Après notre top des séries de 2019, on te propose la sélection des 12 plus beaux films de l’année. Et sans surprise, celle-ci se révèle politique, engagée, horrifique et poétique. Une fois encore, nos choix sont parfaitement représentatifs des goûts divers et des attentes cinématographiques de l’équipe. Avec cette liste, on veut te faire découvrir les œuvres qui nous ont parlé, touché-e-s et profondément marqué-e-s.

 

Le paysage cinématographique actuel regorge de blockbusters, d’histoires déjà vues et revues, et d’œuvres dont on a parfois du mal à comprendre le succès. Heureusement pour nous, il est aussi rempli de pépites et de récits inédits et nécessaires, qui nous apprennent à sortir de notre zone de confort en regardant au-delà de ce que l’on connaît. Les 12 longs-métrages présentés dans ce top font partie de nos plus belles expériences cinématographiques en 2019. De quoi rassurer concernant l’avenir du cinéma engagé, alors qu’une nouvelle décennie pointe le bout de son nez, apportant avec elle la promesse d’encore plus de bonnes surprises (on croise les doigts !) sur grand écran.

Us, Jordan Peele
Portrait de la jeune fille en feu, Céline Sciamma
Parasite, Bong Joon-ho
Midsommar, Ari Aster
Pour Sama, Waad al-Kateab et Edward Watts
Little Joe, Jessica Hausner
Steven Universe: The Movie, Rebecca Sugar
The Hate U Give, George Tillman Jr.
Abominable, Jill Culton
Sorry We Missed You, Ken Loach
Papicha, Mounia Meddour
Roubaix, Une lumière, Arnaud Desplechin

Il suffit de cliquer sur le nom du film pour accéder directement à sa chronique.

 

 

Us, de Jordan Peele

par Annabelle Gasquez

Us, réalisé par Jordan Peele, 2019. © Universal Pictures International France

L’horreur n’a pas besoin d’être visible pour être paralysante. Le cinéma de Jordan Peele, dont le premier film Get Out (2017) était une révélation, explore la monstruosité morale et politique en exploitant des codes culturels liés à un genre qu’il apprécie particulièrement. De fait, chacune de ses créations est peuplée d’éléments symboliques, renvoyant à un imaginaire commun redoutable : la pop culture. Avec Us, le réalisateur s’attaque au concept d’inquiétante étrangeté, en mettant en scène une réalité alternative où nos doubles existent et survivent, cachés sous terre. Ici, la puissance de l’allégorie réside dans le dépouillement du récit. Les spectatrices et spectateurs suivent les événements à travers l’expérience des Wilson, une famille tout à fait normale en apparence. Mais durant un séjour de vacances, ses membres font la rencontre sanglante de leurs doppelgängers, bien décidés à sortir de l’ombre. Le fil rouge du long-métrage se construit à l’image de la chaîne humaine « Hands Across America », présentant la solidarité comme un moyen ultime de progrès. Mais la laideur du monde dans lequel nous vivons ne peut être combattue par d’absurdes mises en scène inspirées de conceptions manichéennes. Dans Us, les pistes sont brouillées. Les Tethered sont une manifestation de notre dualité, de l’illusion du choix au cœur de sociétés où certaines personnes sont exploitées pour le bénéfice d’autres individu-e-s. Visuellement, ces personnages renforcent l’idée que nous n’avons pas de pires ennemi-e-s que nous-mêmes. Mais dans le fond, ils incarnent surtout la partie cachée de l’humanité et de son histoire. Celle que l’on préférerait ignorer, et à laquelle Peele nous oblige à nous confronter. Avec brio.

 

Portrait de la jeune fille en feu, de Céline Sciamma

par Jade Domingos

Portrait de la jeune fille en feu, réalisé par Céline Sciamma, 2019. © Pyramide Films

En 1770, sur une petite île bretonne, Marianne (Noémie Merlant) et Héloïse (Adèle Haenel) tombent éperdument amoureuses, alors que la première doit peindre le portrait de mariage de la seconde, sans qu’elle ne le sache. Véritable ode à la liberté et à la passion ainsi qu’à l’art et à la féminité, Portrait de la jeune fille en feu est une histoire d’amour intemporelle et universelle. En plus de parler de la place des femmes dans la culture et la société, le film explore la notion de dualité tout en nuances, dans la forme comme dans le fond. Implacablement, ce récit met face à face le sujet et l’objet, le choix et la dépendance, le souvenir et l’oubli. Avec beaucoup de justesse, la réalisatrice Céline Sciamma dresse la liste des interdits pesant sur les femmes à l’époque. Elle souligne les rares libertés qui leur sont admises. L’amour n’en fait pas partie, et c’est à l’abri des regards que Marianne et Héloïse vivent leur histoire, dans la pénombre et le secret. La mise en scène prodigieuse et la magnifique photographie, très picturale, nous donnent le sentiment d’avoir vécu aussi intensément que les héroïnes ce qu’elles ont partagé en quelques jours. On en ressort épuisé-e-s, mais plein-e-s d’espoir. C’est avec le bruit des vagues toujours dans les oreilles, la chaleur du feu encore sur le visage et le cœur qui se serre dans la poitrine que l’on se prend alors à penser que tout est possible. Grâce à la connexion, par l’art et par l’amour. L’amour de soi. L’amour de l’autre.

 

Parasite, de Bong Joon-ho

par Annabelle Gasquez

Parasite, réalisé par Bong Joon-ho, 2019. © Les Bookmakers / The Jokers

La puissance d’une métaphore filmique bien exécutée est sa propension à nous faire comprendre la complexité d’un sujet sans en avoir l’air. Avec son dernier long-métrage, Bong Joon-ho explore les multiples définitions du mot « parasite ». Ici, l’humain-e est un animal comme les autres. Les espèces sont les classes sociales, et les protagonistes que l’on découvre, désargenté-e-s et ostracisé-e-s, se nourrissent d’un hôte bien précis : les riches. Parasite encapsule à l’échelle d’une famille toutes les dynamiques de notre société capitaliste. Mais c’est surtout dans sa réponse à la cruauté de ce système que l’œuvre du réalisateur est aussi brillante que passionnante. Quand l’ordre social et économique nous emprisonne et nous asphyxie, quelles solutions avons-nous pour en réchapper ? Grâce à la rage de sa satire et à une esthétique du dévoilement, le cinéaste nous invite peu à peu à découvrir les dessous et le caractère aliénant du capitalisme, sa fallacieuse harmonie et son incroyable brutalité. Parasite est un survival, où les pauvres luttent par tous les moyens pour éviter d’être anéanti-e-s par la classe dominante. Quand les Kims s’infiltrent dans la résidence luxueuse des Parks en prenant la place de leur personnel de maison, on voit comment, peu à peu, une société liberticide et bourgeoise finit par créer ses propres monstres. La seule échappatoire pour ces individu-e-s que l’on opprime, nous dit le film, est la violence. Une violence sans compromis et absolue. Si la toile de fond de Parasite est la Corée du Sud, il est porté par une vérité formulée par le réalisateur lui-même : « Nous vivons tou-te-s dans le même pays, appelé capitalisme. »

 

Midsommar, d’Ari Aster

par Yan Gamard

Midsommar, réalisé par Ari Aster, 2019. © A24

Midsommar semble être à l’horreur ce que La Chose (1982) est à la comédie musicale. Effrayer les spectatrices et spectateurs en plein jour, quelle idée ! D’ailleurs, selon certain-e-s, le dernier long-métrage d’Ari Aster n’est précisément pas un film d’épouvante. Faisant suite au bien plus sombre et glauque Hérédité (2018), il développe des tropes, éléments et thématiques assez proches de ceux que l’on retrouvait déjà dans son prédécesseur : le drame familial, le traumatisme, la manipulation, des bâtiments triangulaires en bois, un culte impliquant beaucoup de nudité, des personnes âgées, du malaise, tout est là. Mais cette fois-ci, la famille est vite expédiée, et l’on se concentre surtout sur la fragile relation qu’entretiennent Dani (Florence Pugh) et Christian (Jack Reynor). Le film étudie également le rapport à l’étranger et à sa culture. Alors que le couple américain est en voyage en Suède, leur ami Pelle (Vilhelm Blomgren) les invite, ainsi que deux autres personnes, au sein de sa communauté et de sa famille. Dans un décor pastoral et une ambiance médiévale, le groupe d’Américain-e-s le suit, se perdant parmi des costumes traditionnels d’un blanc éclatant et des peintures murales un poil flippantes. Tout est ultra coloré, la photographie presque cramée, et tout n’est que ciel bleu et sourires gênants. Alors, comment produire de l’horreur dans ces conditions ? À la manière d’un bad trip, en immergeant le public dans un jeu progressif de distorsion de la réalité et des mœurs. À quoi se fier et à qui ? Comment se défaire de l’appréhension qui nous guette ? Y a-t-il au moins une échappatoire ?

 

Pour Sama, de Waad al-Kateab et Edward Watts

par Annabelle Gasquez

Pour Sama, réalisé par Waad al-Kateab et Edward Watts, 2019. © KMBO

« M’en voudras-tu d’être restée ici ou d’être partie ? », demande la journaliste syrienne Waad al-Kateab à sa fille Sama en voix off. Au cinéma, peu importe que le format soit documentaire ou fictionnel, la question de la représentation de la guerre à l’écran se pose depuis longtemps. Que peut-on et doit-on faire voir ? Quelle responsabilité morale portent les cinéastes dans la monstration de l’horreur ? Quid de la dignité humaine quand celle-ci se confronte au devoir de témoignage ? En construisant son film comme une lettre ouverte – et d’amour – à sa fille, Waad al-Kateab s’adresse à nous tou-te-s. Nombreux sont les moments où l’on voudrait détourner le regard de certaines images, si réalistes et brutales. Le documentaire nous plonge au cœur d’Alep, assiégée par le régime de Bashar al-Assad – supporté par les forces aériennes de la Russie –, et nous confine aux côtés de celles et ceux qui résistent au rythme des bombardements continus. Notre guide au plus profond du chaos est la voix de la jeune femme, qui verbalise l’impensable. Entre la confession et l’explication, elle nous raconte la banalité de la vie de personnes qui tentent comme elles le peuvent de survivre. Paradoxalement, l’une des choses les plus violentes à appréhender en tant que spectatrices et spectateurs face à ces images incroyablement dures est l’espoir qui anime ces individu-e-s. Il nous prend aux tripes. Par moments, le sentiment de désespérance et d’impuissance qui nous gagne est si grand que l’on se sent comme démuni-e-s. Mais la profonde humanité qui émerge de l’horreur nous permet de dépasser cette émotion. Et alors, la colère s’installe, ainsi qu’une implacable volonté d’agir.

 

Little Joe, de Jessica Hausner

par Yan Gamard

Little Joe, réalisé par Jessica Hausner, 2019. ©  Bac Films

L’ambiance dans Little Joe n’est pas sans rappeler celle des films de M. Night Shyamalan, maître incontesté du twist final et des explorations fictionnelles du surnaturel. Dans son dernier long-métrage, la réalisatrice Jessica Hausner immerge sa protagoniste, Alice (Emily Beecham), dans une atmosphère singulière. Cette illustre phytogénéticienne, qui conçoit régulièrement des végétaux aux propriétés inouïes, décide un jour de franchir un interdit. Elle ramène chez elle une fleur qu’elle a créée, la bien nommée Little Joe. Cette dernière arbore un rouge intense et semble tout droit sortie d’une exposition de la FIAC. La plante, a priori capable de libérer de l’ocytocine, rend ainsi heureux-ses tout-e-s celles et ceux qui la touchent. Pour profiter de ses propriétés, il suffit d’en prendre soin, de lui parler, de la traiter, somme toute, comme un membre de sa famille. Un échange bénéfique semble-t-il, jusqu’à l’émergence d’un doute. Et si l’influence sur le cerveau humain qu’auraient le pollen et la fragrance de Little Joe n’était pas si anodine ? Et si le bonheur infusé par cette fleur n’était pas si naturel ? Et si les personnes qui l’approchent s’en retrouvaient infectées et imperceptiblement changées ? Alice, toute experte qu’elle soit, ne sait plus quoi penser. À maintes reprises, les pistes sont adroitement brouillées pour alimenter son doute – et le nôtre – quant à la nocivité des modifications génétiques provoquées par la fleur. Comment différencier une personne, ou un sentiment, de sa parfaite imitation ?

 

The Hate U Give, de George Tillman Jr.

par Cielle

The Hate U Give, réalisé par George Tillman Jr., 2019. © Twentieth Century Fox

Adapté du roman éponyme d’Angie Thomas, The Hate U Give explore le sujet des violences policières que subissent les personnes noires aux États-Unis. On y suit Starr, une adolescente qui partage son temps entre le quartier où elle vit et l’école – très blanche – où elle étudie. À travers son regard, George Tillman Jr. décrypte le racisme systémique et la violence des agent-e-s, lesquel-le-s agissent en toute impunité. Quotidiennement confrontée à l’intolérance qui l’entoure, l’adolescente se construit dans un monde hostile. Au fil de l’histoire, elle décide d’affirmer son existence de femme noire. Lorsque son meilleur ami est abattu sous ses yeux par un policier blanc, elle se retrouve face à un choix : se préserver en adoptant la loi du silence ou faire entendre sa voix, au péril de sa vie. Interprétée par Amandla Stenberg, la jeune fille vaguement naïve du début devient sous nos yeux une femme lucide et prête à se mettre en danger pour défendre ses droits. La transformation aurait malgré tout mérité d’être plus radicale, poussant Starr à faire preuve de moins de complaisance vis-à-vis de son petit ami blanc. Appartenant clairement au genre tendance du YA (young adult), avec sa musique très pop, ses clichés, ses références à Harry Potter et un happy end un poil simpliste, ce long-métrage est cependant plein d’énergie et de combativité. On en ressort déterminé-e-s à changer les choses et à construire une autre société, dans laquelle la jeunesse noire pourrait vivre sans crainte. Le mot de la fin revient à Tupac : « The Hate U Give Little Infants Fucks Everybody. »

 

Steven Universe: The Movie, de Rebecca Sugar

par Annabelle Gasquez

Il est conseillé de lire cette recommandation après avoir terminé le visionnage de la série Steven Universe.

Steven Universe: The Movie, réalisé par Rebecca Sugar, 2019. © Cartoon Network Studios

Créée par Rebecca Sugar, Steven Universe est un objet culturel précieux, portant des messages puissants sur la tolérance et la bienveillance. La série animée a aussi bouleversé la représentation de genre dans le paysage des productions filmiques pour enfants. Avec ses airs pop et colorés, elle a réussi à s’attaquer à des thèmes complexes et quelquefois politiques, à l’instar de la santé mentale ou du colonialisme. Sous forme de comédie musicale, Steven Universe est ainsi revenue en 2019 avec un long-métrage faisant office d’épilogue au show. On y retrouve les protagonistes sur Terre, dans une galaxie enfin libérée de la tyrannie des Diamants. Communément, quand les contes se terminent par une fin heureuse, nous ressentons cela comme un aboutissement. Mais que se passe-t-il après ce happily ever after ? Comme à son habitude, Rebecca Sugar explore ici des tropes bien connus pour mieux les transcender. Le film s’ouvre sur un morceau consacré à l’illusion du bonheur, trop souvent présentée comme un point final. Néanmoins, s’épanouir et s’émanciper demande des efforts. Et c’est précisément ce qu’apprend Steven, désormais adolescent, dont la tranquillité est soudainement bouleversée. L’histoire est une chose complexe. Les conséquences du passé influencent le présent, que l’on en ait conscience ou non. Pour grandir, évoluer, il faut nous y confronter. Toutefois, comment apporter notre aide à celles et ceux qui la refusent ? Vivre librement dans un monde normé a-t-il un coût ? Parfois, face au poids de l’existence, une chanson ne suffit pas. Et c’est alors à nous de prendre notre destin en main.

 

Sorry We Missed You, de Ken Loach

par Cielle

Sorry We Missed You, réalisé par Ken Loach, 2019. © Le Pacte

Avec Sorry We Missed You, aucune surprise, Ken Loach fait du Ken Loach. Et, comme souvent, c’est aussi désespérant que réussi. Ricky (Kris Hitchen) et Abby (Debbie Honeywood) ont deux enfants. Le couple a du mal à joindre les deux bouts. Lui devient chauffeur-livreur indépendant (sans aucune protection sociale, donc) pour une plate-forme de vente en ligne qui attend des travailleurs-ses un dévouement et des résultats impossibles à atteindre. Abby, elle, est auxiliaire de vie avec des horaires à rallonge, soumise au rythme des bus pour se rendre au domicile de ses patient-e-s. Le couple n’a pas le temps de se voir, ni même d’être présent pour ses enfants. Les semaines passent et les tensions s’exacerbent… Portrait sans concession de notre époque et de l’uberisation de nos sociétés, Sorry We Missed You montre avec justesse la violence du monde du travail, implacable et inhumain. Il met en lumière les conséquences de ce dernier sur la vie intime de chacun-e. Le long-métrage n’offre aucune échappatoire. Il n’y a pas de fin heureuse ni de solution miracle. Les personnages ont beau être attachants et lutter pour améliorer leur situation, on réalise très vite que ce n’est pas possible. Au contraire, toute la famille se débat sans réussir à sortir plus de quelques minutes la tête hors de l’eau. Et l’on se débat avec elle, pris-e-s dans son histoire de vie touchante et importante, tellement vraie. Une œuvre bouleversante et nécessaire, qui rappelle aux privilégié-e-s une réalité qu’elles et ils préfèreraient oublier, mais qui dit surtout aux autres : « Je sais ce que vous vivez et je suis avec vous. »

 

Abominable, de Jill Culton

par Annabelle Gasquez

Abominable, réalisé par Jill Culton, 2019. ©  Universal Pictures International France

Dans la multitude de films destinés aux enfants produits ces dernières années, on retrouve régulièrement un problème central : le manque d’originalité dû à l’usage de tropes fatigués. Alors, quand Abominable est sorti, rien ne pouvait prédire sa réussite. Ce récit initiatique suivant une jeune fille, Yi (Chloe Bennet), et ses aventures aux côtés d’une créature magique, le yéti Everest, semblait déjà avoir été exploré jusqu’à l’épuisement, sous différentes formes. Pourtant, c’est par la simplicité de son histoire, bien ficelée et tendre, que le long-métrage de Jill Culton nous attrape immédiatement. C’est à la fois beau, fantastique, coloré et plein d’émotions authentiques, sublimées par la superbe exécution de l’animation. Les paysages sont de magnifiques tableaux élaborés pour la contemplation. Yi, qui fait le deuil de son père, part sur ses traces en explorant la Chine, dans un voyage aussi spirituel que géographique. Alors qu’elle tente lentement d’accepter la perte qui l’accable, elle prend conscience de l’importance de sa famille, de ses ami-e-s et de la magie résidant dans les rencontres inattendues que l’on fait en chemin. Elle se laisse emporter par la douloureuse et merveilleuse nature de l’existence, laquelle revêt un nouveau sens lorsqu’elle est bercée par les mélodies de l’imagination. Abominable ne révolutionne pas le genre auquel il s’attaque, et c’est très bien ainsi. En revanche, il redonne aux films pour enfants une fonction divertissante et morale, bien trop souvent oubliée des productions récentes.

 

Papicha, de Mounia Meddour

par Raphaëla Icguane

Papicha, réalisé par Mounia Meddour, 2019. © Jour2Fête

Certaines œuvres comblent les vides et sont au croisement du savoir, de la sensibilité et de l’espoir. Papicha est de celles-ci. Nedjma (Lyna Khoudri) est une jeune femme indépendante, dont chaque geste est un poing levé face à l’obscurantisme. Dans l’Alger des années 1990, la terreur de l’extrémisme religieux s’impose, dicte aux femmes la conduite à tenir et écrase, petit à petit, les libertés de chacune. La réalisatrice Mounia Meddour retranscrit à merveille la montée progressive mais bien palpable de l’oppression et de la contrainte. Les rues s’assombrissent, les visages se ferment et Nedjma s’isole. Celle qui s’échappait de sa résidence universitaire pour aller danser en boîte avec son amie Wassila (Shirine Boutella) peine à donner du sens à son émancipation. C’est pourtant la soif de liberté et l’amour de sa terre qui la portent. Elle rêve d’être styliste, qu’à cela ne tienne : à la fin de l’année, elle organisera au sein de l’université un défilé de mode. Ici, la tragédie d’un quotidien assombri par la haine n’est pas une caricature ni un relent misérabiliste ; elle porte en elle la puissance d’une lutte, dans une sororité complexe où chacune expérimente la difficulté d’être femme, le poids des injonctions, et rêve à plus de liberté. C’est pourtant grâce à leurs encouragements, leur hargne et leur foi que ces jeunes adultes pavent la voie de l’espoir. Des couleurs somptueuses, des dialogues profonds et une inscription mordante dans l’actualité : Papicha est un bouleversement.

 

Roubaix, une lumière, d’Arnaud Desplechin

par Lisa Durand

Roubaix, une lumière, réalisé par Arnaud Desplechin, 2019. © Le Pacte

Dans son dernier long-métrage, Arnaud Desplechin revient une fois de plus sur sa terre natale. Avec Roubaix, une lumière, il propose un film à la mise en scène somptueuse et envoûtante. Adapté du documentaire Roubaix, commissariat central : Affaires courantes de Mosco Boucault (2008), le long-métrage évacue rapidement l’enquête criminelle de base. Il s’attarde plutôt sur les pérégrinations nocturnes de l’incandescent commissaire Yacoub Daoud (Roschdy Zem) et de son nouveau collègue, le lieutenant Louis Cotterel (Antoine Reinartz). Ils arpentent les rues de Roubaix. Sur leur chemin, les deux hommes rencontrent bientôt Claude (Léa Seydoux) et Marie (Sara Forestier), héroïnes tragiques coupables du meurtre de leur voisine, une vieille dame, et du vol de ses effets personnels. Dans une seconde partie dense et musclée, le film s’engage alors dans la résolution de cette affaire. La reconstitution éprouvante du crime à l’écran permet de sortir du commissariat et de sonder l’âme de Roubaix, muse chérie du cinéaste. Elle se présente à nous, chaleureuse et hivernale, quoique scarifiée par la misère sociale. Desplechin crée une ville intemporelle, comme exhumée d’une planche à dessin, dont l’atmosphère presque merveilleuse doit énormément au travail d’Irina Lubtchansky, directrice de la photographie, et de Grégoire Hetzel, compositeur ensorcelant, qui livre ici une partition lumineuse et mystérieuse. Roubaix brûle-t-elle ? On ne sait pas. Mais la flamme qui anime Arnaud Desplechin est plus vive que jamais.