Cielle passe son temps à dire au revoir, aux ami-e-s, aux amant-e-s et à la famille. C’est souvent pour mieux revenir. Mais si un jour, il n’y avait pas de retrouvailles ?
J’ai passé mon enfance à dire au revoir aux amitiés douces et intenses, laissant derrière moi des histoires inachevées devenant des correspondances sur papier mauve et des retrouvailles annuelles. Pas de souffrances insurmontables à l’époque, mais des promesses et des déclarations enfantines et sincères. Au fur et à mesure des départs, tandis que je grandissais de ville en ville, des lettres se sont espacées, des liens se sont défaits. D’autres ont résisté à l’usure du temps et sont maintenant ma plus grande force.
J’ai passé mon adolescence à dire au revoir dans des aéroports et sur des quais de gare. Je pleurais à grandes eaux, la crainte d’être quittée se confondant à celle de manquer. Tous ces ventres noués et toutes ces larmes versées pour des amours éphémères qui ne valaient pas la peine que l’on s’y attarde tant… Dans ces moments, pourtant, la vie avait des airs de fin du monde, et j’aurais pu décrire ma douleur en termes sanglants et apocalyptiques. Il n’y avait pas de place pour la demi-mesure et la raison, j’étais amoureuse et souvent malheureuse.
Certaines amitiés ont duré, des amours sont mortes, et j’ai gardé le goût des grands voyages. Avec la certitude réconfortante de revenir chaque fois à bon port, où sont les gens que j’aime.
Mais depuis peu, la maison a changé de forme et de place, j’ai dû réapprendre à dire au revoir, moi qui suis incapable de partir le cœur léger ou de laisser aller. Il n’y a pas d’effusions, pas de regards humides, mais quand même dans la poitrine ce drôle de poids qui ternit les dernières heures. Cette sensation de fin que je ne veux pas voir arriver, ce sentiment diffus que nous ne profitons pas assez de nos ultimes années. Un mélange incertain de tristesse, de reconnaissance, d’amour et de malaise s’insinue dans mes os. Je ne serai jamais prête.
Aujourd’hui, j’ai peur que nos au revoir se transforment en adieux. Et que nous n’ayons pas le temps de tout vivre ensemble.
J’espère des au revoir par milliers avant que cela n’arrive.
Œuvres et lieux cité-e-s :
- « Orly », Les Marquises, Jacques Brel, 1977
- « Thank You for Hearing Me », Universal Mother, Sinéad O’Connor, 1994
- Aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle