament à son père la même chose.

L’enfant que j’étais a été séduite et rassurée par Justine et, durant mon enfance, j’ai arboré quantité de tresses avec des mèches de couleurs vives ornées de toutes sortes de bijoux capillaires. Pourtant, la confiance trouvée grâce à cette héroïne n’a pas résisté à mes inquiétudes de préadolescente. Je succombe alors à l’appel de l’uniformisation et du défrisage, pour faire comme mes amies et m’intégrer aux canons de beauté blancs. C’est la mode des franges et de la chevelure ultra-raide. J’altère la nature de mes cheveux, les endommageant quotidiennement, créant un rituel nocif qui déforme l’image que j’ai de moi-même. Ce que je ne sais pas, c’est que toutes ces expérimentations chimiques sur mon cuir chevelu sont pratiquement irréversibles, et que je mettrai des années à retrouver mes cheveux d’origine. Il faudra que j’attende de fêter mes 20 ans pour commencer un long processus de déconstruction personnelle de la beauté.

Alors, pour la première fois, mes cheveux ne seront pas qu’une corvée ou une épreuve, ils seront signe de curiosité et d’apprentissage. J’apprends à les soigner, les écouter, et surtout à les aimer. Je découvre des icônes féminines qui me permettent ce travail de déconstruction, surtout en littérature avec Toni Morrison, Maya Angelou, Chimamanda Ngozi Adichie ou encore Léonora Miano. Le mouvement nappy – contraction de natural et happy – remet Justine sur mon chemin. Il n’y a pas longtemps, je retrouve, par un merveilleux hasard, le livre au fond d’un carton dans la cave de mes parents. L’histoire est intacte, tout comme les couleurs et la richesse des illustrations de Sophie Mondésir, qui m’avaient enchantée enfant. Redécouvrir l’ouvrage me bouleverse, et je parcours rapidement sa vingtaine de pages. Rien n’a changé, sauf moi, qui ai enfin compris la leçon de Justine. Je ne la remercierai jamais assez d’avoir accompagné la petite fille timide et déboussolée que j’étais. C’est à elle que je dédie cette tribune.

 


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